[Archives] Les Assises de la Prévention de la Délinquance Juvénile

Publié le 15 octobre 2010

Discours de clotûre - Cour d'Appel de Paris - 14 octobre

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Mesdames et Messieurs,

 

Avant de conclure ces assises, permettez-moi tout d'abord de remercier l'ensemble de mes collègues du gouvernement et tous les intervenants qui se sont succédés au fil des tables rondes, magnifiquement animées par Dominique Rizet, pour la qualité de leurs échanges et de leurs travaux.

Sur un tel sujet nous avons fait la démonstration qu'il était possible de réfléchir collectivement de manière rationnelle et argumentée, en laissant les passions partisanes et les corporatismes au vestiaire. Rien ne serait pire que de laisser ce sujet de société majeur être l'enjeu de querelles partisanes.

La méthode du travail collégial en ces lieux de justice, que je privilégie, est à ma connaissance la seule qui permette de relever les défis qui touchent à notre jeunesse, c'est-à-dire à l'avenir de notre pays. J'en suis encore plus convaincu à l'issue de cette mission qui m'a conduit à auditionner plus de 50 grands acteurs de la prévention, à me rendre à Sarcelles, Meyzieu, Roubaix, Belfort mais également en Suède, en Autriche et en Allemagne.

I) Deux principes me paraissent essentiels

1- La politique de sécurité doit marcher sur "ses deux jambes", le préventif et le répressif allant de pair.

Remettre la politique de prévention sur ses pieds cela veut dire tout d'abord cesser de l'opposer au volet répressif.

C'est une évidence mais il est utile de la réaffirmer en cette enceinte.

Il faut tordre le cou à une conception manichéenne qui voudrait qu'il y ait d'un côté les gentils acteurs de la prévention, remplis d'empathie pour des jeunes en rupture qui exprimeraient dans le passage à l'acte une souffrance mal contenue. Et de l'autre, les méchants tenants du tout-répressif étrangers à la réalité des quartiers populaires, et n'ayant de cesse que de faire prévaloir l'ordre public par les moyens les plus coercitifs.

Je le dis avec force, trop longtemps cette ligne de partage idéologique entre angélisme et tenants de la politique sécuritaire a occulté les enjeux réels et surtout paralysé l'action publique.

C'est tout le contraire de ma position et je sais qu'elle est partagée par nombre d'élus de terrain confrontés au réel quelle que soit leur étiquette partisane. J'avais la réputation d'être un maire sécuritaire, cela ne m'a jamais empêché de développer dans mon action d'élu local un volet préventif novateur. C'est la raison pour laquelle j'avais dès le mois de novembre 2009 commandé à Jean-Yves Ruetsch un premier rapport d'étape recensant les bonnes pratiques afin de mieux articuler des dispositifs novateurs mais parfois dispersés avec le plan national de prévention de la délinquance.

Dur avec la délinquance, dur avec les causes de la délinquance, est une devise qui résume ma ligne de conduite. Et elle est absolument en phase avec l'orientation du Président de la République qui, en me confiant cette mission, démontre lui-même qu'on ne peut pas enfermer sa vision politique dans la caricature du tout répressif.

2- Marcher sur nos deux jambes c'est affirmer l'unité d'une politique de sécurité qui se déploie sur une palette de réponses complémentaires.

La politique de prévention, riche d'expériences conduites au plan local comme au plan national vise à gérer le plus en amont possible le risque pour chaque jeune de "sortie des clous", tant qu'il en est encore possible le risque du basculement dans la délinquance.

Il n'y a rien d'irréaliste dans une telle approche bien au contraire, elle s'efforce de réduire le coût humain, social, économique même qui résulte de l'installation de certains jeunes dans la délinquance.

C'est un gâchis qu'il est possible d'éviter, à condition d'avoir des idées claires, de considérer comme complémentaires les réponses qui vont de la détection la plus précoce des signes de décrochage scolaire, à la gamme des sanctions applicables quand le délit a eu lieu.

Où que soit placé le curseur, il s'agit de restaurer les sujets dans leur dignité et face à leurs responsabilités afin de leur permettre de se mettre sur les bon rails de la vie en respectant les règles et les valeurs de la République.

Je le dis avec détermination : cette journée doit nous permettre de donner nouvel élan à cette grande politique publique de prévention de la délinquance.

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II/-Une politique de prévention qui doit privilégier trois axes essentiels Je crois que nous pouvons aller plus loin en articulant mieux les initiatives locales multiformes au dispositif national, en nous recentrant sur trois axes essentiels.

1- Construire une véritable politique publique de soutien à la parentalité :

Les enfants ont des droits, mais le premier d'entre eux me semble t-il c'est le droit à l'autorité.

