[Archives] Congrès d’Ensemble Contre la Peine de Mort

Publié le 02 février 2007

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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Monsieur le Président,
Monsieur le Délégué général,
Mesdames et Messieurs,

Je remercie les organisateurs de votre congrès de me donner l’occasion de vous présenter les raisons de l’inscription de l’abolition de la peine de mort dans notre constitution. C’est un geste très fort et je m’efforcerai de vous présenter les motivations qui ont conduit le Président de la République, Jacques Chirac, à lancer cette procédure.

Le Président de la République est un adversaire de longue date de la peine de mort et un avocat de l’abolitionnisme dans toutes ses rencontres internationales. L’honneur lui revient aujourd’hui de faire aboutir une procédure constitutionnelle qui rend impossible tout retour en arrière en France.

La peine de mort ne laisse personne indifférent, même dans un pays comme le nôtre où elle a été abolie, il y a maintenant plus de 25 ans.

C’est aussi de cela dont je voudrais vous parler, en toute sincérité et en toute franchise.

Il y a trois jours, j’étais à l’Assemblée Nationale et je demandais aux députés d’inscrire l’abolition de la peine de mort dans notre constitution. En montant à la tribune, je me suis souvenu que, jeune député, j’en avais gravi les marches pour dire exactement l’inverse. On reproche parfois aux hommes politiques de changer d’avis et de manquer de constance dans leurs positions. Ce que je regrette, c’est de ne pas avoir changé d’avis plus tôt.

Il y a vingt-six ans, je pensais simplement que la peine de mort détruisait des vies pour en sauver d’autres. Je pensais que la peur de la guillotine permettait à des innocents d’éviter d’être mortellement agressés. Je croyais que la sanction suprême pouvait même faire réfléchir les fous au moment de passer à l’acte.

J’avais oublié que la peine de mort n’est pas un acte de justice, mais une pratique barbare.

Je me garderai bien de juger le passé ou de porter un jugement sur ceux qui en ont décidé autrement. Je serais mal placé pour le faire. Je sais simplement qu’un responsable politique doit s’efforcer d’éclairer l’avenir par ses convictions, d’indiquer le chemin, non pas d’une société idéale mais d’une société possible et plus juste. La vie dans notre société est possible et plus juste sans la peine de mort.

J’ai mis longtemps à la comprendre. J’ai fait mon chemin de Damas, comme le disent les écritures, et j’ai changé d’avis.

Il est un moment où chaque homme est seul avec son intime conviction, avec ses principes.

Parmi ces principes, nul n’est plus important que celui qui vous réunit aujourd’hui : la vie humaine a un caractère inviolable et sacré. Chaque femme, chaque homme ne peut être réduit aux atrocités qu’il a pu commettre. Il a avant tout une part d’humanité que nous devons protéger, entretenir, parfois sauver. On juge une société à ses membres, mais aussi à ses règles. Eliminer d’autres hommes n’est pas une règle propre à une société évoluée.

D’autant plus que la justice humaine est faillible. Elle est nécessaire, mais elle conserve une capacité d’appréciation, qui parfois peut mener à une erreur. Le juge, dans sa difficile mission de dire le droit et le juste, peut se tromper.
L’erreur judiciaire est un scandale et la peine de mort ne se contente pas d’en aggraver les effets, elle transforme fondamentalement la condamnation en crime de la société, que la France soit en paix ou en temps de guerre.

Aujourd’hui, j’imagine avec effroi un procureur placé sous mon autorité requérir la peine de mort contre un criminel, quel que soit l’horreur de son crime. J’imagine le poids de ma responsabilité si j’avais à présenter au président de la République un dossier de recours en grâce et qu’il me demande d’une voix égale « comment l’opinion publique le prendrait-elle si je commuais la peine en réclusion criminelle à perpétuité ? ». J’imagine encore moins lire ces quelques mots hypocrites sur un décret : « décide de laisser la justice suivre son cours ». Le terme de la justice ne peut être l’exécution capitale, ce serait abandonner toute foi dans la dignité humaine.

