[Archives] Projet de révision constitutionnelle charte de l'environnement

Publié le 23 juin 2004

Discours de Dominique Perben au Sénat

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17 minutes

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Vous engagez aujourd’hui le débat consacré à la Charte constitutionnelle de l’environnement qui a été votée en première lecture mardi dernier 1er juin par l’Assemblée Nationale.

Le texte qui vous est soumis revêt une grande valeur symbolique, voire historique. La déclaration de 1789 a affirmé l’exercice des libertés, le préambule de la Constitution de 1946 a garanti des droits sociaux. L’ambition de la Charte de l’environnement de 2004 est d’ouvrir une troisième génération des droits de l’homme, le droit à l’environnement, en défendant les valeurs de responsabilité de chacun à l’égard de l’environnement et de solidarité avec les autres peuples et les générations futures.

Comme l’a rappelé le Président de la République, lors du sommet mondial sur le développement durable à Johannesburg le 2 septembre 2002, ce texte répond à plusieurs défis :

  • Le premier, et le plus important, est de permettre au politique d’apporter des réponses à la gravité et à la globalité des menaces qui pèsent sur notre environnement.

Cette prise de conscience des risques écologiques a été rendue possible par quelques grandes catastrophes, ponctuelles mais graves, comme l’assèchement de la mer d’Aral, l’accident de Tchernobyl ou les multiples marées noires, de l’Amoco Cadiz en 1978 à l’accident du Prestige en 2002, mais aussi par l’apparition de problèmes plus globaux, comme la contamination des nappes phréatiques, l’effet de serre ou le réchauffement de la planète qu’il implique.

Elle s’est traduite par une forte demande sociale, souvent relayée par des associations, à laquelle le pouvoir politique ne saurait rester sourd.

  • Le deuxième défi est en quelque sorte historique : cela fait plus de trente ans que le pouvoir politique, s’est efforcé, pour répondre à l’attente des citoyens, de construire un droit de l’environnement, et de lui donner une portée toujours plus grande.

Le résultat est un droit à la fois très innovant mais aussi très technique, parce que sectoriel. C’est une « prolifération juridique », puisque 30 grandes lois sur l’environnement ont été adoptées de 1975 à 2003.

La loi Barnier du 2 février 1995, codifiée aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l’environnement a certes inscrit les principes fondamentaux du droit de l’environnement, destinés à inspirer l’action publique, et notamment celle du législateur. Sa portée est restée toutefois limitée, compte tenu de sa place dans la hiérarchie des normes.

La « constitutionnalisation » est nécessaire, car elle seule permettra d’introduire plus de cohérence dans les politiques de l’environnement mises en œuvre. Elle seule permettra que les principes affirmés ne soient pas remis en cause au gré des lois successives.

  • Le troisième défi enfin est d’ordre international.

Sur le plan juridique tout d’abord, l’absence de références à l’environnement dans la Constitution française est d’autant moins concevable que se développent un droit international et un droit communautaire qui peuvent s’imposer au législateur ou qui sont parfois d’applicabilité directe.

Les conférences de Stockholm en 1972, puis de Rio vingt ans plus tard et enfin de Johannesburg en 2002 ont joué un rôle fondamental d’impulsion pour le droit international de l’environnement. Elles ont favorisé la diffusion de certains principes dont s’inspirent les dispositions les plus récentes de ce droit.

Pour le droit international, c’est le cas par exemple, de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information et la participation du public du 25 juin 1998, entrée en vigueur en France le 6 octobre 2002 et qui s’impose au législateur.

C’est surtout le cas du droit communautaire qui non seulement prime sur la loi ordinaire mais est aussi régi par le principe de l’effet direct.

Ce n’est qu’en 1986 que l’Acte Unique européen a fait entrer l’environnement dans les traités fondateurs. Depuis, les traités de Maastricht en 1992 et d’Amsterdam en 1999 ont très largement développé le contenu de la politique communautaire d’environnement. L’article 6 du traité instituant la Communauté européenne pose le principe d’intégration de l’environnement dans les politiques communautaires et surtout l’article 174 de ce même traité consacre ce droit communautaire de l’environnement et fait référence au principe de précaution, sans toutefois le définir.