Car le système de devoirs que devra s'approprier l'enfant ne peut être pleinement intégré s'il n'est pas accompagné par un adulte responsable, et au premier chef par celui qui, au quotidien exerce la parentalité. Celle-ci doit être renforcée, il est aujourd'hui essentiel de construire une politique publique de la responsabilité parentale.

Les repères vacillent, la famille subit des métamorphoses multiples, l'autorité parentale peine à trouver des repères, au-delà des principes du droit familial.

La famille qu'elle qu'en soit la structure, est aux avants postes de la lutte contre la délinquance car elle est le premier maillon de la prévention.

Encore faut-il aider les parents à reconquérir leur légitimité pour exercer leurs droits et leurs devoirs.

S'il faut lutter contre les manquements aux obligations il faut aussi concentrer les actions déployées dans le but de renforcer cette autorité parentale.

 

Comment la renforcer ?

En formant les parents, et les responsabiliser davantage par rapport aux obligations scolaires en créant les conditions d'un véritable accompagnement et en mettant en cohérence une gamme de réponses juridiquement graduées.

Je suis convaincu par exemple que les stages parentaux consacrés par la loi du 5 mars 2007 sur la prévention, constituent un outil efficace qui doit être renforcé par une méthodologie plus stricte et mieux encadrée. Nous pouvons nous appuyer pour cela sur des expériences conduites avec succès à l'étranger afin de bâtir un programme national de « soutien parental » qui pourrait être diffusé en s'appuyant sur les réseaux d'appui et d'accompagnement des parents.

Mais il faut aussi déployer nos efforts pour responsabiliser davantage les parents à l'égard de la scolarité de leurs enfants notamment en ce qui concerne le respect des obligations qui s'appliquent aux élèves. Il faut les impliquer davantage dans la scolarisation, à l'instar du dispositif des classes relais qui fournit un cadre prometteur.

En outre, je crois tout aussi indispensable de mieux ouvrir l'école aux familles d'origine étrangère afin de favoriser une meilleure acquisition de la langue française, une maîtrise des principes er des valeurs de la République, une meilleure connaissance des droits et devoirs de leurs enfants.

Enfin il faut mettre en œuvre une pédagogie de la sanction parentale afin de mobiliser l'ensemble des acteurs qui ont à connaître des manquements volontaires de l'autorité parentale.

Je crois salutaire à cet égard de clarifier la place du maire dans la chaîne des sanctions, car ce dernier a un rôle de proximité précieux à jouer dans le rappel à l'ordre, à condition que les missions incombant à l'Etat et celles qui échoient aux édiles soient clairement délimitées. Il faut par exemple donner une plus forte visibilité aux Conseils pour les droits et devoirs des familles afin de faire de cet instrument -à l'instar des villes de Fontenay le Fleury, de Montauban, de Villiers sur Marne- un point d'ancrage local de la politique de prévention définie nationalement.

Nous devons donner un nouvel élan au Contrat de Responsabilité Parentale injustement caricaturé comme une froide mécanique de suspension des allocations familiales. Cet instrument novateur s'avère à l'usage au contraire tout à fait performant. Monsieur Eric Ciotti, président du Conseil général des Alpes Maritimes a fait justement valoir que la simple menace de sanction avait un effet fortement dissuasif. Sur 145 contrats signés en région PACA, la procédure n' jamais été menée à son terme, les difficultés initiales s'étant résorbés d'elles mêmes.

2- Restaurer la citoyenneté

La citoyenneté constitue le socle de notre appartenance à ce monde commun qu'est la République et qui transcende les particularismes.

La transmission des valeurs qui fondent la citoyenneté est une priorité qu'il convient d'afficher avec force. Il s'agit de garantir l'accès à la citoyenneté par l'école.

A) A l'évidence l'école constitue le creuset où se forge le futur citoyen.

o C'est dans l'enceinte de l'école que s'élaborent l'appartenance et l'adhésion aux valeurs d'une société, à ses règles.

o C'est à l'école que le sujet de droit qu'est l'enfant s'approprie le contenu des règles, c'est le lieu privilégié du passage du privé au public, de la famille à la société.  

C'est pourquoi il convient d'accentuer la lutte contre l'absentéisme et le décrochage scolaire par l'ensemble des dispositifs légaux et partenariaux qui sont complémentaires.

Nous devons amplifier notre effort visant à combattre le décrochage scolaire. En effet, environ 60.000 jeunes sortent chaque année du système scolaire.

Même si le décrochage ne conduit pas nécessairement à un parcours de délinquance, il est à noter que les études conduites dans les établissements pénitentiaires pour mineurs fait apparaître que l'ensemble des détenus rencontrés dans ces établissements étaient tous des exclus du système scolaire.

Comment mieux agir ?

