[Archives] Visite au Foyer éducatif de Thiais

Publié le 16 février 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

Temps de lecture :

7 minutes

Monsieur le Préfet,
Monsieur le Député Maire,
Monsieur le Directeur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse,
Monsieur le Procureur de la République,
Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance,
Monsieur le Directeur Régional de la Protection Judiciaire de la Jeunesse,
Madame la Directrice Départementale,
Monsieur le Vice Président de l’Association Jean Cotxet,
Madame la Directrice du foyer,
Mesdames et Messieurs,

Je viens de visiter le foyer éducatif de THIAIS et je tiens à vous dire toute l’admiration que j’ai pour le travail que vous y accomplissez.
Cette visite m’a permis de rencontrer les jeunes, d’échanger avec eux. J’ai pu mesurer l’importance de votre tâche qui permet d’assurer la meilleure prise en charge éducative des mineurs qui vous sont confiés. Vous accueillez principalement des mineurs en danger, des jeunes majeurs et quelques mineurs étrangers isolés, placés sur décision de justice.

Je voudrais saluer en quelques mots le travail accompli par l’association Jean Cotxet, dont le Vice-président ainsi que le directeur général et plusieurs membres de l’association sont aujourd’hui présents. Il n’est pas anodin de souligner que cette association pour la protection et l’éducation de l’enfance, créée le 22 juin 1959 par le Président du tribunal pour enfants de PARIS, Pierre BRISSE, a vu le jour six mois après l’ordonnance du 23 décembre 1958, texte fondateur de la protection de l’enfance en danger.

L’action de votre association repose sur l’écoute et la prise en compte du jeune en tant que sujet de droit, sur le respect qui lui est dû, quelle que soit son histoire, sur la reconnaissance du rôle de la famille. Elle se fonde également sur la conduite de l’enfant vers l’autonomie, afin que celui-ci trouve toute sa place au sein de notre société.

Vous avez su insuffler ces principes fondateurs aux 900 salariés que compte votre association.

Si les internats éducatifs de THIAIS fonctionnent de manière aussi satisfaisante, c’est grâce à l’existence d’un projet éducatif clair et précis et à la présence d’une équipe éducative solide. C’est aussi grâce aux passerelles qui existent entre les trois structures que sont la maison mère, qui accueille des jeunes entre 16 et 18 ans, le pavillon, qui héberge les plus jeunes de 12 à 16 ans et le service des appartements destinés aux jeunes majeurs.
Par ailleurs, des partenariats fructueux ont été établis avec l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance: l’aide sociale à l’enfance, la protection judiciaire de la jeunesse, l’éducation nationale et bien sur avec les magistrats de la jeunesse du Tribunal de Grande Instance de CRETEIL, venus plusieurs fois visiter votre établissement afin d’exposer leurs attentes.

Vous êtes, en tant qu’éducateurs, confrontés depuis longtemps à des situations multiples, douloureuses, parfois inédites, qui demandent un savoir-faire, une patience, un humanisme acquis quotidiennement au contact des jeunes qui vous sont confiés. Vous avez ainsi pu constater que certains parents dénient la maltraitance, que les jeunes n’osent pas parler des violences qu’ils ont subies et que les détresses physiques et psychologiques de ces enfants sont considérables.

Vous avez également pu voir que lorsque ces jeunes sont mis en confiance, ils sont à même de retrouver l’espoir. Vous avez enfin pu mesurer l’importance du travail avec la famille pour restaurer des liens familiaux.

Le travail de la psychologue au sein de votre structure démontre toute l’importance de la prise en charge des problèmes de santé mentale de ces jeunes et la nécessité de renforcer le lien avec le secteur thérapeutique.

J’ajoute qu’il existe au sein de votre foyer une place en accueil d’urgence. Cette place est indispensable pour répondre à des situations qui exigent un temps spécifique permettant à l’adolescent de souffler lors d’une situation de crise.
Vous oeuvrez donc à cette action prioritaire que constitue pour moi la protection de l’enfance. Celle-ci fait l’objet aujourd’hui, pour de multiples raisons, d’une attention particulière et renouvelée.

En 2005, 113 000 mineurs en danger ont fait l’objet de décisions des juges des enfants.

Si notre dispositif de protection de l’enfance fonctionne globalement de manière satisfaisante, il reste certaines failles. Les drames d’Outreau, d’Angers ou de Drancy, pour ne citer que les plus récents et médiatisés, ont révélé combien il était nécessaire d’intervenir le plus en amont possible pour protéger les enfants et éviter que les situations ne se dégradent. Au-delà des affaires médiatisées, je suis frappé par les constats convergents posés par tous ceux qui ont examiné, au cours de ces dernières années, notre système de protection de l’enfance. Leurs analyses doivent nous conduire à considérer que le moment est venu de le repenser et d’agir en conséquence.

En effet, de nombreux rapports parlementaires, notamment ceux de Philippe NOGRIX et de Louis de BROISSIA, ont proposé des pistes d’amélioration de notre dispositif. L’appel des 100 en septembre 2005 a souhaité que les pouvoirs publics organisent un grand débat public sur cette question. Cet appel a coïncidé avec la remise du premier rapport de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger (ONED) qui a élaboré de nombreuses pistes de travail. Enfin, la mission parlementaire, conduite par Valérie PECRESSE et Patrick BLOCHE, sur la famille et les droits des enfants a rendu un rapport dans lequel figure une centaine de propositions dont la moitié concerne l’amélioration de la protection de l’enfance.

