[Archives] Acquittements dans l'affaire d'Outreau

Publié le 01 décembre 2005

Intervention du Garde des Sceaux

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Mesdames et Messieurs,

La Cour d’Assises d’Appel de Paris vient de rendre son verdict dans l’affaire d’Outreau. Elle a prononcé l’acquittement des six personnes qui avaient fait appel de leur condamnation de première instance. Au total 13 personnes ont donc été acquittées, alors que certaines d’entre elles avaient effectué de nombreux mois de détention provisoire et même parfois des années.
Depuis 18 mois, c’est-à-dire depuis le premier procès d’Outreau, cette affaire a suscité une émotion considérable.

Je me suis jusqu’à présent volontairement abstenu de toute déclaration sur cette affaire car il n’appartient pas au Ministre de la Justice de commenter une procédure en cours. Aujourd’hui la justice a rendu son verdict.

A la demande du Président de la République qui a suivi, jours après jours, cette affaire et qui m’a fait part de son émotion, j’ai décidé de m’exprimer solennellement devant vous.

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En prenant cette décision à l’issue d’un procès que tout le monde s’accorde à qualifier d’exemplaire, la Cour d’Assises de Paris a mis un terme au dossier judiciaire. Elle n’a pas mis un terme à l’affaire d’OUTREAU.

En effet, cette immense erreur judiciaire appelle certainement des réparations, peut-être des sanctions, et elle impose que nous en tirions vite toutes les conséquences.

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Mais avant, je voudrais vous dire maintenant que la justice est passée, l’émotion du Gouvernement et la mienne devant toutes ces vies gâchées. Des vies ont été brisées, l’un des mis en examen s’est même suicidé en prison, des familles ont éclaté, des réputations ont été durablement mises à mal, des enfants ont été privés de leurs parents.

Qu’y a-t-il de pire que de ne pas voir grandir son enfant lorsque l’on est privé de liberté par la force d’une justice injuste ? Ce que l’on a fait subir à ces 14 personnes est insupportable.

En tant que Ministre de la Justice, je présente mes excuses à tous les acquittés et à leurs familles. Ce ne sont pas les excuses d’un homme. Ce sont les excuses de l’institution judiciaire que je représente. Il est important que je le dise, ici, publiquement.

La faute a été publique, publique doit être la réparation.

Mais ces excuses, je les présenterai également, de vive voix, dans quelques jours ou quelques semaines aux acquittés. Comme l’avait fait mon prédécesseur, je leur propose, en effet, de les recevoir à la Chancellerie.
Cette invitation s’étendra à l’ensemble des acquittés en première instance et en appel. J’ai pu observer, en effet, la solidarité qui les a unis pendant toute la procédure.

Bien évidemment la réparation doit également être financière, même si ce n’est pas l’essentiel. Tout ce qui a été fait pour les acquittés de Saint-Omer le sera aussi pour ceux de Paris.

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Mais personne ne peut imaginer que des indemnisations, aussi justes soient-elles, suffisent à solder un tel désastre judiciaire.

Cette affaire a révélé de graves dysfonctionnements judiciaires. Certains sont peut-être susceptibles de constituer des fautes. Tous appellent des réponses rapides et adaptées.

Je veux que les Français sachent que je suis décidé à aller au fond des choses.

Le Président de la République, dès qu’a été connue la décision de la cour d’assises d’appel de Paris, a demandé de saisir l’inspection générale des services judiciaires.

En accord avec le Premier ministre, je viens de signer la lettre de mission.

Dans le respect de l’indépendance de la magistrature et donc sans qu’il soit porté d’appréciation sur le fond même des décisions juridictionnelles, il convient que l’inspection fasse toute la lumière sur les circonstances dans lesquelles cette procédure s’est déroulée.

Il faut, en effet, rechercher les fautes ou les insuffisances professionnelles qui sont, le cas échéant, à l’origine de ce désastre. Les investigations de l’inspection doivent porter sur toute la chaîne judiciaire.

J’ai conscience qu’une telle inspection est sans précédent. J’ai néanmoins décidé de la demander compte tenu de l’extrême gravité de cette affaire.

Je veux comprendre pour mieux prévenir le renouvellement de telles erreurs.

J’attends les premières conclusions de cette inspection dès le mois de février prochain.

J’en tirerai immédiatement toutes les conséquences, y compris, le cas échéant, par la saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature, organe disciplinaire des magistrats.

En accord avec le Premier Ministre, je vais également saisir, conjointement avec mes collègues de l’Intérieur et de la Santé, nos trois inspections générales afin qu’une réflexion commune soit engagée sur les modalités du signalement et de la prise en charge aux plans social, policier et judiciaire des suspicions ou des dénonciations de violences sexuelles sur des mineurs.

Personne ne doit, en effet, oublier qu’il y a dans cette affaire de petites victimes dont la protection reste l’un de mes premiers soucis.

Nous en tirerons bien sûr toutes les conséquences comme j’ai décidé de tirer celles des travaux de la commission réunie à la suite du premier procès d’Outreau et présidée par le Procureur Général VIOUT.

D’ores et déjà des conséquences ont été tirées par voie de circulaire, s’agissant notamment du recueil de la parole des enfants, d’autres le seront dans les semaines qui viennent par un décret et un projet de loi.

Dans le cadre de ce projet de loi, je proposerai notamment à la représentation nationale :

  • des règles qui permettront un recours plus systématique à la co-saisine des juges d’instruction dans les dossiers complexes ou difficiles.
  • La possibilité pour la chambre de l’instruction de procéder à une analyse complète et publique du dossier, à chaque fois qu’il y aura détention provisoire et que celle-ci aura duré six mois.

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Cette dramatique affaire est une tache sur la justice. Mais elle n’est pas toute la justice.

Dans la plupart de ses dossiers, la Justice Française fonctionne bien. La très grande majorité des magistrats français sont des femmes et des hommes de conscience et de compétence.

Mais la justice française souffre de deux maux contre lesquels il est impératif de lutter et je souhaite que tous les magistrats le comprennent :

  • plus encore que beaucoup d’autres institutions, la justice française peine à se remettre en cause ;
  • elle a du mal, ensuite à sanctionner les magistrats qui ont manqué à leurs devoirs.
    Vous savez que le Chef de l’Etat m’a chargé d’une mission de réflexion sur la responsabilité des magistrats. Je lui remettrai mes conclusions au cours des prochaines semaines après les avoir soumises, comme il me l’a demandé au Conseil Supérieur de la Magistrature.
  • d’ores et déjà je proposerai que les erreurs grossières et manifestes d’appréciation soient sanctionnées, à côté des fautes disciplinaires classiques. Cette proposition a déjà été avancée par le Conseil de l’Europe, pour lequel l’erreur grossière d’appréciation traduit une absence fautive de professionnalisme, quant elle est d’une gravité particulière.
  • je proposerai également de mettre en place une procédure qui conduise la justice en cas de dysfonctionnement judiciaire majeur, à réexaminer ses propres pratiques.

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Mesdames et Messieurs,

Le dossier dont nous venons de connaître l’épilogue judiciaire est dramatique pour les personnes qui ont été injustement poursuivies. Il est aussi dramatique pour les petites victimes que nous ne devons pas oublier.

Mais il est également dramatique parce qu’il risque d’affecter la confiance que les français doivent avoir dans leur justice.

C’est parce qu’il est de ma responsabilité de Garde des Sceaux de préserver et de renforcer cette confiance que je m’engage aujourd’hui à tirer très rapidement, dans la sérénité, mais avec fermeté tous les enseignements que ce dossier implique.