[Archives] Interdiction de la peine de mort

Publié le 07 février 2007

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux au Sénat concernant le projet de loi

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Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

La peine de mort ne laisse personne indifférent, même dans un pays comme le nôtre où elle a été abolie, il y a maintenant plus de 25 ans.

Elle fut un débat politique majeur, dans les assemblées, dans les prétoires, dans les lieux publics ou simplement dans l’intimité des consciences. Elle eut ses défenseurs et ses pourfendeurs. Aujourd’hui, je voudrais vous demander de l’exclure clairement, et définitivement, du champ des discussions et des propositions politiques.

Nous devons montrer que la peine de mort n’a de place que dans les livres d’histoire et marquer cette volonté en l’inscrivant au cœur de notre pacte fondamental, dans le texte même de notre constitution. C’est le sens du projet de loi constitutionnelle qui vous est présenté aujourd’hui.

Votre rapporteur le sait bien, je fus moi-même un adversaire de l’abolition, et accessoirement un de ses adversaires.

Il y a vingt-six ans, je pensais naïvement que la peine de mort détruisait des vies pour en sauver d’autres. Je croyais que la mort était un supplice terrible, mais qu’elle était légitimée par l’horreur du crime commis par le coupable.

J’avais oublié que la peine de mort n’est pas un acte de justice, mais une pratique barbare.

Il est un moment où chaque homme est seul avec son intime conviction, avec ses principes.

Parmi ces principes, nul n’est plus important que celui qui vous réunit aujourd’hui : la vie humaine a un caractère inviolable et sacré. Chaque femme, chaque homme ne peut être réduit aux atrocités qu’il a pu commettre. Il a avant tout une part d’humanité que nous devons protéger, entretenir, parfois sauver. On juge une société à ses membres, mais aussi à ses règles. Dans ses Réflexions sur la guillotine, Albert Camus écrivait très justement que la peine de mort « n’est pas moins révoltante que le crime et que, loin de réparer l’offense au corps social, elle ajoute une nouvelle souillure à la première ». Eliminer d’autres hommes n’est pas une règle propre à une société évoluée.

D’autant plus que la justice humaine est faillible. Elle est nécessaire, mais elle conserve une capacité d’appréciation, qui parfois peut mener à une erreur.
Le juge, dans sa difficile mission de dire le droit et le juste, peut se tromper. L’erreur judiciaire est un scandale et la peine de mort ne se contente pas d’en aggraver les effets, elle transforme fondamentalement la condamnation en crime de la société, que la France soit en paix ou en temps de guerre.

Aujourd’hui, j’imagine avec effroi un procureur placé sous mon autorité requérir la peine de mort contre un criminel, quel que soit l’horreur de son crime. J’imagine le poids de ma responsabilité, en tant que Garde des Sceaux, en lisant ces quelques mots elliptiques et hypocrites sur un décret du Président de la République : « décide de laisser la justice suivre son cours ». Le terme de la justice ne peut être l’exécution capitale, ce serait abandonner toute foi dans la dignité humaine.

C’est pourquoi la peine la plus grave encourue par l’auteur d’une infraction doit être la réclusion criminelle à perpétuité.
La prison à vie, même si elle est réduite à une peine de sûreté, est une épreuve terrible pour les condamnés et suffit largement à faire craindre la justice aux criminels.

Comme tant d’autres Français, j’ai évolué sur cette question. Une majorité d’entre eux est désormais favorable à l’abolition de la peine de mort, mais cette majorité reste précaire. Je fais maintenant partie de cette majorité, mais je sais que nous ne sommes pas encore tous sur cette ligne.

Je veux donc me tourner en priorité vers ceux qui croient que la peine de mort est le meilleur instrument de prévention du crime, qu’elle inspire la peur et pousse à réfréner les pulsions.

Ce n’est pas vrai.

La peine de mort satisfait simplement un esprit de vengeance. Et la vengeance est un instinct que combat la justice. La vengeance abaisse la société qui l’emploie. La vengeance nous éloigne de l’Etat de droit.

Comme l’écrivait le célèbre auteur du traité des délits et des peines, Cesare Beccaria, « si je prouve que cette peine n’est ni utile ni nécessaire, j’aurai fait triompher la cause de l’humanité ».

Justement, elle est inutile. La peine de mort n’a jamais sauvé de vies et elle n’a jamais retenu l’arme d’un crime, même lorsque la justice est expéditive. Les taux de criminalité ou de décès par mort violente dans les pays ayant conservé la peine de mort sont là pour nous le prouver. Les Etats abolitionnistes ne sont pas les pays où la criminalité est la plus élevée, bien au contraire. Ce sont des pays où l’échelle des peines intègre le respect de l’homme, où la fermeté n’est pas la complice du crime.