Par la réinsertion scolaire des jeunes déscolarisées ou en cours de déscolarisation, tels que les dispositifs relais ou les micro-lycées mais également par la réintroduction du travail sanitaire et social à l'école qui implique le redéploiement de la protection de l'enfance au sein des établissements scolaires, me semble t-il.

Il faut à cet égard saluer la mobilisation du Ministère de l'Education nationale consacrée par plusieurs dispositifs innovants, qu'il convient de systématiser, tels que le dispositif relais accueillant temporairement des élèves en voie de déscolarisation et de désocialisation, les micros lycées et les Etablissements de réinsertion scolaire (ERS).

Je salue enfin les dispositifs mis en œuvre par exemple à Meaux et Pierrefitte sur Seine qui témoignent de la mobilisation des collectivités locales sur l'important enjeu qu'est le décrochage scolaire.

B)-Par une action résolue pour endiguer la tentation communautariste, qui implique:

o une appropriation de la langue nationale mais aussi la promotion et la valorisation de la culture française, son histoire tournée vers l'universalité, ses valeurs, son art de vivre, sa littérature.

o la défense et l'illustration des principes de la laïcité qui confère à l'individu et au citoyens la liberté de s'affranchir ou non des traditions religieuses mais surtout d'appartenir à une communauté de citoyens qui ne se définit ni sur des critères ethniques, ni sur une appartenance religieuse commune.

III)- Reconquérir l'espace public

L'ordre public ne saurait être mis en échec par les lois de la rue. Celle-ci est en effet le territoire de ceux qui, exclus de l'école et en rupture avec leur famille, l'occupent dans des conditions néfastes à l'équilibre quotidien des quartiers et de leurs habitants.

Dans des quartiers difficiles les représentants de l'autorité se heurtent à des résistances violentes et ainsi qu'à des agressions armées illustrées par les évènements de cet été.

Si les bandes ne constituent pas un phénomène nouveau celui-ci s'est radicalisé et s'est amplifié qu'il s'agisse des bandes de circonstance ou de bandes constituées.

La rue voit le développement de trafics autour desquels se structurent la vie et les activités des bandes tels qu'armes, trafic de stupéfiants mais aussi un prosélytisme de type fondamentaliste.

Le chemin de la restauration de la paix publique passe par la réintroduction dans les quartiers d'un travail social plus performant et par une présence accrue au quotidien de l'autorité publique.

- Pour ce faire il est nécessaire de :

o Réinvestir politiquement le travail social en valorisant davantage auprès du public les travailleurs sociaux, les juges des enfants, les professionnels de la protection de la jeunesse

o Donner un nouvel élan à la prévention spécialisée et au métier d'éducateur de la rue qui requiert un véritable statut ainsi que le développement en lien avec les collectivités territoriales de véritables services d'éducateurs de rue et l'encouragement du bénévolat.

o Enfin mieux articuler le travail social au travail judiciaire et l'inscrire dans un traitement global de la délinquance des mineurs

 

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Pour conclure, je suis convaincu que ces Assises marquent une nouvelle étape d'un travail de reconquête qui doit se s'amplifier.

Dans le cadre de la mission qui m'a été confiée par le Président de la République, je remettrai dans les prochains jours un rapport au chef de l'Etat.

Il ne s'agit pas de faire un inventaire des recettes prêtes à l'emploi. Certes en France comme à l'étranger au plan national comme à l'échelon local, il existe des pratiques efficientes qui mériteraient d'être généralisées.

Mais nous devons remettre la politique de prévention sur ses pieds. Elle constitue le socle d'une politique de sécurité qui doit s'employer à la reconquête des territoires perdus de la République.

Cette politique publique de prévention refuse le spectre d'une délinquance à laquelle serait vouée une génération de sacrifiés ou d'irrécupérables. Il faut refuser ce fatalisme tout autant que l'angélisme qui exonérait par avance de leurs responsabilité les mineurs en rupture de repères.

C'est tout le contraire de l'action que nous menons ensemble.

Faire reculer l'insécurité et sanctionner sévèrement les atteintes des biens et des personnes quels que soient l'âge des infracteurs est une évidence qui rassemble la majorité des françaises et des français, quels que soient leurs origines, leurs convictions politiques ou religieuses.

Mais cet objectif doit s'accompagner d'une politique volontariste visant à réduire le risque du passage à l'acte, de ces décrochages successifs qui peuvent conduire des jeunes gens et des jeunes filles hors du contrat social.

Le renforcement d'un telle politique de prévention repose sur la mise en cohérence de nos moyens, car les leviers existent mais ils sont par trop disséminés, nous devons mieux les identifier pour mieux les articuler.

Je le redis cette politique de prévention est fondée sur des principes républicains que nous ne saurions laisser brader impunément, mais que nous avons le devoir d'incarner, d'illustrer et de transmettre.

Je vous remercie pour votre attention.

 

 

 

Seul le prononcé fait foi