[Archives] Colloques des huissiers de justice

Publié le 14 décembre 2012

Discours de Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Merci Monsieur le président pour cette intervention roborative qui donne une très belle image de la profession. Mais vous-même, vous donnez une très belle image de la profession : nous avons déjà eu plusieurs séances de travail, nous nous sommes rencontrés en plusieurs circonstances. J’avoue que nous sommes tous habités par quelques dernières traces de préjugés, même si nous sommes des personnes raisonnables, et c’est vrai que l’image que vous donnez de la profession est une très belle image ; c’est l’image d’un président à la fois extrêmement savant sur les sujets qui relèvent de la profession, mais pondéré, à l’écoute, lucide. Je vous remercie pour l’hommage que vous avez rendu aux services de la Chancellerie. Je sais que c’est un travail de bonne coopération et de bonne intelligence qui se conduit entre le monde des huissiers que vous présidez, la Chancellerie, et vous, et je sais que cela date d’avant mon arrivée. Je sais que cette qualité de relations date de plusieurs années et je m’en réjouis. Il n’y a donc pas de révolution culturelle à faire. Nous allons continuer à travailler en bonne intelligence, et à trouver les bonnes solutions qui conviennent pour les sujets que vous évoquez : ceux qui travaillent, ceux qui parfois créent des difficultés à votre profession parce que, comme vous l’avez rappelé – et je crois que c’est une source de gloire effectivement, c’est incontestablement une source d’honneur –, vous êtes officier public ministériel. Vous avez dit, je dirais avec un peu de coquetterie, que l’Etat ne vous délègue pas l’autorité, mais que vous l’assurez, et je vous en remercie, pour le bien de nos citoyens. C’est une belle profession, que l’on voit plutôt raide en général, en tout cas dans l’esprit des citoyens, une profession qui a connu pendant une période une représentation qui était négative, celle de l’exécution de décisions de justice difficiles, mais une profession qui a été réhabilitée par les citoyens eux-mêmes, parce qu’ils ont pu se rendre compte à quel point l’huissier est proche des citoyens, à quel point il rend service, à quel point il est indispensable et à quel point aussi – j’ai visité quelques études – il y a un véritable dialogue. J’ai visité des études où les huissiers m’ont expliqué comment finalement ils mettaient en place des dispositifs, soit d’échelonnement, soit d’interruption même de procédures parce qu’ils arrivaient à s’entendre avec les justiciables qui étaient concernés par ces décisions de justice. De sorte que la relation entre les citoyens et les huissiers a changé profondément, et les représentations aussi ont changé.

Je vais quand même saluer le bureau, et j’ai envie de saluer le bureau en disant : « Mesdames, Messieurs ». Je vois avec plaisir que les applaudissements les plus vigoureux sont des applaudissements masculins. Cela permet d’augurer d’une amélioration prompte de la représentation des femmes, mais je sais qu’elles sont actives, les femmes huissiers, elles ont une association de femmes, et je suis sûre que vous êtes les meilleurs partenaires pour permettre l’émergence de femmes dans votre bureau. Ce n’est pas juste pour vous être désagréable, je n’ai aucune raison, nous n’avons pas de contentieux, je n’ai aucune raison de vous être désagréable, mais simplement parce que les jeunes filles ont besoin de savoir qu’elles peuvent faire ces études, qu’elles peuvent prendre des responsabilités, qu’elles peuvent habiller et habiter ce beau métier, et le moyen de le leur faire savoir, c’est d’afficher la présence des femmes, c’est juste pour cela que je me le suis permis… Et la qualité du travail est très élevée avec l’ensemble du bureau.

Vous avez, Monsieur le président, évoqué toute une série de sujets. Certains ont déjà été traités. Parfois vous me les avez signalés, et j’ai fait le nécessaire auprès du cabinet de l’administration. D’autres devront l’être, ou en tout cas devront être approfondis. Je vais en reprendre quelques-uns. Je vais commencer dans le désordre, mais dans un ordre très clair en termes de positionnement éthique sur les missions qui vous sont dévolues.