C’est pourquoi la peine la plus grave encourue par l’auteur d’une infraction doit être la réclusion criminelle à perpétuité.
La prison à vie, même si elle est réduite à une peine de sûreté, est une épreuve terrible pour les condamnés et suffit largement à faire craindre la justice aux criminels. C’est la liberté qui fait rêver les hommes, c’est pour elle qu’ils peuvent réaliser ce qu’il y a de meilleur en eux. C’est aussi pour cela que je crois en la capacité de tout être, quelles que soit ses fautes, à s’amender.

Le temps des supplices est terminé : la peine sert à écarter le danger que fait peser un criminel sur la société, à due proportion de ses actes, et à réinsérer ceux qui en ont la volonté.

J’ajoute souvent, à l’attention de ceux qui ne partagent malheureusement pas notre conception de l’homme, que la peine de mort est inefficace, quel que soit le pays en cause et son niveau de développement.

La peine de mort satisfait simplement un esprit de vengeance. Et la vengeance est un instinct que combat la justice. La vengeance abaisse la société qui l’emploie. La vengeance nous éloigne de l’Etat de droit.

Comme l’écrivait le célèbre auteur du traité des délits et des peines, Cesare Beccaria, « si je prouve que cette peine n’est ni utile ni nécessaire, j’aurai fait triompher la cause de l’humanité ».

Justement, elle est inutile. La peine de mort n’a jamais sauvé de vies et elle n’a jamais retenu l’arme d’un crime, même lorsque la justice est expéditive. Les taux de criminalité ou de décès par mort violente dans les pays ayant conservé la peine de mort sont là pour nous le prouver. Les Etats abolitionnistes ne sont pas les pays où la criminalité est la plus élevée, bien au contraire. Ce sont des pays où l’échelle des peines intègre le respect de l’homme, où la fermeté n’est pas la complice du crime.

La peine de mort n’est pas non plus nécessaire pour garantir aux citoyens la sécurité. Je crois que le droit de vivre en sécurité est réellement un droit de l’homme. Mais la sécurité se construit aussi par le respect des droits des justiciables.

Aujourd’hui, je ne suis pas seulement un converti, je suis devenu un militant abolitionniste ; un militant tardif, mais un militant convaincu.

Mes fonctions me conduisent souvent à me rendre à l’étranger ou à recevoir des ministres de la Justice d’autres pays. Ils n’aiment pas que l’on attente à leur souveraineté et que ce sujet soit abordé. Pourtant, je ne l’oublie jamais.

Au moment du procès de Zacharias Moussaoui aux Etats-Unis, j’ai rencontré l’attorney general, Monsieur Alvaro Gonzales.

Je lui ai rappelé la position de la France sur la peine de mort. Si la France coopère avec les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme, je rappelle qu’elle avait obtenu la garantie que les informations transmises ne seraient pas utilisées directement ou indirectement à l'appui d'une réquisition de la peine capitale. Je me suis réjoui qu’une telle condamnation n’ait pas été prononcée.

Plus récemment, il y a quelques semaines, je me suis rendu en Chine pour défendre l’attractivité internationale du droit continental et du droit français en particulier. J’en ai profité pour faire part à mes homologues de notre préoccupation sur la peine de mort. Je constate que la mobilisation de la société civile et de la communauté internationale commence à porter ses fruits. Désormais, la Cour Suprême chinoise a décidé de centraliser les appels contre les jugements de peine capitale. C’est un premier pas qui réduira certainement les erreurs judiciaires patentes. Mais ce n’est qu’un premier pas. Je suis convaincu qu’avec un peu de temps, et beaucoup d’efforts, la Chine finira pas abolir la peine de mort.
Les autorités chinoises savent bien elles-mêmes que ce temps finira par arriver.

Au mois de mars, je me rendrai au Viêt-Nam. Je n’occulterai pas cette question, si difficile soit-elle.

Mon exemple est celui de tant d’autres Français. Aujourd’hui, une majorité, encore précaire, mais une majorité tout de même, est hostile au rétablissement de la peine de mort. Les pays de l’Union européenne sont tous désormais de cet avis et il nous reste maintenant à convaincre tous les hommes et tous les pays qui restent partisans de la peine capitale.

