[Archives] Débat parlementaire sur la surpopulation carcérale

Publié le 19 mars 2013

Discours de Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, juste quelques mots puisque le gouvernement est juste invité dans ce débat et je répète que tout l’intérêt que le gouvernement a pris à y participer et moi en particulier au titre de mes responsabilités en tant que Garde des Sceaux.

Dominique RAIMBOURG vient de redire l’essentiel, une réflexion exigeante parce que nous avons un souci d’efficacité. Alors parmi les parlementaires de l’opposition qui se sont exprimés, je retiens particulièrement la volonté de monsieur le député Jean-Frédéric POISSON de réfléchir, d’interroger sur la base de principes que nous partageons, en tout cas ceux que vous avez énoncés là tout à l’heure, de trouver les réponses les plus adaptées.

Ceux qui choisissent de camper dans le passé, dans un passé qui a démontré l’absolue pratiquement inefficacité des mesures qui ont été prises, ont le droit de faire ce choix de nostalgie immuable. Je dirais simplement une nuance d’appréciation par rapport à ce que vient de dire monsieur le rapporteur Dominique RAIMBOURG, je ne crois pas que l’ancienne majorité ait fait preuve d’autorité. Sans doute des discours à caractère martial, sans doute une très grande virilité dans le choix des mots et le ton, mais une autorité je n’en ai pas vu l’ombre, parce que l’autorité s’impose ; et ça n’est pas avec une succession,  une cascade de mesures mécaniques, automatiques, inadaptées qui donnent des résultats absolument contraires à ceux que l’on peut supposer, que des responsables politiques dans une République peuvent se fixer comme objectif, ce n’est pas ça l’autorité.

Par conséquent je crois que nous, nous posons l’autorité en tant que tel. C’est à dire que nous réaffirmons les valeurs de la République, et nous disons que ces valeurs fondent notre réflexion, notre action, nos décisions. Nous disons que c’est au nom de ces valeurs que l’Etat a le droit de sanctionner et de sanctionner notamment en privant de liberté. Et c’est cette autorité-là que nous choisissons. Et nous voyons bien que aujourd’hui l’Etat d’occupation, de sur- occupation de nos établissements, alors j’ai entendu à peine 10 %, non il y a des établissements pénitentiaires qui sont occupés à 200 %, nous avons des maisons d’arrêt ici dans l’hexagone à 200 % et à 328 % dans les Outre Mer.

Donc alors, ça c’est de la dénégation, pure et simple, pure et simple. Donc tous les défauts qui nous sont reportés sont en fait illustrés par des discours figés, par des attitudes qui consistent à ne pas vouloir voir, ne pas vouloir entendre.

Nous avons choisi une autre voie. Le débat de ce soir a été d’une extrême… D’un intérêt très grand, la qualité du rapport a été tellement salué que j’aurais l’impression de juste répéter, mais c’est indiscutable, nous avons travaillé le rapport à la Chancellerie, de façon tout à fait méthodique, et les interventions de ce soir ont été d’une grande utilité parce qu’elles continuent à nourrir la réflexion de la Chancellerie. Je vous ai dit, je suis engagée dans un cycle de consultations que je vais encore poursuivre de façon à décider de la façon la plus éclairée possible et la plus efficace pour la société.

Je vais conclure simplement sur deux choses qui sont répétées par des Parlementaires de l’opposition. Les victimes, les victimes. Vous avez instrumentalisé les victimes. Vous n’avez eu que les victimes à la bouche, et vous avez réduit le budget qui permet aux associations d’aide aux victimes de venir en aide aux victimes, de les accompagner ; vous avez fragilisé le réseau d’associations d’aide aux victimes ; vous avez mis en péril 60 % des associations d’aide aux victimes ; et vous avez une vision conceptuelle de la victime. Vous avez figé la victime dans une espèce de statut définitif. Nous regardons la victime comme une personne et comme une personne sujette de droit, qui peut elle-même intervenir dans sa situation et qui choisit de le faire. Et ce sont des associations d’aide aux victimes qui prennent des initiatives et notamment par exemple des initiatives sur la justice restauratrice.

