[Archives] Congrès international des notaires

Publié le 19 octobre 2016

Discours de Monsieur Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Ouverture du 28ème Congrès international des notaires

Palais des Congrès – Mercredi 19 octobre 2016

Discours - Congrès international des notaires.19.10.2016.pdf PDF - 321,87 Ko

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Seul le prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs les ministres,

Monsieur le Président de l’Union Internationale du Notariat,

Monsieur le Président d’Honneur du 28e Congrès,

Monsieur le Président du 28e Congrès,

Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur et un plaisir de vous accueillir dans notre capitale, à l’occasion de votre 28e Congrès international.

Je tiens à saluer mes homologues, et en particulier la ministre de la Justice de la Serbie, Mme Nela KUBUROVIC, dont le pays rejoint aujourd’hui officiellement l’Union Internationale du Notariat (UINL).

C’est un événement, puisque cela fait 38 ans que Paris n’avait pas accueilli cette manifestation.

Et il m’a été dit que nous attendions plus de 2000 notaires, en provenance de 86 pays !

Vous voir réunis aujourd’hui, - au-delà des langues, au-delà des cultures, au-delà des frontières -, est le signe manifeste qu’un même noyau vous rassemble.

Qu’il existe une même vocation, un même sens, une même exigence.

Est-on notaire de la même manière à Rio, à Paris, à Berlin ou à Oslo ? Là n’est pas tant la question.

Le notariat est d’abord et avant tout une science humaine.

Une affaire de vie, de mort, de transmission, de mariage, de divorce, d’engagement : des affaires humaines, fondamentalement humaines.

C’est la raison pour laquelle le notariat existe depuis si longtemps et existera encore à l’avenir. Dans les moments-charnière qu’il vit, tout être humain a besoin d’un facilitateur, d’un garant de la confiance, d’un pivot, d’un roc sur lequel se reposer.

Ce ne sont pas des questions culturelles, géographiques, - en un mot, relatives -, qui font et fonde votre métier.

Non, ce sont des questions essentielles, qui ont trait à notre vie d’humains.

Quel est ce noyau, qui fait l’unicité de votre grande famille ?

C’est le processus de civilisation auquel chacun d’entre vous participe.

On ne dompte pas la mort, on n’apprivoise pas les aléas de la vie, on ne domestique pas l’imprévisible, mais on peut introduire un petit peu de confiance.

Et c’est là tout votre rôle, tout ce qui vous relie les uns aux autres.

C’est bien aussi le fil conducteur entre les deux thèmes scientifiques choisis :

·        les fondements juridiques, économiques et sociaux du notaire en tant que tiers de confiance des citoyens, des entreprises et de l’Etat

·        les enjeux techniques et juridiques de l’acte notarié électronique et de la dématérialisation des procédures

C’est le présent, le passé et l’avenir !

Et je me réjouis que Paris soit, pour la 3e fois, la capitale de cette réflexion commune !

J’aimerais tout d’abord revenir sur un paradoxe.

Le notariat est une profession mal connue du grand public, elle est d’ailleurs souvent malmenée par l’opinion publique, alors que vous êtes un modèle, qui rayonne dans le monde !

Et ce modèle n’est pas celui du 19e siècle.

Ensemble, vous construisez aujourd’hui, de façon pragmatique, comme nous le faisons de la Justice, le notaire du 21e siècle.

I.             Un modèle qui rayonne

Qui sont les notaires ?

Le notaire a pour lointains cousins le scribe égyptien ou le tabellion romain.

Comme eux, il est celui qui transcrit la parole d'autrui, de façon à lui donner la force de l'écrit, et la conserve dans ses tablettes.

Mais il est plus que cela… Grâce à l’office !

L’office est une institution du droit français, et plus largement du droit continental.

Il fait partie intégrante de notre modèle juridique, et de son attractivité.

C’est une institution originale, qui réalise un équilibre, subtil, entre l’attribution de prérogatives de puissance publique,  la charge, et l’exercice libéral de l’activité correspondante.

Cela permet d’accomplir des missions de service public que l’Etat ne pourrait assumer, faute de pouvoir les financer. 

C’est pourquoi vous nous êtes indispensables !

Vous êtes la cheville entre l’Etat et la société civile ; vous êtes une interface entre l’intérêt général et les intérêts particuliers !

Officiers de la preuve, l’intervention du notaire est facteur de sécurité juridique, par la force probatoire qu’il confère à l’acte qu’il établit.

Témoin privilégié, tiers de confiance, le notaire est tout désigné :

·         pour recevoir un certain nombre de déclarations de volonté, sans nécessairement d’ailleurs les authentifier,

·         et pour en assurer la conservation.

Je pense par exemple aux déclarations relatives à la fin de vie et aux dispositions à cause de mort, physique ou numérique.

Mais vous n’êtes pas seulement des officiers de la preuve, vous êtes aussi des officiers de la force exécutoire.

