Discours de Monsieur Jean-Jacques URVOAS

Publié le 15 mars 2017

Déjeuner avec le vice-président du Conseil d’Etat et les présidents des juridictions administratives

Chancellerie – Mercredi 15 mars 2017

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Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Vice-président,

Mesdames et Messieurs les présidents,

Mesdames et Messieurs,

Je me réjouis de vous accueillir, de nouveau, à la Chancellerie.

C’est pour moi l’occasion de redire mon attachement à la juridiction administrative.

Attachement qui me conduit aussi à vous visiter à l’occasion de mes déplacements.

Ce fut le cas à Lille, puis en Martinique, en Nouvelle Calédonie et la semaine passée à Pau.

L’année qui s’est écoulée depuis notre dernière rencontre dans cette configuration a malheureusement été marquée par de nouveaux attentats.

Et la France porte encore le deuil avec son cortège de familles brisées.

Le terrorisme, par sa dimension hypernihiliste, déconnecté de toute potentialité de négociations pour y mettre fin, démontre ainsi qu’il constitue le grand défi pour les démocraties modernes en ce début de XXIème siècle.

Ä Ce qui a conduit le gouvernement à demander au Parlement la prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet prochain.

Ce rappel n’est pas anodin car il souligne que c’est aussi la première fois que l’état d’urgence dure aussi longtemps, davantage que pendant la guerre d’Algérie.

Mais le cadre législatif de ce bouclier protecteur a sensiblement évolué durant ces derniers mois.

En effet, à la faveur des 5 prolongations, le législateur a confié de nouvelles responsabilités au juge administratif des référés, encadrant ainsi plus étroitement les mesures qui peuvent être prises.

Ainsi, il lui revient désormais :

Ø D’autoriser l’exploitation des données contenues dans un système informatique saisi lors d’une perquisition administrative (loi du 21 juillet 2016) ;

Ø Ou d’autoriser la prolongation d’une assignation à résidence au-delà d’une durée totale de plus de 12 mois (loi du 19 décembre 2016).

Je mesure le changement de culture que représentent ces nouvelles compétences pour le juge administratif, traditionnellement habitué à exercer son contrôle a posteriori sur la légalité des décisions administratives.

Mais cela marque surtout la confiance du législateur dans la capacité du juge administratif à défendre les libertés.

Et de fait, dans ce contexte, vous avez su, une nouvelle fois, faire la preuve :

ÄDe votre légitimité, en tant que garant de l’Etat de droit,

ÄEt de votre efficacité à assurer une conciliation rigoureuse entre la sauvegarde de l’ordre public et le respect des libertés publiques.

J’ai d’ailleurs tenu à le rappeler récemment à la présidente de la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.

Je n’avais en effet pas compris son affirmation dans un entretien à Libération daté du 25 janvier selon laquelle « l’indépendance requise du juge administratif [était]  moins garantie que pour le juge judiciaire ».

Vous savez que, comme garde des Sceaux, je suis très vigilant à l’égard des deux ordres juridictionnels…

Personne ne peut considérer que l’état d’urgence soit pour les juges administratifs une « chance » ou « l’opportunité » d’affirmer leur imperium ou de s’ériger en défenseurs, sinon exclusifs, du moins principaux des libertés.

Mais dans des circonstances que nous aurions préféré éviter, il est tout aussi évident que le juge administratif a, de nouveau, démontré sa capacité à protéger les libertés et les droits fondamentaux, dans le respect des principes constitutionnels.

Le Conseil d’Etat n’a d’ailleurs pas hésité à transmettre plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité.

Elles ont permis au Conseil constitutionnel :

ÄDe préciser le régime des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence,

ÄEt de rappeler l’office du juge administratif, dans l’exercice de son triple contrôle du caractère nécessaire, adapté et proportionné des mesures de police.

Encore récemment, le Conseil d’Etat a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité, portant sur l’article 2 de la dernière loi de prolongation de l’état d’urgence.