Enfin, sur la base de ces traités et des directives, la jurisprudence communautaire a fait œuvre prétorienne puisqu’elle a consacré le principe de précaution comme un principe général du droit communautaire par deux arrêts du tribunal de première instance des communautés européennes rendus en novembre 2002 et en octobre 2003.

Puisque le droit communautaire ne s’impose pas à la Constitution, l’inscription du droit de l’environnement dans la Constitution présente dès lors un intérêt majeur.

Il existe une autre légitimation de la « constitutionnalisation » du droit à l’environnement : elle est d’ordre politique. La France qui défend une politique active et ambitieuse en matière d’environnement sur la scène diplomatique, dont témoigne notamment l’engagement du chef de l’Etat au sommet de Johannesburg en août 2002, ne saurait faire preuve de frilosité en droit interne. Je rappelle en outre que nombre d’Etats disposent déjà d’une référence à la protection de l’environnement dans leur Constitution. C’est le cas de 11 de nos partenaires européens. La France est donc en retard dans ce domaine.

C’est pour répondre à ces trois défis que le Président de la République a déclaré le 3 mai 2001 à Orléans, puis le 18 mars 2002 à Avranches qu’il souhaitait que le droit de l’environnement soit inscrit dans une Charte adossée à la Constitution aux côtés des droits de l’homme et des droits économiques et sociaux.

Je voudrais vous rappeler brièvement les grandes orientations du texte qui vous est soumis (I) et commenter les apports de l’Assemblée nationale (II).

I - A : La Charte de l’environnement qui a fait l’objet d’une élaboration originale se caractérise par un engagement en faveur d’une « écologie humaniste » et par la proclamation conjointe de droits et de devoirs :

  • Je voudrais tout d’abord rappeler que ce texte a fait l’objet d’un processus de maturation original et démocratique bien avant l’ouverture de la procédure parlementaire. En effet, c’est à une commission constituée le 26 juin 2002 sous la présidence de M. Coppens, paléontologue et professeur au Collège de France, qu’a été confiée la mission d’élaborer un projet de Charte en éclairant ses enjeux.

Cette commission, composée de 18 membres représentant tous les secteurs concernés par la problématique de l’environnement à savoir des élus, des experts scientifiques et juridiques, des représentants des partenaires sociaux, des associations et des entreprises, a procédé à de nombreuses consultations afin de remettre un texte qui puisse servir de base au travail gouvernemental et parlementaire.

Par ailleurs, les contributions recueillies à l’occasion du questionnaire adressé à plus de 55 000 acteurs régionaux et des 14 assises territoriales ont permis de prendre en compte les avis de la société civile et d’alimenter les réflexions de la Commission.

C’est sur la base de ce texte remis au Président de la République que mes services, en liaison avec le ministère de l’écologie et du développement durable, ont élaboré un projet de révision constitutionnelle arbitré par le Chef de l’Etat et qui a été adopté en Conseil des ministres le 25 juin 2003.

Ce texte est donc le fruit d’un débat démocratique, et transparent, tel que le promeut la Convention d’Aarhus et tel que le proclame l’article 7 de la Charte elle-même.

Ce débat s’est bien évidemment poursuivi devant l’Assemblée Nationale, dont les apports furent importants. J’y reviendrai ultérieurement.

- En second lieu, je souligne que le gouvernement a fait le choix d’une « écologie humaniste » puisque sur les 7 considérants, 6 se réfèrent expressément à l’homme ou à l’humanité. Une « écologie humaniste » est une écologie qui scelle l’alliance de l’environnement, de la science et du progrès économique au service de l’homme. La Charte ne saurait être un obstacle au progrès et à la recherche scientifiques et technologiques, mais doit leur offrir un cadre favorable en les inscrivant dans la durée.

