[Archives] Discours au GENEPI

Publié le 08 décembre 2012

Discours de Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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19 minutes

Ce matin, j’ai l’étrange sentiment d’être une sorcière venue picorer votre jeunesse. Parce que je vous dis que le ministère de la Justice est confronté aux misères sociales, aux misères morales, aux misères existentielles même. C’est un ministère où convergent souvent les malheurs, et c’est vrai que, ce matin, j’ai un peu ce sentiment étrange parce que je culpabilise de picorer la jeunesse, mais en même temps je le trouve absolument savoureux. Je vous invite d’ailleurs à vous soigner pour que ce que je picore soit de bonne qualité, je vous entends tousser donc je pense que vous avez été assez malmenés par vos voyages nocturnes, mais c’est bien à cet âge-là que l’on peut vivre ainsi.

Monsieur le président du GENEPI, messieurs les présidents OIP représentant les prisonniers basques, monsieur le directeur général merci de nous accorder l’hospitalité en ce lieu d’excellence, de savoir, où d’ailleurs la température est tout à fait satisfaisante. Madame la sénatrice, chère Claire-Lise Campion, merci d’être là, chez toi. Monsieur le Ministre, Président d’une ou deux choses, surtout fondateur du GENEPI, très cher Lionel Stoléru, c’est avec un immense bonheur et un honneur je dois dire que je participe ce matin à cette rencontre du GENEPI, placée sous ton autorité morale, puisque tu es à l’origine de cette très belle association. Il est toujours très sympathique de voir une assemblée, composée de membres plus jeunes que l’association qu’ils font vivre. Et cette association qui a démarré avec une dizaine de personnes même un peu moins, tu le disais tout à l’heure, a progressé assez rapidement pour atteindre une centaine de bénévoles et aujourd’hui en connaître un millier, qui interviennent dans 71 de nos établissements pénitentiaires. Il est extrêmement rare qu’une initiative, jeune en plus, puisse survivre à ce point, autant, aux difficultés, aux changements. C’est donc un investissement durable qui a été fait à la création de GENEPI, mais c’est aux générations qui l’ont pris en charge, qui se sont passé le relai régulièrement, qui ont constitué une cordée de générations, c’est bien à vous que nous devons l’existence aujourd’hui et surtout l’activité de GENEPI.

Evidemment, vous savez d’où est née cette association puisque Lionel Stoléru l’a rappelé tout à l’heure, mais en y adhérant vous vous y intéressez, et vous savez que, d’une certaine façon, son acte de naissance est lié aux grands événements pénitentiaires de 1974. En parlant de 1974, je sais bien que je parle d’un temps que les jeunes de 20 ans ne peuvent pas connaitre. Mais ce sont ces grandes mutineries à l’intérieur de nos établissements pénitentiaires. Il y avait des prisonniers politiques.  Il y en avait qui venaient de la guerre d’Algérie et d’autres parties de l’ancien empire colonial. Il y avait des prisonniers politiques et des prisonniers de droit commun. Et des protestations, d’ailleurs pour ma part, la première fois que je suis rentrée dans une prison, c’était dans la prison de la Santé. C’était en visite de militants politiques guyanais qui avaient étaient transférés ici suite à des contestations. C’était pour leur rendre visite et leur apporter quelques vêtements chauds dans un hiver rude que j’ai passé pour la première fois la lourde et stressante porte d’une prison. Il y avait en 1974, de fortes protestations, des grèves de la faim, des revendications de statut de prisonniers politiques, des protestations contre ces conditions de détention. Il y eut également une mobilisation.  Il y avait les mouvements sociaux qui ont cumulé en 1968 et qui n’étaient pas seulement des mouvements étudiants mais profondément des mouvements sociaux avec des mobilisations ouvrières forte à  une période encore de grande prospérité industrielle. Et des intellectuels qui sont venus poser des mots, des concepts, une intelligibilité sur cette réalité : celle de la privation de la liberté, celle de la prison, celle de cet univers un peu particulier. Parmi ces grands intellectuels, évidement il y a le philosophe Michel Foucault mais il y a aussi des médecins, des éducateurs, de nombreuses personnes, qui ont ainsi participé et permis à notre société de s’interroger. Les grandes mutineries ont lieu. (…) C’était aussi une époque où la conception même des établissements pénitentiaires était assez déconcertante, vue avec le recul aujourd’hui puisque dans les années 1962 à 1973, ont été construits de grands établissements, de grandes prisons, avec ce que l’on connait aujourd’hui pour certaines d’entre elles, cette juxtaposition d’établissements, de quartiers d’hommes et de quartiers de femmes, d’établissements pour mineur, parfois mineurs filles, de SMPR donc de services psychiatriques. Ces grands établissements, dont le  plus grand est la prison de Fleury-Mérogis avec 4000 places. La plus grande prison d’Europe, ça été annoncé et présenté avec une très grande fierté comme étant la plus grande prison d’Europe. C’est donc dans ce contexte qu’ont lieu ces protestations qui connaissent une de leurs plus belles traductions, une des plus lumineuses, justement dans la création de l’association GENEPI à laquelle vous participez aujourd’hui.

