Inauguration de la Cité judiciaire de Limoges

Publié le 17 février 2017

Discours de Monsieur Jean-Jacques URVOAS, garde des sceaux, ministre de la justice

Vendredi 17 février 2017

2017.02.17 - Discours - Inauguration de la cité judiciaire de Limoges.pdf PDF - 184,86 Ko

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Seul le prononcé fait foi

Mesdames, messieurs les parlementaires,

Monsieur le Président de Limoges Métropole,

Mesdames et Messieurs les élus,

Madame la Première Présidente,

Madame la Procureure Générale,

Monsieur le Président,

Monsieur le Procureur de la République,

Monsieur le bâtonnier,

Mesdames et Messieurs les magistrats et fonctionnaires qui œuvrez dans ce palais de justice,

Mesdames et Messieurs,

C’est le 6ème Palais de Justice que j’ai le plaisir d’inaugurer, même si la Cité judiciaire est, dans les faits,  ouverte depuis près de 8 mois.

Robert Badinter a, un jour affirmé que la « justice se résumait à des colonnes et à des codes ».

Et de fait, nos villes sont jalonnées de Palais aux entrées monumentales, aux escaliers imposants et aux façades inspirées des temples grecs.

Cette architecture qui voulait laisser le peuple à distance n’est plus d’actualité.

Nos palais modernes cherchent un équilibre entre la fonctionnalité et la symbolique

Ä Car l’architecture demeure le visage des institutions ; elle est leur corps, tandis que ceux qui y travaillent sont leur âme.

C’est vrai de toutes les institutions, mais plus encore de celle de la Justice.

Cette Cité judiciaire traduit donc une certaine conception de la Justice.

Une conception que n’aurait sans doute pas reniée, l’un de mes glorieux prédécesseurs, né à Limoges en 1668.

Je veux parler d’ Henri François d'Aguesseau, chancelier de France et garde des Sceaux  de 1717 à 1748 (31 ans – 6 législatures !).

Voltaire, qui pourtant ne l’aimait guère, voyait en lui « le plus savant magistrat que jamais la France ait eu ».

Alors que le Duc de Saint Simon, qui l’estimait, le saluait comme l’« un des plus beaux et des plus lumineux esprits de son siècle ».

Or, pour D’Aguesseau, qui parlait « pour le Roi, pour l’Etat et pour la raison » (au milieu du 18ème, 50 ans avant la révolution !), la Justice est le droit du plus faible.

Une Justice qui a donc comme mission fondamentale de pacifier les relations entre les Hommes.

A mes yeux, la place du juge est un élément de civilisation et un marqueur de la démocratie.

Les sociétés sont sorties de la barbarie lorsqu’elles ont abandonné le lynchage pour la justice.

Et elles sont entrées dans l’ère démocratique lorsqu’elles ont posé les règles du procès équitable et du tribunal impartial.

C’est ce caractère apaisant que l’on ressent quand on pénètre dans cette salle des pas perdus.

Je remercie les élus locaux pour leur implication, avec une pensée pour Alain Rodet qui est à l’étranger.

Et je salue, bien sûr, l’architecte Michel Delplace du Cabinet Nicolas Michelin, ainsi que les équipes de l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice, les entreprises participantes et tous ceux qui ont apporté, - si j’ose dire -, leur pierre à l’édifice !

Merci d’avoir permis cette clarté, cette lumière, qui inonde toute la Cité judiciaire !

Avec des matériaux, des lignes sobres et des couleurs rares et recherchées.

Evidemment aussi de la porcelaine, qui fait battre le cœur de Limoges.

Porcelaine de chez Bernardaud et qui « rappelle aux Limougeauds qu’ils sont bien chez eux, au cœur de cette cité futuriste  », pour reprendre les mots de l’architecte. 

C’est aussi cette sérénité, qui émane des murs blancs et du parquet en chêne…

Peut-être un clin d’œil à Saint-Louis qui rendait la Justice sous un chêne à Vincennes !

Ou alors aux « gardiens vieillis » de Joseph Rouffanche, décédé il y a trois semaines, et qui les célébrait ainsi. [Les neiges de Noël].

Cette cité judiciaire, de 6 000 mètres carrés, dont les travaux ont duré 2 ans et demi, pour un budget de 17 millions d’euros, donne une belle image de la Justice :

Un parcours jalonné de repères, accueillant et accessible, où l’on trouve facilement son chemin.