La préservation de l’environnement est en effet qualifiée par le 6ème considérant « d’intérêt fondamental de la Nation » au même titre que le sont l’indépendance de la Nation, sa sécurité, sa défense, sa diplomatie ou la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger. Cela signifie nettement que le droit à l’environnement ne saurait être un droit absolu et qu’une conciliation devra être opérée entre la préservation de l’environnement et les autres intérêts fondamentaux de la Nation.

  • Enfin, la Charte proclame conjointement des droits et des devoirs. Une fois modifié, le préambule de la Constitution renverra « aux droits et aux devoirs définis dans la Charte de l’environnement ». Ce choix qui est une option fondatrice clairement affichée par le chef de l’Etat résulte de l’éthique de responsabilité dont il a voulu que la Charte s’inspire.

Cette proclamation conjointe de droits et de devoirs existe déjà dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le code de l’environnement dispose aussi qu’il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde de l’environnement. Enfin, cette idée apparaît dans la convention de Rio de 1992 et dans la Convention d’Aarhus de 1998.

La Charte essaye, dans ses différents articles, de traduire cet équilibre entre des droits et des devoirs.

L’article 1er proclame le droit de chaque être humain à un environnement équilibré et respectueux de la santé humaine.

  • L’article 2 proclame le devoir de la préservation et de l’amélioration de l’environnement. Il impose que toute personne prenne part à cette préservation, ce qui signifie que si chacun doit y contribuer, cette participation ne saurait être équivalente pour tous. C’est un devoir proportionné à la place, aux responsabilités et aux activités des personnes qui y sont tenues.
  • L’article 3 affirme un devoir de prévention qui est fondamental du point de vue de la politique de l’environnement. Pour être efficace, la protection de l’environnement passe d’abord par la prévention. Ce devoir porte sur chaque personne mais il est défini de manière réaliste puisque celle-ci est tenue de prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement.
  • L’article 4 pose un devoir de réparation. Son objectif, qui est plus large que celui du principe pollueur-payeur, est de permettre la réparation d’un dommage à l’environnement, conçu comme un patrimoine commun, alors même qu’aucune personne ne serait lésée, dans sa personne ou dans ses biens, par ce dommage. Il permet de prendre en compte des dégâts qui, aujourd’hui ne le sont pas et notamment le « dommage écologique pur ». Il pose également le principe d’une contribution à la réparation : celle-ci peut être partielle ou totale. Il faut tenir compte des hypothèses où les dommages causés sont sans commune mesure avec les moyens du responsable. Il est alors nécessaire d’éviter l’absence de réparation par défaillance ou insolvabilité. Cet article donne une assise juridique plus large à l’indemnisation des victimes des pollutions tout en responsabilisant les pollueurs.
  • L’article 5 énonce le principe de précaution qui incombe aux autorités publiques et sur lequel je reviendrai.
  • L’article 6 intègre l’exigence de développement durable dans l’ensemble des politiques publiques. Son objet est de concilier les trois piliers du développement durable que sont la protection de l’environnement, le développement économique et le progrès social. Il ne s’agit pas de freiner le développement mais de l’inscrire dans la durée. Cet article va plus loin que l’actuel article L. 110-1 du code de l’environnement qui limitait l’objectif du développement durable aux actions de protection de l’environnement.
  • L’article 7 proclame le droit des citoyens à l’information et à la participation à l’élaboration des décisions publiques en matière d’environnement. Le droit à l’accès aux informations relatives à l’environnement est caractérisé par de nombreuses sources internationales, notamment la Convention d’Aarhus ainsi que par des directives communautaires. L’adoption d’une disposition constitutionnelle offre un socle à l’intervention du législateur. La portée de ce droit constitutionnel n’est toutefois pas absolue puisque le législateur pourra en fixer les limites qui pourront aller jusqu’à l’exception opposée à l’exercice de ce droit, notamment lorsque sera en jeu la protection de secrets légitimes.
  • L’article 8 fixe un objectif aux politiques publiques en matière d’éducation et de formation. Il est la traduction du souhait exprimé par le Président de la République dans son discours d’Orléans du 3 mai 2001 : « (…) Parce que l’écologie est au cœur de la citoyenneté, elle doit faire partie des programmes d’enseignement dès l’école primaire, pour apprendre à nos enfants les lois de la nature et les gestes qui la protègent ».
  • L’article 9 souligne que la recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement. Cette disposition prend en compte les attentes exprimées lors de la consultation nationale et est une réponse apportée aux chercheurs soucieux des risques de paralysie de leurs travaux. Elle se concilie en outre avec le principe constitutionnel d’indépendance et de liberté des enseignants-chercheurs.
  • Enfin, l’article 10 précise que la Charte inspire l’action européenne et internationale de la France. Il signifie que la France s’impose de promouvoir, en Europe et dans le monde, une écologie humaniste, dans une logique d’intérêt commun à tous les peuples et de solidarité avec les générations futures. Il s’agit donc de l’énoncé d’un objectif d’action.