C’est ce pouvoir que nous mobilisons dans le cadre du divorce par consentement mutuel sans juge, dans le projet de loi de modernisation de la Justice du 21ème siècle, qui vient d’être définitivement adopté.

Ce recours au notaire est la reconnaissance d’une fonction, d’une dignité même : la qualité de délégataire d’une parcelle d’autorité publique.

Cette qualité vous donne un rôle essentiel à jouer dans la société et pour la société.

Cela vous donne une responsabilité essentielle, aussi.

Une responsabilité assumée, d’ailleurs, et je tiens à saluer le travail formidable mené par le Conseil Supérieur du Notariat (CSN) et l’Association du notariat francophone.

Comme vous avez le devoir de vérifier l’état civil des parties, vous êtes particulièrement engagés pour sensibiliser les pouvoirs publics à l’absence d’état civil des enfants dans les pays en développement, et notamment en Afrique.

Aujourd’hui, 230 millions d’enfants de moins de 5 ans dans le monde ne sont pas enregistrés par les autorités de leur pays.

Il en résulte pour ces enfants de graves difficultés d’accès à l’éducation et à la santé; ils sont la proie de tous les trafics.

Les notaires français ont contribué à ce titre au guide pratique, publié par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), pour la mise en place des registres d’état civil et le recensement.

Le CSN contribue aussi au rayonnement de la culture juridique française et à la promotion du droit continental, à travers le monde.

Ø C’est le cas notamment en Chine, où vous êtes présents depuis de nombreuses années et où vous avez été de véritables précurseurs.

Ainsi, la création d’un centre sino-français de formation et d’échanges notariaux et juridiques, à Shanghai en 2001, a directement contribué à la création d’un notariat en Chine en 2006.

Ce n’est pas tout : cette responsabilité sociétale, les notaires l’assument aussi, toujours à travers le CSN, pour intervenir dans de nombreux programmes de coopération :

  • sur le cadastre à Haïti et en Algérie,

  • ou encore sur l’évaluation des biens immobiliers en Albanie.

Ces exemples illustrent l’importance de votre profession pour, non pas seulement diffuser les valeurs d’un Etat de droit, mais aussi les traduire en actes et en vécu pour le plus grand nombre.

Ici et ailleurs.

Votre profession est un modèle attractif, un modèle qui rayonne parmi les différents ordres juridiques, parce qu’elle est utile, parce que son rôle et ses missions sont clairement définis.

Comme le souligne très justement un passionnant rapport universitaire sur le passé, le présent et l’avenir de votre profession, l’avenir du notariat suppose qu’il conserve sa singularité.

C’est pourquoi il est important, aujourd’hui, de construire le notariat du 21e siècle, en s’appuyant sur ce qui fait sa spécificité, tout en la faisant évoluer pour l’adapter au monde qui s’ouvre à nous.

II.           Le notaire du 21e siècle

 

Ce 28e Congrès, c’est le retour aux sources…

Et ce retour est justement l’opportunité de voir quel avenir ces sources irriguent.

Le notariat est une profession en mouvement, qui a toujours su s’adapter aux formes du temps.

Vous avez démontré que vous savez parfaitement vous remettre en cause pour améliorer le service rendu.

Cette adaptation n'est de toute évidence pas encore achevée.

De nombreux défis attendent les notaires, ce qui rend l’avenir de votre profession passionnant.

Aujourd’hui s’ouvre l’ère du notaire 2.0… Ou d’ailleurs plutôt du notaire 2.1 ou 2.2, compte tenu des efforts déjà accomplis en termes de modernisation !

L’acte authentique électronique est aujourd’hui une réalité quotidienne.

Deux tiers des offices environ sont équipés. Ce type d’acte se compte désormais par millions.

Il apporte une simplification, en supprimant notamment le paraphe et en facilitant les corrections de dernière minute.

Et enfin, par ses modalités de conservation, dans le cadre du Minutier central électronique (MICEN), il permet un archivage centralisé.

Pour autant, l’acte authentique électronique risque une forte mise en cause, au nom de la technique. 

Ainsi, il est possible aujourd’hui de conclure un acte authentique électronique à distance.

Mais cela suppose que chaque partie se trouve chez un notaire, qui recevra sa signature.

Mais pourra-t-on encore longtemps exiger la présence physique des parties ?

Ne peut-on concevoir, grâce à la technique, que la réception de l’acte se fasse de façon entièrement dématérialisée ?

La technique ne permet-elle pas d’assurer l’authenticité ?

Ce sont les questions que pose la blockchain [prononcer « bloc-tchaîne »]

L'acte authentique devra, dans un avenir proche, faire face à de sérieux concurrents.

Mais il devrait leur survivre.

Pourquoi ?

Parce que l'acte authentique n'est pas qu'une procédure, la blockchain ne pourra pas se substituer à lui.