Aujourd’hui, votre association dispose d’un agrément d’éducation populaire ainsi que d’un agrément de l’Education nationale qui dit bien l’importance du savoir. Ce savoir que vous venez apporter en prison. Ce savoir dont il nous a été dit à l’instant à quel point il est essentiel, à quel point il est une arme subversive. Oui, le savoir, l’accès à la connaissance, l’accès à l’éducation, est bien la condition première de la liberté et de l’autonomie du sujet. C’est bien ainsi que nous pouvons construire, définir nos destinées personnelles. C’est bien en ayant accès aux savoirs et aux connaissances. C’est pour cela que le tout premier service public est bien l’éducation. C’est l’accès aux savoirs et aux connaissances qui permet à chacune, chacun d’entre nous de se découvrir, elle-même, lui-même, de comprendre quelles sont ses ressources, quel sont ses talents, quelles sont ses capacités, ses potentialités, de comprendre le monde, de saisir la société dans laquelle il grandit, d’être en capacité de transformer la société selon ses rêves et ses idéaux. Oui c’est bien l’accès aux savoirs et aux connaissances qui nous attribue notre liberté bien au-delà de notre liberté inscrite dans la constitution ou au fronton de nos bâtiments publics. Ce savoir que vous venez partager dans nos établissements pénitentiaire est le plus beau cadeau, en plus de votre jeunesse. Car quand la jeunesse entre dans les établissements pénitentiaires, c’est une bouffée d’air pur. En plus de votre jeunesse, en plus de votre dynamisme, en plus, simplement, de votre présence, il y a ce savoir que vous apportez et que vous partagez. J’ai reçu il y a quelques semaines à la Chancellerie – il y a peut-être deux ou trois mois déjà -  une délégation de GENEPI avec ancienne présidente et actuel président, plus quelques membres du Bureau. Je les ai reçus avec une sorte d’allégresse d’abord, avec curiosité néanmoins. J’ai été frappée par leur sérieux - parce que le sérieux chez les jeunes… Ah mais moi je n’invite pas à être si sérieux que ça ! Vous avez le droit de vivre votre jeunesse, j’ai vécu la mienne ! – j’ai été étonnée par leur sérieux, et je sais que l’on peut être jeune, avoir de la légèreté mais avoir du sérieux dans les engagements. J’ai eu une jeunesse comme cela, où j’ai eu beaucoup de légèreté, où j’ai choisi parfois sur certains sujets d’avoir de la désinvolture même, mais j’avais des engagements militants très tôt. Je les avais depuis le lycée. Donc je sais que l’on peut être à la fois léger et sérieux. J’ai donc été frappée par leur sérieux, mais leur sérieux face à une institution. Parce que l’on peut être sérieux dans ses engagements, mais à cet âge-là, on n’est pas forcément sérieux face à une institution. Et j’ai été frappée par ce sérieux dans ce rapport à la Chancellerie, dans le rapport à l’administration pénitentiaire, dans la force qu’ils ont mise à me poser des questions et,  d’une certaine façon, à me poser des conditions, en disant par exemple qu’il n’était pas question qu’ils laissent détourner leurs engagements et qu’ils laissent décompter dans les activités – parce que la loi pénitentiaire fait obligation à l’Administration pénitentiaire (donc au ministère de la Justice) d’assurer une activité en prison et ils me disaient : il n’est pas question qu’on vienne prendre notre présence bénévole dans le décompte de l’activité. Et je trouve cela d’abord normalement exigeant, mais la preuve d’une maturité qui est extrêmement stimulante dans le rapport que l’on peut établir, nourrir, approfondir entre l’institution judiciaire et votre association.