I - B) La crainte a parfois été exprimée qu’en renforçant le bloc de constitutionnalité, la Charte ne réduise le pouvoir du législateur. Cette crainte, très largement infondée, devrait disparaître complètement du fait de l’adoption d’un amendement par l’Assemblée Nationale.

En effet, à l’exception de l’article 5 qui consacre un principe constitutionnel qui est d’applicabilité directe, les autres articles de la Charte énoncent des objectifs de valeur constitutionnelle, dont la mise en œuvre requière l’intervention du législateur.

C’est le cas pour l’article 1er qui institue un droit-créance, le droit à un environnement équilibré et favorable à la santé qui exige une action positive de la part du législateur. L’effectivité de ce droit est subordonnée à l’intervention de la loi. C’est aussi le cas des exigences posées aux articles 2 à 4. De la même manière, les nouvelles dimensions des politiques publiques ouvertes par les articles 6 à 10 invitent le législateur à intervenir pour mettre en œuvre les objectifs constitutionnels.

L’article 7 va encore plus loin, puisque le législateur devra définir les conditions et les limites du droit constitutionnel d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.

La concision des termes inscrits dans la Constitution laissera au législateur une grande marge de manœuvre pour préciser et définir les politiques qu’il entend mener en matière d’environnement.

Il appartiendra certes au Conseil constitutionnel d’exercer son contrôle sur les lois au regard de ces objectifs qui, intégrés au bloc de constitutionnalité, auront pleine valeur constitutionnelle. Mais ces objectifs seront conciliés avec d’autres règles constitutionnelles et ne pourront revêtir un caractère absolu.

La Charte confortera également l’action du législateur en ce qu’elle lui assurera des normes supra-législatives durables et stables face à un droit communautaire en constante évolution.

2) La Charte permettra également de guider les décisions des juges. Le droit de l’environnement actuel est touffu, imprécis, complexe, on l’a vu, parce qu’il est caractérisé souvent par une multitude de textes d’origine interne, communautaire ou internationale, et par la jurisprudence, parfois incertaine et fluctuante.

Le principe de précaution a en été un exemple frappant.

Bien que ce principe ait été reconnu dans les textes internationaux et européens de portée contraignante, il n’a jamais fait l’objet d’une véritable définition.

Le juge communautaire en a fait un principe général du droit imposant aux autorités concernées de prendre dans le cadre précis de leurs compétences des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l’environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques. Mais il ne l’a pas plus défini.

Quant au juge national, s’il est resté mesuré dans son application, il n’a à ce jour donné aucune véritable interprétation jurisprudentielle du principe de précaution tel qu’il est inscrit dans la loi Barnier du 2 février 1995.

Manifeste ou latent, ce principe se diffuse dans l’ensemble de l’ordre juridique national et européen sans avoir de véritable définition, en étant parfois appliqué dans des domaines qui relèvent de la prévention.

La Charte de l’environnement va permettre de lever ce flou juridique en encadrant de manière claire le principe de précaution. On ne peut mesurer la portée de cet article qu’en le comparant au droit actuel, à l’égard duquel il présente un véritable progrès en matière de sécurité juridique.

L’article 5 énonce les conditions d’application du principe de précaution. Il prévoit trois conditions pour l’application du principe : il faut que la réalisation d’un dommage soit incertaine en l’état des connaissances scientifiques, que ce dommage soit causé à l’environnement et enfin qu’il soit à la fois grave et irréversible. J’insiste sur ces trois conditions : elles sont cumulatives et restrictives.