Cette technologie de stockage numérique et de transmission à coût minime n’est qu’une technique et ce n’est pas cela qui fait l'acte authentique.

Ø C'est l'intervention du détenteur d'une parcelle d'autorité publique.

Et ceux que l’on appelle les mineurs, ouvriers de la blockchain, n'en sont pas pourvus.

Il faut d’ailleurs être prudent face à la nouveauté et se garder de croire à l’infaillibilité de la technique.

Bien souvent elle n’est qu’apparente, et la simple conséquence de l’absence de recul et d’une mise à l’épreuve suffisante.

La technologie qui fonde la blockchain a d’ailleurs récemment montré qu’elle n’était pas sans faille…

Il en va de même des logiciels et autres algorithmes servant à la rédaction d’actes.

Avec le développement de ces nouveaux outils, il est évident que le notariat, comme toutes les professions du droit, ne trouvera sa justification que dans le travail d’analyse, et non dans celui de fourniture de donnée brute.

Il en va aujourd’hui des prestations intellectuelles comme autrefois des métiers industriels :

L’automatisation est en marche, et le robot remplacera probablement le simple rédacteur comme il a naguère remplacé l’ouvrier.

Pour autant, les nouvelles technologies offrent des perspectives très riches pour la profession, en permettant de nouveaux services.

Nombre d’entre eux sont bien sûr à inventer, et je ne ferai ici qu’esquisser quelques pistes, qu’ouvre la loi de modernisation de la Justice du 21e siècle.

L’un de ses articles vous permet de proposer en toute sécurité des  services en ligne.

Notamment, une relation numérique, dans un format garantissant l’interopérabilité de l’ensemble des échanges.

Cela ouvre, par exemple, la voie à la création d’un dossier notarial.

Grâce au numérique, et notamment aux outils de coffre-fort numérique, chaque client du notaire pourrait avoir son espace personnel.

Il s’enrichirait au fil des ans en fonction des actes accomplis,

Mais aussi d’un certain nombre de services de conseil personnalisé, qui pourraient être développés, le cas échéant en lien avec d’autres professions, dans le cadre d’une interprofessionnalité.

Ce même texte permet également de recourir à la sollicitation personnalisée, notamment par voie numérique, dans des conditions que nous définirons très bientôt par décret, afin qu’elles soient compatibles avec les spécificités de la profession.

Il n’est pas question bien sûr de faire de la publicité pour les notaires, comme on vend une lessive !

Mais il s’agit pour le notaire :

·         de faire connaître et valoriser ses services.

·         de conquérir et de conserver, notamment dans le domaine concurrentiel, une clientèle qui, aujourd’hui, même dans le domaine du droit, est beaucoup plus mobile que naguère.

Enfin, je ne voudrais pas envisager le notaire du 21e siècle sans évoquer une mission, qui constitue un champ d’activité naturel pour le notaire, compte-tenu de sa spécificité : la médiation.

Balzac a d’ailleurs écrit : « posons d’abord pour premier  principe que la plus mauvaise  transaction, rédigée même par un notaire ignorant, est meilleure que le meilleur procès ».

Pourquoi le notaire est-il parfaitement qualifié pour exercer cette mission ?

Parce qu’il a pour habitude, et même pour devoir, d’agir dans l’intérêt, non d’une partie dont il serait le représentant, mais de l’ensemble des parties, dont il est en quelque sorte le mandataire commun.

Les notaires ont d’ailleurs déjà développé des centres de médiation.

Et l’impulsion donnée par la loi pour la modernisation de la justice du 21e siècle devrait vous encourager à poursuivre encore davantage dans cette voie.

Ce dernier exemple illustre parfaitement comment le notariat, en s’appuyant sur ce qui fait son ADN, ne peut qu’occuper une place importante dans notre ordre juridique.

Conclusion

Mesdames et Messieurs, dans son discours préliminaire, Portalis a dit :

« On raisonne trop souvent comme si le genre humain finissait et commençait à chaque instant, sans aucune sorte de communication entre une génération et celle qui la remplace.

 

Les générations, en se succédant, se mêlent, s’entrelacent et se confondent.

 

Un législateur isolerait ses institutions de tout ce qui peut les naturaliser sur la terre, s’il n’observait avec soin les rapports naturels qui lient toujours, plus ou moins, le présent au passé, et l’avenir au présent  ».

Le notariat est la plus belle illustration de ces sages paroles.

Les générations se succèdent et les notaires sont toujours les mêmes : des officiers publics et ministériels.

Et pourtant le notaire d’aujourd’hui n’est pas le notaire d’hier, ni celui de demain.

C’est là toute la force du notariat : une constitution particulière qui lui permet de conserver sa singularité, à travers le temps comme à travers l’espace, tout en s’adaptant à la réalité du moment, comme du lieu. 

Je vous remercie de votre attention.

Contact presse – Cabinet du garde des Sceaux

01 44 77 63 15 secretariat-presse.cab@justice.gouv.fr

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