Cette maturité, cette force, cette exigence, c’est vous évidemment qui la nourrissez. C’est vous qui l’irriguez. Et si vous élisez des représentants de cette qualité, c’est justement parce qu’ils illustrent le niveau d’exigence qui règne au sein de l’association.

Evidemment, ils sont très attentifs à l’application notamment de l’article 3 de la loi pénitentiaire qui stipule que les associations concourent  au service public pénitentiaire. Mais ils sont vigilants – et ils ont raison ! Je tiens à cette vigilance parce qu’elle  est un gage d’efficacité – ils sont vigilants sur la qualité de la relation entre l’association et l’administration pénitentiaire. Et Monsieur le ministre Stoléru, cher Lionel, tu rappelais l’importance de respecter l’indépendance de cette association. Oui, je suis consciente de la nécessité de respecter cette indépendance. Je suis lucide sur cette revendication - même quand elle n’est pas  visible - d’indépendance et je suis désireuse du maintien de cette indépendance parce que c’est une condition d’enrichissement de la relation. C’est une condition de diversification de la qualité des interventions qui sont effectuées en prison.

La prison est un univers. Un univers particulier. Nous devons veiller à ce que ce ne soit pas un univers en soi. Nous devons faire en sorte que la vie sociale ne s’y interrompe pas. Elle change de nature, mais elle ne doit pas s’interrompre à l’intérieur de nos établissements pénitentiaires.

Alors nous faisons avec ce que nous avons. Nous avons hérité d’un parc pénitentiaire qui est composite, disparate, hétérogène, parce qu’il a fait l’objet de constructions à des époques différentes, sur des conceptions  différentes. Aussi bien d’architecture que de la notion même de liberté et de droit. Ce sont ces conceptions différentes qui se traduisent physiquement, matériellement, dans nos prisons. Et le fait que vous indiquiez par exemple, dans votre rapport d’activité, que la courbe de croissance des bénévoles s’infléchit certaines années, se tasse, et qu’une des raisons : c’est l’éloignement de certains établissements.  Cette observation converge avec une préoccupation que j’ai, qui concerne l’architecture carcérale. Parce que l’on sait bien depuis longtemps qu’il y a eu de très grands urbanistes, de très grands architectes et que nous avons perdu il y a deux jours un immense architecte qui a illuminé ma jeunesse, mon adolescence, c’est Oscar Niemeyer. Il y a eu Le Corbusier aussi. Il y a eu des architectes qui nous ont fait comprendre que l’architecture n’est pas neutre, que la façon de construire a une influence sur la façon d’habiter, la façon d’occuper les lieux. Il y a donc une réflexion. En tout cas la mienne. J’ai lancé une réflexion sur l’architecture carcérale car il y a à penser le lieu d’incarcération, son architecture extérieure, son insertion dans l’environnement - l’environnement géographique, l’environnement sociale – sa fonctionnalité, c’est-à-dire son organisation interne, pour la vie qui doit s’y dérouler parce que ce sont des lieux de vie en même temps que ce sont des lieux de travail. Il y a des personnels qui y passent des heures. Et puis, il y a à s’interroger bien sûr, sur le maintien du lien social : comment on reste dans des lieux où les autres peuvent venir, et en premier lieu les familles, les visiteurs de prisons, vous. Mais comment aussi, on fait en sorte que le détenu ne soit jamais totalement hors du monde, totalement hors de la société. Cette réflexion est essentielle, nous la conduisons. Et un des critères qui m’a amené, lorsque des projets n’étaient pas suffisamment avancés pour être trop couteux pour les finances publiques dans leur abandon, un des critères qui m’a conduite à supprimer un certain nombre de projet ou d’avant-projet, c’était leur location géographique. Parce que c’est une façon d’isoler le détenu. C’est une façon de compliquer les visites des familles. Et on sait que la rupture du lien familial, du lien amical, du lien social que vous compensez vous par votre présence, mais que cette rupture est anxiogène et peut être une source de désespérance au point qu’elle puisse conduire à des tentatives de suicides et parfois, malheureusement, à de réels suicides.