La peine de mort n’est pas non plus nécessaire pour garantir la sécurité aux citoyens. Le droit à la sûreté est réellement un droit de l’homme. Mais la sécurité se construit aussi par le respect des droits des justiciables.

Ces droits ne sont plus bafoués en France par la peine de mort. La peine de mort fut pour beaucoup un combat de longue haleine, votre rapporteur en a vécu les grandes heures. Pour d’autres, elle fut une prise de conscience, plus ou moins tardive.

Ce combat n’est pas terminé et donne l’occasion à chacun d’œuvrer, désormais, en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort.

Ce choix n’est pas seulement celui du Président de la République qui s’en est fait l’avocat inlassable et qui a personnellement voulu que ce projet aboutisse.
Ce n’est pas celui du gouvernement et des assemblées dont les membres plaident l’abolition de la peine de mort dans leurs déplacements internationaux. C’est celui de la collectivité nationale toute entière, fière et rassemblée autour des droits de l’homme, quelles que soient les frontières politiques.

L’abolition de la peine de mort par la loi du 9 octobre 1981 a permis à la France, en 1986, de ratifier le protocole n° 6 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme concernant l’abolition de la peine de mort en temps de paix. Ce protocole permet néanmoins le rétablissement de la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre. La France souhaite maintenant que tous les pays puissent écarter cette hypothèse.

Le mouvement international en faveur de l’abolition se traduit par deux nouvelles conventions : le protocole n° 13 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, abolissant la peine de mort en toutes circonstances et le deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New-York le 15 décembre 1989.

La France n’a ratifié aujourd’hui aucun de ces deux textes. Elle ne souhaite pourtant pas rester à l’écart de ces initiatives qui portent un message conforme à ses valeurs.

Dans sa décision du 13 octobre 2005, le Conseil Constitutionnel a jugé qu’une révision constitutionnelle était nécessaire pour que la France puisse ratifier le deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans la mesure où celui-ci ne comporte pas de clause de dénonciation et prescrit une abolition définitive de la peine de mort.

Il méconnaît donc les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale, car cet engagement serait irréversible.

Il n’existe qu’un seul dispositif juridique pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel : modifier notre loi fondamentale, comme nous l’avons fait par le passé pour d’autres textes internationaux, notamment lors de la ratification par la France du Traité de Rome instituant une Cour Pénale Internationale.

La révision constitutionnelle prendra place à l’article 66-1 de la Constitution au sein du titre VIII sur l’autorité judiciaire. Elle dispose que « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Notre pays rejoindra ainsi les 16 pays européens et les 45 Etats dans le monde qui ont inscrit dans leur texte fondamental l’abolition de la peine de mort. La France ne sera donc pas la première nation à entamer cette démarche.
C’est regrettable, mais elle doit continuer d’avancer sur cette voie. C’est pourquoi cette révision est nécessaire.

Elle montrera en outre que les crimes de guerre, aussi terribles soient-ils, ne doivent pas être punis de la peine de mort. On ne répond pas à l’horreur par la barbarie. Nos principes ne s’arrêtent pas aux portes des conflits.

Tel n’est malheureusement pas encore l’avis de tous les pays membres de l’Organisation des Nations Unies où les Etats abolitionnistes « en toutes circonstances » demeurent minoritaires. Quels que soient nos conceptions de la politique étrangère, il en va de notre devoir commun d’œuvrer à l’avenir, par notre action diplomatique, à la proscription de la peine de mort.

Déjà, de nombreux pays condamnent des criminels à la peine de mort, mais n’exécutent plus les jugements. Il nous faut les aider à mettre en conformité le fait et le droit. L’existence d’une vie humaine ne peut être suspendue au seul droit de grâce, droit nécessaire, mais bien trop aléatoire pour satisfaire l’exigence de justice.

Ce combat est plus difficile dans les pays qui considèrent que la mort n’est qu’une peine normale et banale. La société civile doit continuer à se mobiliser et elle doit savoir qu’elle n’est pas seule à lutter pour le respect des droits de l’homme. La France est à ses côtés.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Il y a 26 ans, votre vote permettait de mettre un terme aux exécutions capitales dans notre pays.

Aujourd’hui, votre vote permettra de rendre tout retour en arrière irréversible et de faire avancer la cause des droits de l’homme partout dans le monde.