[Archives] Inauguration du tribunal administratif de Montreuil

Publié le 03 décembre 2009

Discours de Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

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5 minutes

Madame le Sénateur-Maire,

Madame la Présidente,

Mesdames et Messieurs les élus,

Monsieur le Vice-Président du Conseil d'Etat,

Mesdames et Messieurs,

« L'existence même du droit administratif tient du miracle », écrit Prosper Weil.

Au regard de l'histoire des institutions, la soumission de l'administration à la loi relève en effet du miracle. En mettant fin au XIXe siècle à l'irresponsabilité de la puissance publique, le droit administratif a consacré l'avènement d'un régime légaliste.

Aujourd'hui, le contrôle de légalité s'exerce sur les actes administratifs de l'Etat, des collectivités et des établissements publics.

Ce modèle est adopté par un nombre croissant d'Etats, en Europe et au-delà des frontières européennes. Il contribue au rayonnement international du système juridique français.

Mesdames et Messieurs,

La justice administrative est ancrée dans nos institutions. Pour autant, elle doit faire face aujourd'hui à de nouveaux défis :

  • défi d'un contentieux de masse, qui encombre les juridictions et ralentit les procédures,
  • défi de la complexification des normes et de leur internationalisation,
  • défi des exigences de nos concitoyens, qui veulent une justice plus réactive, plus efficace, encore plus respectueuse du contradictoire.

Face à ces défis, la justice administrative peut faire valoir ses atouts. L'ouverture du tribunal administratif de Montreuil illustre son dynamisme, clé de sa modernisation.

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La juridiction administrative sait s'adapter pour répondre aux attentes des justiciables. Le nouveau tribunal administratif de Montreuil en est une illustration.

Nous le savons tous, la lenteur des procédures est le principal reproche fait à la justice administrative.

La réponse de la juridiction administrative, c'est l'adaptation.

Par le renforcement des moyens.

Moyens matériels. Le tribunal administratif de Montreuil est le troisième tribunal à être inauguré depuis 2004. Il permettra d'améliorer la situation des tribunaux de Versailles et de Cergy-Pontoise.

Moyens humains aussi. Le nombre de magistrats et de greffiers a été renforcé ces dernières années. L'effort sera poursuivi, avec 150 nouveaux emplois prévus d'ici 2011, dont 70 magistrats.

Adaptation aussi des procédures.

Les procédures d'urgence ont permis de gagner en réactivité.

Les modalités de l'audience facilitent la compréhension. Les « rapporteurs publics » ont remplacé les « commissaires du gouvernement ». Leur nouvelle dénomination éclaire la réalité de leur fonction : exposer, en toute indépendance, le raisonnement le plus conforme au droit.

Le développement de l'oralité à l'audience renforce l'appropriation du procès par les parties.

A Montreuil, des expérimentations sont menées dans deux domaines :

  • l'intervention du rapporteur public à l'audience avant les observations des parties. C'est un moyen intéressant de renforcer le contradictoire.
  • la dématérialisation des procédures, facteur de rapidité.

D'ores et déjà, pour l'ensemble de la juridiction administrative, les résultats obtenus sont impressionnants.

Entre 2002 et 2008, le nombre de dossiers traités par magistrats a augmenté de 25 à 30 %. Les délais de jugement ont été réduits de 50 % devant les cours administratives d'appel et d'environ 20 % devant les tribunaux administratifs.

C'est dire les efforts consentis par les juges administratifs.

Pour autant, la qualité de leur travail ne se mesure pas seulement en nombre de dossiers traités, mais aussi en qualité du traitement. Pour chaque cas, les magistrats administratifs effectuent un travail consciencieux, animé par leur sens du devoir et de l'intérêt général. Le résultat, c'est un taux d'appel particulièrement faible. La plupart des litiges trouvent leur règlement devant les tribunaux administratifs. Permettez-moi de le saluer.

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Mesdames et Messieurs,

La juridiction administrative s'est engagée dans une démarche de modernisation sans précédent. Il faut aller encore plus loin.

Trois objectifs doivent nous guider.

Anticiper les nouvelles missions du juge administratif.