J’ai reçu du président de la République mission de rénover la politique pénale au nom du Gouvernement. C’est une mission que j’accomplis en m’étant fixé trois axes forts : qui sont visibles, qui sont audibles, qui sont lisibles. D’abord une circulaire générale de politique pénale publiée en septembre 2012. Je sais que je m’adresse à des étudiants, je sais que je parle à, parmi vous, des étudiants en droit, donc des personnes qui peuvent trouver intérêt à lire des documents assez peu chargés de sensualité j’en conviens, mais des documents essentiels pour la vie et pour la compréhension de ce que ce Gouvernement entend faire en matière de politique pénale, donc aussi en rendu de justice sur les actes de délinquance ou de criminalité et même d’incivilité. Cette circulaire générale de politique pénale, que je vous invite à lire si vous ne l’avez pas encore fait, quitte à lire des passages, établit très clairement les relations entre le garde des sceaux, les parquets généraux et les parquets. Pour votre génération, je crois qu’il est important de s’arrêter un moment – pas aujourd’hui – quand vous aurez lu la circulaire, quand vous aurez un moment entre vous, sur la relation entre l’exécutif et l’institution judiciaire. Vous savez nous sommes engagé dans une réforme pour l’indépendance de la magistrature, dans un objectif plus général d’une justice plus accessible pour les citoyens, d’une justice plus efficace pour les citoyens, respect des droits fondamentaux, d’une justice indépendante non pas pour les juges mais pour les justiciables pour leur garantir l’impartialité du juge. Dans cet objectif général, une politique pénale qui soit la même dans l’ensemble du territoire, c’est la responsabilité républicaine du Gouvernement de veiller à ce que la politique pénale soit la même où que se trouve le citoyen amené à avoir à faire à la justice.

Dans cette responsabilité, il est important que nous veillions à la modernisation de notre démocratie. Et c’est pour ça que dans cette circulaire générale de politique pénale, je redéfinis la relation entre le garde des sceaux, les parquets généraux et les parquets. Pour le reste, j’y énonce des principes directeurs. Ces principes directeurs sont fondés sur la nécessité de redonner de la marge d’appréciation aux juges, c’est-à-dire de postuler l’individualisation de tout le processus : la procédure, le prononcé de la sanction par rapport aux faits, par rapports aux circonstances, par rapports à la personnalité de l’auteur et les modalités d’exécution de la sanction prononcée. Cette individualisation de la sanction est indispensable. Et c’est elle que vous faites vivre aussi à travers vos relations, vos visites à l’intérieur de nos établissements. Le rapport direct que vous avez avec les détenus, la relation  qui s’établit, les combats que vous menez en tant qu’association, en tant que militants bénévoles pour les droits des détenus, notamment leur droit à l’expression collective, notamment le droit de pouvoir choisir les activités auxquelles ils peuvent participer. Vous participez à cette individualisation, parce qu’elle est essentielle.