Elles impliquent que l’on ne saurait confondre le principe de précaution – qui ne pourra être mis en œuvre qu’en cas d’incertitude scientifique – avec la prévention qui n’intervient qu’en cas de risque certain de dommage.

Le domaine de la prévention est étendu. Il fonde une stratégie globale de traitement des risques. En effet, le plus souvent, les risques sont avérés. Ce qui relève de l’incertain, c’est seulement le degré de probabilité du risque ou la date de sa réalisation. C’est le cas classique des risques naturels, avalanches, inondations ou des pollutions d’origine industrielle, dont on connaît le caractère dangereux.

Le domaine du principe de précaution, c’est celui du risque incertain. Le risque est possible. Mais les études scientifiques sont encore partagées sur l’existence même de ce risque.

Je vous rassure. On ne demandera pas aux autorités publiques, et notamment aux élus locaux, de trancher des débats scientifiques, mais simplement de constater l’existence de ces débats.

Les activités qui relèvent du principe de précaution, c’est par exemple la culture d’organismes génétiquement modifiés, parce qu’il y a une incertitude scientifique en ce qui concerne leur impact sur le génome d’autres plantes et des espèces animales. C’est aussi l’utilisation de certains insecticides, parce qu’il n’existe pas au sein de la communauté scientifique de consensus sur l’impact de ces produits sur la mortalité des abeilles. C’est encore la question du réchauffement climatique et de l’effet de serre.

J’espère par ces quelques propos vous avoir indiqué la distinction fondamentale entre la prévention et le principe de précaution.

Je voudrais insister enfin sur un dernier point : la méconnaissance éventuelle du principe de précaution n’aura aucune incidence sur le plan pénal. Elle ne pourra en effet être considérée par les juridictions pénales comme un « manquement à l’obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », éléments constitutifs des délits non intentionnels prévus par le code pénal.

En effet, la loi pénale est d’interprétation stricte. Le principe de légalité des délits et des peines impose des textes clairs et précis et interdit au juge de raisonner par extension, analogie ou induction. Il exclut donc la possibilité qu’un texte à valeur constitutionnelle serve de fondement à la caractérisation de cette faute qui ne peut résulter que de l’inobservation d’une loi ou d’un règlement.

La Charte ne modifie donc pas le régime de responsabilité pénale des élus locaux issu de la loi « Fauchon ».

II - Je souhaite maintenant évoquer les apports de l’Assemblée Nationale, qui revêtent à mes yeux une réelle importance.

II - A) Le premier point sur lequel je voudrais insister concerne l’extension de la compétence du législateur et l’amendement qui a été adopté et vient compléter l’article 34 de la Constitution.

L’Assemblée Nationale a adopté un article additionnel après l’article 2 qui conforte et inscrit dans la Constitution le principe de l’intervention du législateur en matière d’environnement. Cet amendement ne remet pas en cause l’équilibre global du texte, mais il l’explicite et le précise.

Le Parlement avait déjà fait usage de son pouvoir législatif en matière d’environnement, comme en témoignent de nombreuses lois, mais la situation restait incertaine du fait du silence de l’article 34 de la Constitution.

Elle est désormais clarifiée. L’ajout apporté à l’article 34 permet de renforcer la cohérence du dispositif juridique dans ce domaine qui est au cœur des préoccupations des citoyens et des pouvoirs publics.

C’était du reste l’une des propositions de la Commission Coppens. Certains constitutionnalistes s’étaient également prononcés en ce sens.

En ce qui concerne les articles 1er, 2, 6, 8 et 9 de la Charte, cet amendement ne fait que préciser explicitement qu’il appartiendra au législateur de déterminer les conditions de mise en œuvre des objectifs à valeur constitutionnelle figurant dans ces articles. S’agissant des articles 3, 4 et 7, il précise l’étendue de la compétence du législateur : la loi devra fixer les principes fondamentaux s’agissant de la préservation de l’environnement.