Ces terres de mission, nous les connaissons tous. Ce sont en priorité les pays qui condamnent et qui exécutent des condamnés. La plupart savent qu’ils seront amenés bientôt à réviser leurs positions et ils veulent que nous accompagnions leur évolution.
Nous le ferons.
D’autres restent persuadés que la mort n’est qu’une peine normale et banale. Notre exemple ne suffira pas à les convaincre et la société civile engagée dans ce combat doit savoir qu’elle n’est pas seule à lutter pour le respect des droits de l’homme.

Je tenais à vous le dire personnellement : la France est à vos côtés.

Ensemble, nous devons également aider les pays qui n’ont pas franchi le cap de l’abolition, mais où la peine de mort reste prononcée sans être exécutée. Nous ne pouvons qu’inciter leurs dirigeants à nous rejoindre et à garantir le respect de la vie humaine dans leur droit pénal. Car il n’est pas bon que seule la volonté d’un homme puisse arrêter une telle décision de la justice. Je suis favorable au droit de grâce, mais il n’est qu’un moyen de réduire les erreurs judiciaires, il n’est pas un outil normal de politique pénale.

Pour marquer sa détermination, la France veut s’engager plus avant dans le mouvement international en faveur de l’abolition.

L’abolition de la peine de mort par la loi du 9 octobre 1981 a permis à la France, en 1986, de ratifier le protocole n° 6 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme concernant l’abolition de la peine de mort en temps de paix. Ce protocole permet néanmoins le rétablissement de la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre.

La France souhaite maintenant que tous les pays puissent écarter cette hypothèse. Ainsi, elle veut pouvoir ratifier deux nouvelles conventions : le protocole n° 13 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, abolissant la peine de mort en toutes circonstances et le deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New-York le 15 décembre 1989.

A l’heure actuelle, notre constitution nous interdit de le faire, comme l’a confirmé le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 13 octobre 2005. En effet, le deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques ne comporte pas de clause de dénonciation et prescrit une abolition définitive et irréversible de la peine de mort. Par conséquent, il méconnaît les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.

Il n’existe qu’un seul dispositif juridique pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel : modifier notre loi fondamentale. C’est pourquoi le gouvernement a déposé un projet de loi constitutionnelle, actuellement en discussion au Sénat. Il prévoit d’introduire un article 66-1 de la Constitution au sein du titre VIII sur l’autorité judiciaire. Il disposera que « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Notre pays rejoindra ainsi les 16 pays européens et les 45 Etats dans le monde qui ont inscrit dans leur texte fondamental l’abolition de la peine de mort. La France ne sera donc pas la première nation à entamer cette démarche. C’est regrettable car je crois qu’elle a un rôle majeur à jouer dans la promotion des droits de l’homme au niveau international. Mais elle ne peut rester à l’écart. C’est pourquoi cette révision est nécessaire. Elle montrera en outre que les crimes de guerre, aussi terribles soient-ils, ne doivent pas être punis de la peine de mort. On ne répond pas à l’horreur par la barbarie. Nos principes ne s’arrêtent pas aux portes des conflits.

Mesdames et Messieurs,

Le débat sur la peine de mort en France illustre bien les aléas et les difficultés de l’abolition.

Dans un pays aussi attaché aux droits de l’homme, aussi influencé par un héritage spirituel respectueux de la vie, la peine de mort n’a disparue qu’il y a une génération. Ceux qui ne l’ont pas connue peinent à imaginer qu’elle ait pu exister dans notre pays.

Cette révolution des mentalités résulte en grande partie de votre mobilisation et de l’engagement d’associations telles que la vôtre. Patiemment, avec courage et abnégation, vous avez fait évoluer les esprits.

La France n’était qu’une étape. Le combat international que vous poursuivez n’aura de cesse tant qu’un seul pays conserve la peine de mort dans sa législation criminelle. Dans ce combat, je serai à vos côtés.

Je vous remercie de votre attention.