Cette circulaire de politique pénale indique donc à la fois l’architecture des relations ‘exécutif et parquet’, énonce les principes directeurs et s’ajoute évidemment, à un programme concernant nos établissements pénitentiaires. Dans cette circulaire de politique pénale où j’indique que les prononcés des incarcérations doivent se limiter strictement aux dispositions prévues par la loi pénitentiaire de 2009. Cela entraine forcément qu’aussi bien ab initio, c’est-à-dire au moment du jugement, qu’après, au moment de l’incarcération, vers la fin, sur les reliquats de peine, les aménagements de peine qui sont actuellement prévus par le code de procédure pénale puissent être utilisés. Et en toute logique et en toute cohérence, dans le budget  de la Justice, j’ai fait inscrire des moyens croissants pour des aménagements de peine, qu’il s’agisse évidemment des travaux d’intérêt général, qu’il s’agisse des bracelets électroniques, qu’il s’agisse des quartiers de semi-liberté, qu’il s’agisse des places d’hébergement et du placement extérieur pour les libérations conditionnelles. Il y a donc parfois le doublement des budgets précédents sur les moyens d’aménagements des peines, avec évidemment le recrutement de juges d’application des peines. Ce sont eux qui prononcent l’application des peines après le jugement, avec le recrutement  de conseillers d’insertion et de probation, ce sont eux qui étudient, accompagnent les détenus de façon à décrire les conditions dans lesquelles la détention se poursuit et si ces conditions sont favorables à des prononcés d’aménagements de peine.

Evidemment, il faut un programme de construction pénitentiaire. Vous l’avez dit, Monsieur le  président du GENEPI, oui, il faut régler toute une série de situations. Je ne vais pas vous faire croire, ni à vous ni à d’autres, que nous pouvons régler rapidement la totalité des situations scandaleuses. Il y en a quelques-unes. Nous avons des situations vétustes. Nous avons des établissements où l’indignité est vraiment la règle. Le focus récent qui est fait sur la situation des Baumettes, dont vous avez raison de dire que c’est une situation connue. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a indiqué qu’il y a vingt ans de rapports sur la prison des Baumettes. C’est une situation connue. Il y a d’autres prisons qui sont dans un état proche de la situation des Baumettes. Donc, de grandes indignités pour la vie des détenus. Mais de grandes indignités, de grandes difficultés aussi pour les conditions de travail des personnels. Un quotidien insupportable pour les détenus, un quotidien extrêmement difficile, à la limite du supportable, pour les personnels pénitentiaires. Et travailler à la dignité des détenus c’est améliorer les conditions de travail  de nos personnels pénitentiaires qui portent sur leurs épaules toutes les conséquences des défauts de l’Etat. Parce que les établissements pénitentiaires, dans un état de droit, contribuent à la vie démocratique. Et lorsque l’Etat détourne le regard, retire les moyens, est en deçà de ses responsabilités, i transfert sur les épaules des personnels pénitentiaires, la responsabilité de faire vivre ces établissements. La plupart de nos établissements sont en surpopulation carcérale. C’est-à-dire que les personnels pénitentiaires doivent faire vivre et assurer la discipline dans des établissements où la sur-occupation est source de tension, est source de difficultés, est source de désespérance, est source de violence. Il est temps que l’Etat reprenne ses responsabilités. Nous n’allons pas perdre de temps. Il nous faudrait beaucoup beaucoup beaucoup de moyens. Nous en avons peu. Nous allons donc, non seulement travailler d’arrache-pied, mais favoriser la créativité, l’inventivité. Utiliser l’expérience, la réflexion des uns et des autres. Les vôtres. Celles des personnels pénitentiaires. Celles des avocats aussi qui sont en lien avec les détenus. De façon à comprendre comment, avec nos moyens actuels, nous pouvons améliorer le fonctionnement de nos établissements. Ce qui ne nous dispense pas des efforts de rénovation, et nous en faisons de grands sur  de grands établissements comme les Baumettes. Avec des constructions en plus pour les Baumettes, construction à Aix et aux Baumettes II. Mais de grandes innovations sur les Baumettes, sur Fleury-Mérogis, et sur la Santé. Des programmes de construction, mais je le rappelle systématiquement, avec une politique pénale qui permette l’aménagement des peines. Et c’est le troisième volet de cette politique pénale cohérente que je conduis : la Conférence de consensus. Parce qu’il nous faut réfléchir au sens de la peine. 

