[Archives] Réforme du droit de la responsabilité civile

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Seul le prononcé fait foi

Quand on s’apprête à se lancer dans un vaste chantier, il faut se choisir des références qui doivent sonner comme des évidences.

Jean-Etienne Portalis est de celles-là. Dans son discours préliminaire sur le projet de code civil, prononcé le 21 janvier 1800 (1er nivose de l’an VIII) il fixait une méthode dont l’efficacité est avérée.

« L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit : d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C’est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application ».

Le résultat on le connait : en matière de responsabilité civile, si l’on fait abstraction des règles récentes relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux, le code civil ne comporte que 4 articles, inchangés depuis 1804.

Quatre articles qui ne traduisaient pas un manque de vision des rédacteurs de l’époque mais une confiance envers les juges. Et ils ont eu raison car le droit de la responsabilité civile a traversé les âges, et surtout les évolutions profondes de la société.

Grâce au juge, le droit de la RC a su s’adapter à la révolution industrielle et au progrès technique qu’elle a engendré.

Grâce au juge, un régime de responsabilité du fait d’autrui a pu naître de l’étincelle du code civil.

Grâce au juge, les dommages de masse, comme les préjudices écologiques, ont pu être réparés.

Certes, le juge n’était pas seul.

La doctrine l’a accompagné dans son œuvre créatrice, lui fournissant le cadre conceptuel nécessaire à la construction d’un système cohérent. Mais cette invention jurisprudentielle, au sens étymologique du terme, n’est pas non plus sans revers.

Le droit de la responsabilité civile est aujourd’hui très largement en-dehors du code.

Pour les spécialistes, dont nombre des plus éminents représentants sont présents ici aujourd’hui, ce n’est pas une difficulté.

Pour le citoyen en revanche, c’est un véritable problème.

Chacun rencontre nécessairement la responsabilité civile dans sa vie. Chacun doit donc pouvoir connaître le droit qui le concerne.

Car comme le disait Cambacérès, autre référence précieuse, « dans l’ordre civil, comme dans l’ordre politique, l’incertitude est un fléau ». Aussi parce que l’incertitude est source d’insécurité, elle doit être dissipée.

Il est donc temps que le droit de la responsabilité civile, qui s’est développé hors du code civil, rentre dans son foyer naturel.

La nécessité de réformer le droit de la responsabilité fait l’objet d’un consensus parmi l’ensemble des praticiens que j’ai eu l’occasion de rencontrer ; associations de victimes entreprises, assureurs, avocats, magistrats, etc.

Le Sénat y a apporté sa contribution sous la responsabilité de Laurent Béteille et d’Alain Anziani qui ont rendu un rapport en juillet 2009. Il existe aussi une PPL datée du 9 juillet 2010 déposée par Laurent Béteille.

Il faut donc engager une œuvre réformatrice qui permettra au législateur de reconnaître sa dette à l’égard du juge en consacrant son apport, sans pour autant, s’interdire une capacité d’innovation.

Voici le défi qui nous rapprochera de la tâche des rédacteurs du code civil :

Il leur incombait de codifier les diverses coutumes qui formaient le patchwork du droit français.

Il nous appartient de rassembler deux siècles d’évolution jurisprudentielle en un nombre réduit d’articles, clairs, simples et ouverts, pour saisir le passé sans entraver l’avenir, tout en innovant au présent.

Ce défi a déjà été relevé, avec brio, pour le droit des contrats, le régime de l’obligation et le droit de la preuve.

Portalis, Tronchet, Bigot de Préameneu et Maleville ont trouvé leurs successeurs !

La Direction des Affaires Civiles et du Sceau a fait un travail remarquable, qui s’est traduit dans l’ordonnance du 10 février 2016 que j’ai eu le plaisir de présenter lors de l’un de mes tout premiers conseils des ministres.

Mais n’oublions pas les Cambacérès que furent les professeurs Catala et Terré, qui ont magistralement contribué à cette œuvre avec les membres des groupes de travail qu’ils ont animés.

Cette œuvre reste cependant inachevée, puisqu’il manque à l’édifice l’un de ses piliers.