Alors vous nous avez dit monsieur le député GOUJON que nous jouons à des jeux dangereux, vous ne l’avez pas dit de cette façon mais c’était suggéré, en mettant la victime en face du criminel. Mais il ne s’agit pas de ça, d’une part nulle part où existe la justice restauratrice la victime est en face du criminel. Il s’agit d’une expérience qui est portée par des associations de victimes, qui dans d’autres pays est encadrée de façon rigoureuse, qui a eu lieu ici dans un établissement à Poissy, et qui a besoin d’être évaluée. C’est une expérience qui est portée par des associations de victimes et qui consiste, dans l’intérêt des victimes et seulement, seulement pour les victimes qui sont volontaires, d’établir une relation avec des criminels ; qui ne sont pas les criminels de l’affaire dans laquelle la victime a subi des préjudices, mais qui sont simplement des personnes qui ont été condamnées. Et cette expérience elle a donné des résultats dans des pays où elle a été conduite de façon rigoureuse.

Alors il ne s’agit de l’imposer à personne, constater simplement que c’est le réseau d’associations des victimes qui est à l’initiative sur cela ; parce que ce réseau d’associations qui vit avec les victimes au quotidien, qui accomplit des actes, qui rendent service aux vicimes se rendent compte à quel point les victimes lorsqu’elles sont sujettes de droit, lorsqu’elles sont responsables d’elles mêmes, lorsqu’on les traite comme ce qu’elles sont, des personnes, ces personnes-là choisissent d’affronter leur souffrance, d’affronter leur douleur et qu’elles choisissent parfois d’aller vers le dialogue, d’interroger, de comprendre.

Et puis il y en a qui disent « non ». Parmi les associations de victimes que j’ai rencontrées, il y en a une qui m’a dit « moi je ne suis pas dans le pardon, et il n’est pas question que je rencontre des criminels ». Mais personne n’a demandé le pardon à personne, personne n’a demandé à personne de pardonner quoi que ce soit, personne n’a demandé à personne d’aller rencontrer personne. Voilà. Ce sont les associations de victimes qui prennent cette initiative.

Et permettez-moi de penser, très sérieusement, très profondément, et je dirais même très pausémment, que les victimes sont les mieux placées pour savoir ce qui est bon pour elles. Et que ça n’est pas en utilisant les victimes comme incantation lorsque vous les avez fragilisées par des réductions budgétaires, que vous êtes légitime à vous réclamer de victime, plus que d’autres, et notamment que nous qui faisons des efforts, que nous qui les recevons, que nous qui les écoutons, que nous qui travaillons avec elles, que nous qui mettons en place des dispositifs pour rendre efficace l’action des victimes.

La deuxième chose, vous n’expliquez pas comment vous construisez des places de prison. Vous construisez des places de prison avec une loi d’exécution des peines que vous avez votée en avril 2012, où vous annoncez la construction de 80 000 places de prison. Il n’y a pas - oui de passer à 80 000, donc ça fait 24 000, vous avez raison, par rapport aux 57 000 places disponibles, ça ferait même 23 000. Nous n’allons pas chipoter parce que de toute façon il n’y pas un quart d’euro. Entre 23 000 et 24 000, comme il n’y a pas un quart d’euro nous n’allons pas nous disputer cette nuit. Donc vous avez, moi j’observe une chose, j’observe simplement une chose, c’est que c’est la gauche, pardon, qui a mis en œuvre le plan 4000. Donc j’ai l’impression que vous percevez l’alternance et que juste avant l’alternance vous votez des plans de construction de prison. Et que là en avril 2012 vous avez voté et vous vous en réclamez, et vous revendiquez, et vous vous y référez sans cesse de 23 000 places de prison. Vous n’avez pas, ce que vous avez osé faire pour autre chose, c'est-à-dire sans débourser un euro, engagé des plans de construction par du partenariat public-privé, vous n’avez même pas fait pour les 23 000, vous n’avez même pas essayé cela, c’est à dire que c’est totalement 23 000 virtuelles.

Alors ne nous donnez pas des leçons de construction de places de prison. Il y a eu quelques bâtisseurs dont monsieur CHALANDON ; il y a  eu quelques bâtisseurs d’établissements pénitentiaires et de places de prison ; sinon il y a eu madame GUIGOU, constructeur de prison. Et puis il y a eu quand même, je dois le reconnaître, pas mal de Gardes des Sceaux, de ministres et quelques parlementaires plutôt faiseurs de promesses que faiseurs d’établissements pénitentiaires.

En tout état de cause, en quelques mots, je vous remercie pour la qualité des débats de ce soir, des interventions qui nourrissent la réflexion, qui nous permettront de vous présenter dans quelques mois, en tout cas très probablement devant le Conseil des Ministres au mois de juin et donc à partir de six semaines après selon l’encombrement du calendrier parlementaire, un projet de loi pénale qui sera adapté à la situation que nous voulons combattre, mais au-delà des automatismes et des mécanismes avoir un regard sur la société qui soit digne de la République et de ses exigences. FIN.