[Archives] Actes authentiques dans l'espace judiciaire européen

Publié le 06 octobre 2008

Discours de Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux, Ministre de la justice - Conseil supérieur du notariat

Monsieur le Président de la Commission des Affaires juridiques,
Monsieur le Président du Conseil supérieur du notariat, cher Bernard,
Mesdames et Messieurs,

Conseil supérieur du notariat - Crédits photos C  MONTAGNE

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Permettez-moi, tout d'abord, de remercier Bernard Reynis et le Conseil supérieur du notariat d'avoir accueilli cette manifestation de la Présidence française de l'Union européenne.

Les notaires français et européens ont toujours manifesté un intérêt à la création d'une culture juridique européenne. Votre expérience et votre engagement au sein de l'Union sont particulièrement précieux.

La présidence française souhaite rendre l'Europe plus proche de ses citoyens. C'est une préoccupation que Jacques Barrot partage également : il vous le dira ce soir. La réflexion que nous lançons aujourd'hui sur la circulation des actes authentiques contribuera à faire avancer la liberté d'aller et venir dans l'Union Européenne.

Je veux remercier spécialement le Président Gargani de sa présence à Paris, pour marquer sa volonté de faire progresser l'Europe de la Justice. La Commission des Affaires Juridiques du Parlement européen s'est d'ailleurs saisie du dossier de l'acte authentique européen.

Evoquer les actes authentiques, ce n'est pas une question théorique, c'est parler de notre quotidien à tous, c'est dresser l'inventaire de ce qui reste à construire en Europe.

L'Europe a déjà réussi à offrir à ses citoyens un espace de libre circulation. Il reste à faire vivre l'Europe de la Justice.

- 8 millions de citoyens européens vivent dans un Etat membre qui n'est pas le leur. Ils viennent suivre leurs études, travailler, passer leur retraite ;
- 10 millions de couples bi-nationaux existent à travers l'Union ;
- 170 000 divorces par an impliquent des conjoints de nationalités différentes.

Rachida Dati et Bernard Reynis, Président du conseil supérieur du Notariat - Crédits photos C. MONTAGNE

Dans les modes de vie, dans les actes de la vie quotidienne, la libre circulation est devenue une réalité.

Les frontières humaines sont tombées, mais les frontières juridiques restent encore ! L'espace de liberté, de sécurité et de justice se heurte à de nombreux obstacles.

Le film que nous avons vu il y a quelques minutes nous a montré les difficultés rencontrées par un couple et une entreprise. Ils sont aux prises avec les difficultés juridiques qu'entraînent des droits et des systèmes procéduraux différents.

Les témoignages de ce jeune couple et de cette entreprise traduisent bien les limites de la construction européenne. La liberté de circulation n'est pas achevée, elle n'est pas encore une réalité, ni pour les citoyens et leurs familles, ni pour les entreprises.
Les jugements ou les décisions prises dans un Etat ne peuvent pas toujours être exécutés dans un autre Etat membre de façon satisfaisante.

C'est notamment le cas pour les actes authentiques.

 

Ce qui fait la force d'un acte authentique, c'est sa nature juridique. L'acte authentique est délivré au nom de l'Etat, au nom de la puissance publique, par une autorité publique comme le notaire. C'est la garantie de son authenticité. C'est surtout une sécurité juridique qui est offerte à nos concitoyens.
Aujourd'hui, l'acte authentique est présent dans la vie quotidienne : contrat de mariage, donation, testament, procuration, acte de vente, contrat entre sociétés...

Il est présent dans la vie des familles et dans la vie des entreprises.

La notion d'acte authentique est une réalité reconnue à travers l'Europe. Elle est déjà présente dans les textes européens de coopération judiciaire civile et dans la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes.

Vous le savez, vingt et un pays européens connaissent la notion d'acte authentique.

Il est important de réfléchir à la façon dont ces actes pourraient circuler plus facilement en Europe.

Permettez-moi de prendre un exemple :

Une personne âgée qui vit en Allemagne veut acheter un appartement en Espagne. Le jour de la signature du contrat de vente, elle ne peut se déplacer en Espagne. Son notaire allemand établit une procuration. Mais celle-ci n'aura de valeur en Espagne que si elle a été reconnue officiellement par les autorités espagnoles....

C'est une procédure qui complique inutilement les choses.

Des avancées importantes ont été enregistrées :

- Les actes authentiques qui constatent une créance ont aujourd'hui la même force que certains jugements, quand il faut recourir à leur exécution forcée dans un autre pays ;

- Ces actes peuvent même circuler selon les règles du titre exécutoire européen, ce qui signifie une suppression totale de l'exequatur.

Nous devons encore progresser pour que les effets des actes authentiques soient mutuellement reconnus.

Nous devons agir pour avancer. Notre objectif est clair : faciliter le quotidien de ceux qui sont amenés à se déplacer régulièrement d'un pays à l'autre. L'Europe ne doit pas être là pour compliquer. L'Europe est là pour simplifier.

Cette volonté, nous la mettons en œuvre dans d'autres domaines. Je pense par exemple au recouvrement des pensions alimentaires, ou à la société privée européenne.

Nous avons aussi besoin de développer la reconnaissance mutuelle des actes authentiques. Il faut qu'un acte authentique passé dans n'importe quel Etat membre soit reconnu de la même façon dans les autres Etats membres.

Tous les éléments de fait ou de droit que cet acte authentique constate doivent être pris en considération de façon identique dans tous les autres Etats.

C'est intentionnellement que je parle de reconnaissance mutuelle des actes authentiques. La création d'un véritable acte authentique européen se fera dans un second temps.

Les débats actuels de la commission JURI le montrent très bien : les systèmes juridiques nationaux sont très divers. Il y a notamment les systèmes continentaux et ceux de common law.

Il faut respecter cette diversité et, en même temps, resserrer les liens entre nos systèmes juridiques.

L'Europe de la Justice s'est construite sur un principe : la confiance mutuelle.

C'est toujours une première étape avant la réalisation d'instruments uniques de coopération. Il faut construire l'Europe de la Justice avec pragmatisme et réalisme.

La reconnaissance mutuelle doit porter sur tous les types d'actes. Jusqu'ici, nous avons beaucoup raisonné secteur par secteur.

Il est temps d'avoir une approche plus ambitieuse. Il faut examiner les conditions à mettre en œuvre pour qu'un acte authentique puisse circuler librement en Europe.

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Mesdames et Messieurs,

Je compte sur vous pour y réfléchir, sans tabou, afin de renforcer la confiance mutuelle entre tous les Etats.

Les professions juridiques et judiciaires contribuent très largement au débat sur la culture judiciaire européenne. Par leur expérience, elles apportent une véritable plus-value.

C'est pour cela que je souhaite que les professions soient associées au Réseau judiciaire européen. Il gagnera encore en efficacité.

Le rapport Lamassoure a montré que les citoyens étaient trop souvent des oubliés de l'action de la Communauté en faveur de la libre circulation des personnes. Aujourd'hui, vous avez l'occasion de prouver le contraire.

Permettez-moi de vous souhaiter un excellent colloque et de vous rappeler que nous serons très attentifs aux conclusions de vos travaux.

Je vous remercie.