Elle doit donc se poursuivre en suivant la même méthode car elle est, tout autant que le contenu de nos règles, de l’essence du modèle français.

Et ce modèle, il faut absolument le préserver.

Un nouvel habitant de ces lieux est d’ailleurs là pour m’y inciter. En observant la façade du ministère il y a quelques jours, j’ai observé qu’un corbeau y avait fait son nid.

Comme vous le savez peut-être, la légende dit que l’Angleterre ne succombera pas à une invasion, tant qu’il y aura des corbeaux à la Tour de Londres.

Celui-ci s’est peut-être installé pour m’enjoindre de défendre le modèle français !

Mais préserver et promouvoir le modèle français, ce n’est pas momifier l’image d’un passé glorieux.

Si des branches d’un arbre sont mortes ou malingres, il faut savoir les supprimer, comme il faut tailler l’arbre pour que de nouvelles branches poussent et portent de beaux fruits.

Il faut ainsi maintenir le principe général de responsabilité pour faute, caractéristique essentielle du droit français de la responsabilité délictuelle.

Le principe énoncé par l’article 1382 du code civil traduit une exigence morale compréhensible par tous, dont la généralité en fait un précieux outil d’adaptation de la responsabilité délictuelle. (Celui qui par sa faute cause un dommage à autrui doit par principe le réparer)

S’il faut évidemment préserver ce terreau fécond, il faut consacrer ses principaux fruits, en les exposant selon un plan lisible et didactique, dans un langage accessible.

Il faut consacrer l’essentiel de la jurisprudence de la Cour de Cassation relative à la responsabilité de plein droit du fait d’autrui en exigeant toutefois un fait de nature à engager la responsabilité de l'auteur direct du dommage.

Il faut consacrer les constructions jurisprudentielles en matière de troubles anormaux de voisinage, ou de responsabilité du fait des choses.

Il faut aussi trouver des nouvelles solutions et adopter des solutions innovantes.

Il convient ainsi de clarifier les règles relatives à la réparation du dommage corporel pour une meilleure prise en compte de la situation des victimes, dans un souci d’équilibre des intérêts de toutes les parties prenantes.

La réflexion sur des mécanismes dissuasifs devrait aussi être menée.

Par exemple, le droit actuel ne dissuade pas réellement de commettre des fautes lucratives, c’est-à-dire qui rapportent à leur auteur plus qu’elles ne coûtent en dommages et intérêts, comme en matière de contrefaçon, ou d’atteinte à la vie privée par une entreprise de presse.

Il sera donc proposé dans l’avant-projet, soumis à consultation, d’instaurer une amende civile, permettant de rendre la commission de fautes inattractive d’un point de vue économique.

Cette amende alimenterait soit le Trésor public, – comme les amendes pénales -, soit des fonds dédiés à la réparation de certains dommages, si le législateur le souhaite.

Et toutes ces dispositions doivent être agencées de façon cohérente.

Comme l’a écrit Pierre-Jakez Hélias : « C'est le chant des galets qui enseigne la manière de bâtir un mur... Et quand un galet ne se trouve pas bien dans un mur, le mur ne se trouve pas bien debout ».

Voici donc l’édifice que nous soumettons à la réflexion commune.

Cette consultation suivra une méthode qui a déjà fait ses preuves, puisqu’elle a abouti à l’ordonnance du 11 février.

Le texte de l’avant-projet sera mis en ligne sur le site du ministère de la justice, afin que chacun puisse en prendre connaissance et formuler des observations. Il vous sera également transmis.

Une adresse de courriel sera créée, à laquelle toutes les contributions seront envoyées.

Cette consultation sera ouverte jusqu’au 31 juillet 2016.

L’objectif est de disposer d’un texte consolidé à la fin de cette année pour le proposer en Conseil des Ministres au cours du premier trimestre 2017.

Evidemment, le temps manquera pour qu’il soit adopté sous cette législature.

Mais il le sera, j’en suis convaincu, sous la prochaine.

Cette réforme est nécessaire, pour la sécurité juridique de nos concitoyens, comme pour le rayonnement et l’attractivité de la France.

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Consultation jusqu'au 31 juillet 2016