Dans ce pays il y a, y compris d’ailleurs dans les prétoires, des discussions sur la durée de la peine, sur le quantum des peines par rapport aux actes commis, sur les modalités d’exécution des peines. Mais il n’y a guère de réflexion, de discussion, il n’y a pas de débat public, sur le sens de la peine. La Conférence de consensus vise à permettre une connaissance réelle de ce que sont les peines, de ce que sont leurs effets, de ce que sont les facteurs d’aggravation la récidive et la possibilité de concevoir d’autres peines.

Merci à GENEPI pour la contribution de très grande qualité, qui a été fournie de façon à alimenter la réflexion du comité d’orientation de la Conférence de consensus. Nous devons réfléchir à la peine. Depuis l’abolition de la peine de mort, la prison joue un rôle structurant que jouait la peine de mort. Terrifiant à dire. La peine de mort a son absolu, qui n’a rien à voir avec la prison, même la prison à perpétuité. La peine de mort à son absolu, sa dimension fatale, irréversible, définitive. C’est en cela qu’elle n’est pas humaine, qu’elle est inhumaine, qu’elle est hors humanité. Elle a son absolu. Depuis l’abolition de la peine de mort, magnifique et somptueuse réforme portée par Robert Badinter, la prison semble devenue le refuge de toutes les conceptions, de tous les fantasmes, de toutes les considérations. Cette Conférence d consensus doit faire l’état de nos connaissances à nous à travers les études, mais des connaissances des autres dans des pays où des réflexions poussées ont été portées sur le sens de la prison, sur le sens de la peine, sur le fait de déconnecter des peines par rapport à la prison, de pas raisonner strictement en terme d’incarcération et d’alternative à l’incarcération. Aujourd’hui nous en sommes à l’alternative à la prison. Parce que nous refusons le renoncement de l’intelligence. Parce que nous refusons de capituler devant des défaites de la pensée, du raisonnement, de l’humanité tout simplement. Parce que nous refusons cela, nous avons impulsé cette réflexion par la conférence de consensus. Que savons-nous de la prison ? Que savons-nous des peines de probation ? Que savons-nous de l’efficacité des révocations de sursis ? Que savons-nous de toutes ces formes de peines qui ont été conçues ? De la façon dont on les exécute ? De leurs liens aux faits eux-mêmes - ce qui est lié aux politiques pénales et les politiques pénales de ces dernières années ont été bien désordonnées - ? Mais ce que nous savons surtout de l’effet de ces peines et de leur exécution par rapport aux personnalités de ces personnes et par rapport à leurs possibilités de réinsertion ? La recherche est essentielle. Je crois pour ma part – et je parle à des étudiants – que l’on ne doit jamais jamais renoncer à l’effort de la pensée et de la réflexion. C’est aussi pour cela que je fais des efforts budgétaires en faveur d’instituts de recherche et d’études. C’est pour cela que le ministère de la Justice a réactivé, dès cette année, le travail avec des organismes  de recherche et que j’ai confié un certain nombre d’études à des instituts : des instituts de la justice, et il y en a, et même à des instituts de recherche et notamment au CNRS. C’est essentiel parce que la société change, parce que les lois sont de portée générale, elles règlent notre vie commune, et que si ces lois ne sont pas correctement pensées, si la société n’est pas comprise, saisie, perçue dans ses lignes de force, dans ses défaillances, dans ses inhibitions, dans ses générosités, ses éclairs aussi, si tout cela n’est pas compris, les décisions politiques peuvent devenir  des décisions dangereuses.