Des procédures, des décisions, que l’on comprend et qui proposent des solutions simples et claires.

Ø Autrement dit, une Justice faite pour les Hommes et non pas une Justice demandant à des Hommes des efforts démesurés pour s’adapter à elle.

J’aime beaucoup la définition du droit que donne Daniel Pennac, dans son dernier livre [Le cas Malaussène] :

Le droit, c’est « la mathématique appliquée à de l'informe, à du fluctuant, à de l'impulsif, à du brouillon, à de l'envie, du belliqueux, de la rouerie, du trop rigide ou du tordu, à de l'humain, en somme ».

Cela fait de la Justice une science fondamentalement humaine.

Une Justice, que l’on voit souvent représentée sous la forme d’une balance, et qui possède deux plateaux : les justiciables et les professionnels.

Avec cette Cité judiciaire, ces deux plateaux de la balance vont s’équilibrer parce qu’elle répond aux besoins de ceux qui y œuvre et aux attentes de ceux qu’elle accueille.

Ainsi maintenant, les conditions de travail des personnels du Tribunal de Grande Instance, du Tribunal d’Instance et du Tribunal de Commerce, vont pouvoir s’améliorer.

Je sais que demeure quelques marges de progrès notamment en matière de téléphonie, procureur Gilbert Emery.

Et l’accès des justiciables s’est simplifiée par le regroupement de plusieurs juridictions.

Dorénavant, l’accueil se fait en un point unique, doublé d'une signalétique spécifique.

Et il y a un accès dans tout le palais pour les personnes à mobilité réduite.

Je confirme d’ailleurs l’arrivée d’un Service d’Accueil Unique du Justiciable (SAUJ), d’ici le mois d’avril, tel que prévu par la loi, du 18 novembre 2016, de modernisation pour la Justice du 21ème siècle #J21.

Merci aux personnels de la juridiction pour leur patience ; un déménagement est toujours complexe, puisqu’il faut en même temps continuer à faire fonctionner le service au justiciable.

Je sais que cette cité judiciaire était très attendue, mais je n’oublie cependant pas les travaux qui seront nécessaires pour le palais historique où demeure notamment la Cour d’Appel.

Les prochaines lois de finances devront en prévoir les financements.

Mais un bâtiment, même splendide, n’est rien sans les moyens de le faire fonctionner.

C’est pourquoi, je n’ai eu qu’un seul combat : le budget notamment celui des juridictions.

Ø Je suis heureux que les crédits de fonctionnement augmentent cette année de 11%.

J’en remercie sincèrement les parlementaires, sans qui rien ne serait possible.

Cela va permettre un vrai ressaut budgétaire et de réduire les délais de paiement. 

Ce n’est évidemment pas suffisant.

La Justice constitue le socle de notre démocratie, et à ce titre, elle mérite tous les combats.

Durant la prochaine législature, il faudra augmenter les crédits d’au moins 1 milliard d’euros !

Ø Je suis aussi heureux que nous puissions, cette année, créer encore 600 nouveaux postes. A la fois de magistrats, de greffiers et d’agents administratifs.

Nos écoles de formations, - l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP), l’Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) et l’Ecole nationale des greffes (ENG) -, seront au maximum de leur capacité.

Mais si recruter est une réponse ; recentrer les juges sur leurs missions essentielles en est une autre, complémentaire.

Il n’est plus possible qu’un greffier soit exténué à la fin de la journée, par le trop-plein de dossiers traités.

Il n’est plus acceptable qu’un magistrat perde du temps sur des dossiers dans lesquels il n’y a aucun litige, alors qu’il pourrait être mobilisé sur des situations conflictuelles. 

Il n’est plus compréhensible que les justiciables doivent attendre des mois une réponse, du fait d’un embouteillage de dossiers.

Je suis convaincu que la loi #J21 a ouvert des voies et qu’il faudra continuer à poursuivre demain.

Par exemple, avec des alternatives aux contentieux ou l’appel à la médiation.

Offrir à nos concitoyens un service public accessible, - surtout aux plus vulnérables-,  moderne, adapté et les accueillant dignement, est un impératif qui nous rassemble tous.

Paul Claudel disait de l’architecte qu’il « a vocation par son art d'édifier quelque chose de nécessaire et de permanent » ...

Voilà notre conception, notre architecture, de la Justice,

Voilà l’édifice que nous avons forgé au cours de ces dernières années.

Et cette nouvelle Cité judiciaire en est un bel exemple !

Je vous remercie de votre attention.

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