Dans le champ de la protection sociale, c’est Philippe BAS, ministre délégué à la Famille, qui conduit cette réforme. Je la conduis dans le champ judiciaire. Tout cela se fait en parfaite concertation.

Parce que la protection de l’enfance est double,

  • sociale, lorsqu’elle est mise en œuvre par le conseil général,
  • judiciaire, lorsqu’elle est mise en œuvre par les magistrats de la jeunesse,

je veux vous dire aujourd’hui combien je m’investis pleinement dans cette réforme et vous préciser les axes que je privilégierai pour la conduire, dans le domaine qui est le mien : la protection judiciaire de l’enfance en danger.

A ma demande, les magistrats de la jeunesse participent aux débats organisés par les départements sur la réforme de la protection de l’enfance et prennent part au comité national de réflexion mis en place par le ministre délégué à la Famille. Ils ont également largement contribué à la réflexion qui s’est tenue lors des 12 journées thématiques regroupant des professionnels de l’enfance, représentatifs de tous les secteurs et des mouvements associatifs. Parmi ces journées, quatre d’entre elles ont été organisées par mes services. Des magistrats du Tribunal de Grande Instance de CRETEIL, ainsi que la directrice générale adjointe du pôle enfance-famille du conseil général du Val de Marne ont d’ailleurs pu y assister, en faisant part de leur expérience.

Je souhaite mener à bien ce vaste chantier en privilégiant six axes de travail :

  • Mieux prendre en compte les droits de l’enfant en rendant l’audition de l’enfant plus systématique dans le cadre des procédures devant le Juge aux Affaires Familiales.
    Nos engagements internationaux, notamment la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ratifiée par la France en 1990 et le règlement Bruxelles II bis, entré en vigueur en mars 2005, nous y encouragent.
    Il faut progresser sur ce point. Je proposerai donc une modification de l’article 388-1 du code civil pour que disparaisse du texte actuel la possibilité laissée au juge de refuser l’audition d’un enfant doué de discernement. Le juge aura donc la possibilité d’entendre lui-même le mineur, soit, si l’intérêt de l’enfant le commande, de le faire entendre par un tiers qualifié.
  • Améliorer l’articulation entre protection sociale et judiciaire
    Cela exige une définition claire des missions et compétences de chacun pour rendre plus cohérent et plus lisible le dispositif de protection de l’enfance.
    Je suis favorable, comme de nombreux rapports le préconisent, à la mise en place d’une entité repérable au sein des conseils généraux destinée à regrouper l’ensemble des informations préoccupantes concernant des mineurs, qui procède à leur analyse, puis à leur traitement.
    Dans un souci de cohérence, il faut, dans un même temps, que le Conseil Général puisse saisir l’autorité judiciaire de toutes les situations, enfants en danger ou présumés l’être, lorsque toute collaboration avec la famille s’avère impossible, et non plus seulement lorsqu’ils sont maltraités, comme c’est le cas aujourd’hui. Il est nécessaire de modifier notre législation en ce sens.
  • Faire évoluer notre législation pour donner un cadre juridique au partage de l’information entre professionnels de l’enfance :
    Trop d’affaires récentes ont démontré combien l’éparpillement des informations a pu retarder l’analyse et le traitement efficace de graves situations de danger.
    Il faut que ces détenteurs d’informations soient à même de les recouper et de reconstituer le puzzle.
    Il convient donc de sécuriser l’activité professionnelle des acteurs sociaux de terrain en organisant un partage de l’information qui soit inscrit dans la loi. Cette consécration législative permettra de déterminer un cadre juridique de nature à garantir la confidentialité des informations partagées.
  • Diversifier les modes de prises en charge des mineurs afin de les individualiser davantage :
    Il me parait indispensable d’introduire dans les textes des pratiques innovantes, je pense par exemple aux accueils de jour des mineurs, que Louis de BROISSIA a réperés dans certains départements. Ceux-ci permettent de trouver une voie médiane entre les mesures d’assistance éducative classiques et le placement.
  • Coordonner de manière plus efficace la justice des mineurs
    La coordination de la justice des mineurs doit être améliorée à la fois au sein de la juridiction entre juges des affaires familiales et juges d’enfants, notamment pour éviter des décisions contradictoires à l’égard d’un même mineur, et vis-à-vis des partenaires extérieurs afin de la rendre plus lisible.
  • Développer la formation des magistrats de la jeunesse
    Je n’oublie pas l’importance de la formation des magistrats de la jeunesse. J’étais à l’ENM, à BORDEAUX il y a quinze jours, pour la prestation de serment des auditeurs et je sais combien la formation tant initiale que continue des magistrats est essentielle dans ce domaine.

Nos efforts en matière de protection de l’enfance doivent être double :

  • mettre en place des formations pluridisciplinaires en faveur des professionnels de l’enfance.
  • intensifier la formation dispensée à l’occasion d’un changement de fonction, par exemple , lorsque l’on devient juge des enfants en ayant occupé d’autres fonctions précédemment.

Merci à tous pour votre accueil à THIAIS. Vous avez compris l’importance que j’attache au renouveau de la protection de l’enfance, et les enjeux que cette réforme comporte. Je reste persuadé qu’au-delà des modifications législatives et organisationnelles ce sont les pratiques professionnelles qui doivent évoluer en profondeur.