Nous devons donc rassembler nos énergies, nos intelligences, les vôtres, celles de nos personnels pénitentiaires qui, quotidiennement, sont dans nos établissements et font vivre, dans des difficultés financières, budgétaires, dans un environnement physique, matériel extrêmement difficile. Rassembler aussi les intelligences et les énergies de ceux qui travaillent sur ces sujets et qui étaient à l’écart. De ceux qui travaillent au quotidien, autour, les avocats je le disais, les magistrats, les conseillers bien entendu. Mais les psychologues, les psychiatres, les sociologues, les assistants sociaux, tous ceux qui d’une façon ou d’une autre peuvent non seulement aider à ajouter de la vie dans nos établissements pénitentiaires mais peuvent nous aider à comprendre. Nous aider à décider. Il n’y a pas d’incompatibilité entre les idéo humanistes et la nécessité dans un Etat de droit d’avoir une administration pénitentiaire. D’ailleurs, un des grands directeurs de l’administration pénitentiaire, au sortir de la guerre, monsieur Paul Amor, était un grand humaniste. Il a présidé une commission de réforme des institutions pénitentiaires. Et il a proclamé au sein de cette commission que la privation de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement du détenu. Et d’ailleurs on peut considérer qu’en 2009, l’article premier de la loi pénitentiaire s’inspire de ce postulat en disant que la détention doit à la fois sanctionner contre le préjudice porté à la société, permettre l’amendement du détenu et tenir compte des préjudices subis par les victimes. Il y a donc un retour à cette conception humaniste de ce que peut être l’administration pénitentiaire. Je le disais ce ne doit pas être un univers clos. Nous devons faire en sorte que les détenus qui sont privés de liberté ne soit pas en plus dépouillés de leurs droits, ni destitués de leur humanité. C’est bien pour cela que, comme je vous le disais tout à l’heure, je tiens le plus grand compte de vos revendications sur l’expression collective et j’ai commencé la diffusion du rapport sur l’expression collective des détenus et je prendrai les décisions qui conviennent pour mettre en pratique cette expression collective. Sur la façon dont le détenu peut intervenir sur le choix des activités auxquelles il participe. Et sur la façon dont il peut tirer le meilleur profit de votre présence, de votre visite, de ce que vous apportez. Parce que le détenu reste un sujet de droit. Parce que le détenu va revenir dans la société. Et parce que nous devons faire en sorte que son passage dans les établissements pénitentiaires ne soit pas une longue plongée dans la désespérance. Ne soit pas une immersion dans les frustrations qui vont générer de la haine, n’en fasse pas un individu qui, à son retour dans la société, serait une boule de rage et de haine. Et grâce à vous, qui apportez de l’humanité, de la clarté, de la joie, de l’intelligence, du savoir, dans nos établissements, pour nos détenus, pour nos concitoyens. Grâce à vous, il y a ces raies de lumière qui entrent dans nos établissements. Mais nous devons ouvrir plus grand, plus largement et je sais que vous prendrez votre part dans cette modernisation que nous visons du fonctionnement de nos établissements pénitentiaires, dans ces moyens et ces méthodes que nous rénovons, pour que le travail de nos personnels pénitentiaires puissent prendre toute sa mesure, au service public de l’administration pénitentiaire et plus généralement de la Justice. Et grâce à vous, nous ferons en sorte que les détenus ne deviennent pas froids de couleuvre. Les froids de couleuvre comme celles dont parlait Clément Marot  qui, vous le savez a été détenu dans la prison du Châtelet et qui écrivait, c’était en 1526:

Amy, doncques,

Qu'en cestuy parc, où ton regard espends,

Une maniere il y a de Serpents,

Qui de petits viennent grands, & felons,

Non point vollants: mais traynants, & bien longs:

Et ne sont pas pourtant Couleuvres froydes.

Grâce à vous, grâce à ce que vous apportez dans nos établissements, nous ferons en sorte que nos détenus ne deviennent pas couleuvre froide.

Je vous remercie.