Enfin, pour ce qui est de l’article 5 et du principe de précaution, ce nouvel article ne remet pas en cause son caractère d’applicabilité directe. Toutefois il est désormais clair que, sans être un préalable nécessaire, l’intervention du législateur sera néanmoins possible.

II - B) Le deuxième apport de l’Assemblée Nationale est l’amélioration de la rédaction de certains articles.

En ce qui concerne l’article 1er de la Charte, les députés ont proposé de modifier le texte en retenant l’expression d’ « un environnement respectueux de la santé ». Cette rédaction est plus adaptée et plus conforme au fait que cet article n’énonce pas un droit subjectif à caractère thérapeutique.

En effet, la précédente rédaction de l’article, « favorable à sa santé », pouvait sembler établir une protection de la santé de chaque individu, en dépit de ses particularités personnelles et de sa plus ou moins grande sensibilité à l’environnement, laquelle est extrêmement variable, si l’on songe aux allergies ou à l’asthme par exemple. L’objectif de l’article est de promouvoir un environnement plus sain et non de prétendre protéger chacun contre toute maladie.

  • L’Assemblée Nationale a également modifié l’article 3 de la Charte relatif au devoir de prévention en précisant que chaque personne devait prévenir les atteintes qu’elle était susceptible de porter à l’environnement ou « à défaut en limiter les conséquences ». Cette amélioration rédactionnelle permet d’accroître la cohérence de cette disposition.
  • S’agissant de l’article 5, les députés ont adopté trois amendements qui précisent les conditions d’application du principe de précaution.

Le premier amendement avait pour objet d’indiquer que l’intervention des autorités publiques ne pouvait s’effectuer que dans leurs domaines d’attributions. Cette précision, au demeurant implicite dans le texte initial, dès lors qu’une autorité publique ne peut naturellement intervenir que dans son champ de compétence, a paru toutefois nécessaire.

En effet, la notion d’ « autorités publiques », qui reprend un terme utilisé notamment en droit communautaire, renvoie à des personnes publiques dotées d’un pouvoir normatif, soit législatif, soit réglementaire : c’est à dire l’Etat et ses services déconcentrés, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que certaines autorités indépendantes dotées d’un pouvoir réglementaire.

Pour autant, il faut souligner que compte tenu des conditions d’application du principe de précaution et notamment de la nature des risques pris en compte par la Charte, les collectivités locales ne seront que très rarement appelées à mettre en œuvre cet article 5.

Cependant, une confusion était entretenue dans le débat public autour du principe de précaution. Elle laissait croire, par exemple en matière d’organismes génétiquement modifiés, que les élus locaux seraient conduits à appliquer des mesures de précaution, alors même que l’autorisation de dissémination des OGM ne relève pas de leurs compétences mais de celle de l’Etat. Il est donc apparu utile et pédagogique de compléter le texte en ce sens pour bien préciser que chacun intervienne bien dans son champ de compétence.

Le deuxième amendement relatif à cet article a conduit à limiter l’obligation de résultat découlant de cet article en précisant que les autorités publiques devaient adopter des mesures visant à « parer » à la réalisation d’un dommage et non plus à l’ « éviter ».

Enfin, un troisième amendement de nature purement rédactionnelle a permis de rétablir une logique chronologique entre l’évaluation des risques et l’adoption de mesures provisoires.

  • S’agissant de l’article 6, la modification apportée au texte initial fut également de nature purement rédactionnelle.

En conclusion :

Le projet de révision constitutionnelle dont vous allez débattre, Mesdames et Messieurs les sénateurs, est un enjeu majeur et un texte historique. Il renouvelle le pacte républicain et impose une logique de l’intérêt collectif face aux menaces qui pèsent sur notre environnement.

Il conforte aussi un droit de l’environnement fondé sur une éthique de la responsabilité conforme aux engagements pris par le Chef de l’Etat sur la scène internationale. Surtout, il garantit les droits des générations à venir. C’est bien à elles que nous devons penser en examinant ce texte fondamental pour notre avenir.

Je vous remercie.