Le Conseil constitutionnel devrait se prononcer demain en jugeant si ce texte :

Ä Porte une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d’aller et venir ;

Ä Et méconnaît l’article 66 de la Constitution.

**

Cette question nous rappelle combien les démocraties doivent être prudentes.

Ä L’État de droit ne peut pas être une donnée à éclipses.

Il n’est pas une situation avec laquelle des accommodements sont possibles.

Ä Il est notre seul horizon, il est notre seule règle.

De fait, le Conseil d’Etat, comme conseil du Gouvernement, l’a rappelé dans chacun de ses avis :

Les renouvellements de l'état d'urgence ne sauraient se succéder indéfiniment, même dans le silence de la loi de 1955.

Et parce qu’il déroge par définition, au droit commun, l’état d’urgence doit demeurer temporaire.

L’accoutumance à cette situation hors norme serait pour notre démocratie un risque : celui de la banalisation de l’exception.

Le moment approche donc où nous aurons à apprécier si les conditions sont réunies pour qu’il y soit mis un terme.

A mes yeux, nous avons créé les conditions qui rendent possible une sortie de l’état d’urgence, sans nous affaiblir ni demeurer impuissants face à la menace du terrorisme.

Le Parlement a, en effet, voté plusieurs textes pour adapter notre législation et donner aux pouvoirs publics et à l’institution judiciaire les moyens d’y faire face :

Ä Ce fut d’abord la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement qui a créé les conditions d’un encadrement aussi légal que complet des activités de nos services de renseignement.

Ä Puis la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, qui a accru les moyens mis à la disposition des juges d’instruction et des procureurs de la République.

Ä Et enfin, la loi du 21 juillet 2016 renforçant la lutte antiterroriste.

Tous ces textes ont permis d’améliorer la capacité d’action des autorités judiciaire et administrative, et elles produisent leurs effets.

Ä Ainsi en un an, le nombre de personnes mises en examen ou condamnées dans des affaires en lien avec le terrorisme a augmenté de plus de 50 %.

Ä Parallèlement, le nombre de perquisitions administratives ne cesse de baisser.

Ainsi entre le 22 décembre dernier et le 14 mars, il n’y a eu que 18 perquisitions administratives.

Ä Et on ne compte plus que 68 personnes assignées à résidence. Par comparaison, entre le 14 novembre 2015 et le 25 février 2016, 271 assignations avaient été prononcées.

Ces chiffres traduisent une réalité :

Ä Nous avons su nous adapter à une situation dramatique, tout en ménageant la règle de l’Etat de droit et la protection des libertés individuelles.

Cela a d’ailleurs conduit la Commission des lois de l’Assemblée a estimer que l’activité judiciaire avait désormais repris le pas sur les mesures administratives, grâce à une plus grande efficacité des procédures et une meilleure coopération des services qui permettent de judiciariser plus rapidement les dossiers.

Mesdames, messieurs,

L’état d’urgence n’est pas un instrument ordinaire de la lutte antiterroriste.

Le Chef de l’Etat l’a d’ailleurs clairement affirmé le 14 juillet 2016 en assurant à nos compatriotes que « si ce n’est pas le cas, cela voudrait dire que nous ne serions plus une République avec un droit qui pourrait s’appliquer en toutes circonstances ».

Je crois me souvenir, Monsieur le vice-président, que vous disiez pratiquement la même chose dans un entretien au Monde, le 18 novembre dernier.

Et le Président STIRN dans une conférence prononcée en septembre 2016 à l’institut d’études politiques d’Aix-en-Provence rappelait que le seul objectif de l’état d’urgence devait être de permettre le retour à l’exercice apaisé de la vie en commun dans le respect de l’ordre public et des valeurs républicaines.

Je veux croire que nous n’avons jamais été aussi proches de ce moment.

Je vous remercie.

Contact presse – Cabinet du garde des sceaux

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