La question prioritaire de constitutionnalité permettra au justiciable de contester la constitutionnalité d'une loi devant les juges administratifs. La loi organique d'application adoptée le 24 novembre dernier entrera en vigueur le 1er mars 2010.

J'ai souhaité faire parvenir aux juges administratifs un CD ROM contenant la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Il facilitera les décisions à rendre au regard des questions déjà traitées.

De nouveaux types de contentieux apparaissent. Certains sont des contentieux de masse, tel peut-être celui du droit au logement opposable. Il faut s'y préparer.

Le deuxième objectif est donc la poursuite de la modernisation des procédures.

Beaucoup a été fait par la juridiction administrative. Pour autant, elle ne peut agir seule. Ma conviction est que l'effort doit être mieux réparti entre l'administration et son juge.

Pour certains contentieux stéréotypés, répétitifs, dans lesquelles les questions de fait importent autant que les questions de droit, le recours administratif préalable obligatoire à la saisine du juge est une solution efficace.

C'est un gain pour l'usager. Il y trouve l'occasion d'un dialogue réel avec l'administration. C'est aussi un gain pour l'administration. Le dialogue avec l'usager lui permet de détecter les mauvaises pratiques et de mieux identifier ses dysfonctionnements.

En matière de fonction publique militaire, un recours administratif préalable obligatoire a été mis en œuvre sur la base de la loi du 30 juin 2000. Au regard du nombre d'affaires traités et de la rapidité des procédures, c'est un succès.

Pourquoi un tel recours n'a-t-il pas été même expérimenté pour la fonction publique civile, plus de neuf ans après la loi ? Je ne me l'explique pas.

Autre exemple : le retrait de permis de conduire pour défaut de points. De nombreuses décisions d'annulation sont prononcées chaque mois. Pourquoi, là aussi, ne pas introduire un recours administratif préalable obligatoire ?

Il est grand temps de rouvrir le dossier des recours administratifs préalables obligatoires. Je mobiliserai tous les moyens pour qu'une expérimentation soit mise en œuvre dans ce domaine le plus rapidement possible.

Troisième objectif, la clarification du statut des juges administratifs.

On ne peut pas demander toujours davantage aux juges administratifs sans en tirer les conséquences. Par leurs missions comme par leurs valeurs, les juges administratifs sont des magistrats. Les garanties d'indépendance et d'inamovibilité en sont le corollaire.

Aujourd'hui, les textes réglementaires régissant leur statut mentionnent indifféremment les noms de « conseiller de tribunal administratif », de « membre de tribunal administratif » et parfois de « magistrat ».

Je veux que le statut des juges administratifs soit mieux défini par la loi. Il faut que la loi consacre une fois pour toute la dénomination de magistrat des juridictions administratives.

Par ailleurs, je veux renforcer les liens entre le Conseil d'Etat et les tribunaux administratifs. Je souhaite élargir les possibilités de nomination des magistrats des tribunaux administratifs au conseil d'Etat.

La nomination de magistrats des tribunaux administratifs au tour extérieur doit être consolidée par la loi. La procédure de nomination au grade de maître des requêtes sera désormais annuelle.

Des fonctions d'inspection des juridictions administratives au Conseil d'Etat seront réservées aux magistrats ayant exercé les fonctions de président d'un tribunal administratif.

Pour l'ensemble de ces mesures, un projet de loi existe. Je souhaite pouvoir le porter au Parlement prochainement.

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Mesdames et Messieurs,

La juridiction administrative est résolument tournée vers l'avenir. Ce nouveau tribunal administratif en est l'illustration concrète.

Magistrats du tribunal de Montreuil, comme tous les magistrats de l'ordre administratif, vous contribuez tous les jours au fonctionnement d'une institution vitale pour l'Etat de droit. Par votre engagement, par vos valeurs, par votre sens de l'intérêt général, vous faites honneur à la Justice de notre pays.

Avec vous, je veux construire la juridiction administrative de demain, avec détermination, avec conviction, dans l'intérêt de la France. Je veux vous dire ma confiance, mon estime et ma reconnaissance.

Je vous remercie.

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