Je vais commencer par l’accès au droit et par l’aide juridique (qu’on appelle parfois l’aide juridictionnelle ; elle est les deux, en fait). L’accès au droit est effectivement un droit fondamental, et cet accès doit être amélioré, indiscutablement. Le maillage territorial que vous assurez permet que les citoyens, en n’importe quel lieu du territoire, puissent avoir accès au droit et à l’information, grâce à vous. Vous n’êtes pas les seuls partenaires, vous n’êtes pas les seuls acteurs de la justice qui contribuent à l’accès au droit. Mais ce que vous faites est essentiel, ce que vous faites est indispensable, ce que vous faites est irremplaçable. Il est certain que le ministère, c’est-à-dire l’Etat, doit prendre ses responsabilités pour faire en sorte que cet accès au droit soit réel. Vous avez parfaitement raison de dire que ces services publics que vous rendez au citoyen ne doivent pas peser financièrement sur la profession. C’est un véritable service que vous assurez, il faut que l’Etat assume ses responsabilités.

Parmi ces responsabilités, il y en a qui sont fortement désagréables : je parle des arriérés qui vont sont dus. J’ai demandé que le nécessaire soit fait rapidement pour que le ministère résorbe ces arriérés au rythme le plus soutenu que nous soyons en mesure d’affronter. Je vous propose que nous nous voyions très prochainement pour voir très précisément ce que représente ce rythme soutenu. J’espère qu’il sera décent. Ces arriérés sont insupportables parce que, comme dans toute profession, il y a des dimensions différentes dans vos études, et certaines sont sans doute pénalisées et très probablement fragilisées par cette dette de l’Etat. Les dettes de l’Etat sont absolument insupportables et inconcevables. En qualité d’officier public ministériel, l’Etat vous demande d’assurer en obligation un certain nombre de prestations. L’Etat doit assumer la contrepartie de ces prestations qui vous sont demandées.

Vous avez donc évoqué l’aide juridictionnelle et proposé, parce que vous y travaillez vous-même, de joindre nos efforts et nos réflexions, puisque vous savez que j’ai mis en place un groupe de travail, qui pour l’instant explore trois pistes, qui concernent essentiellement d’éventuelles taxes additionnelles à des taxes qui pèsent sur des assurances ou sur des contrats de mutation. Mais c’est très volontiers que je veux profiter de votre réflexion, de votre expérience, de façon à trouver les meilleures solutions. Vous évoquiez le déjeuner que nous avons eu en commun à l’Elysée récemment, et vous avez noté que le président du Conseil national du notariat interrogeait le fait que nous explorions quelques taxes sur les droits de mutation, en considérant que le notariat générait assez peu de contentieux, et qu’il n’y aurait pas grande justice à taxer certains actes notariés. La remarque vaut – elle vaut en fait parce que ces pistes que nous recherchons sont indispensables. Je partage votre conviction  – et nous parlons peu de la taxe de 150 euros, elle n’est pas liée au même problème, mais il y a aussi cette taxe de 150 euros pour solder la compensation due à la profession d’avoué – qu’il est indispensable que nous trouvions des ressources pour compenser la part que cette taxe de 35 euros apporte dans le budget de l’aide juridictionnelle. Mais en cherchant ces pistes, il ne faut pas que nous créions ou que nous prenions le risque de créer une autre injustice. Donc, j’entends les protestations qui peuvent être élevées, ou au moins les observations, et il est bon que nous regardions de près comment nous pouvons remplacer cette taxe de 35 euros. J’ai pris en tout état de cause l’engagement de la supprimer pour l’année 2014, donc il faut vraiment que d’ici là, c’est-à-dire dans le premier semestre 2013, à l’occasion de l’élaboration du budget de l’exercice 2014, nous ayons trouvé des solutions alternatives qui soient efficaces, et qui, je le disais, ne génèrent pas de nouvelles injustices. Donc, pour cette taxe juridictionnelle, je suis tout à fait preneur de votre offre de dialogue et d’exploration commune.

Vous avez évoqué, et je prends toujours dans l’ordre éthique tel que je perçois les choses, la médiation comme mode alternatif de règlement de conflits ou de litiges. Je crois qu’effectivement, votre profession est bien placée pour réclamer, d’une certaine façon, une préséance pour assurer des médiations. Déjà, la médiation me paraît une nécessité urgente : parce qu’elle est alternative notamment aux procédures judiciaires. Et la médiation doit revenir « en beauté », j’allais dire, dans la société, qui, ces dernières années, s’est assez fortement judiciarisée, et où a reculé un peu l’esprit et même la culture du dialogue, du compromis. Je crois que la médiation, sur un certain nombre de contentieux, sur un certain nombre de litiges, est indispensable, parce qu’elle a en plus la vertu de renouer avec des médiateurs impartiaux, comme vous savez l’être, avec des médiateurs expérimentés, comme vous l’êtes déjà dans votre profession, avec des médiateurs attentifs à l’inégalité des armes, à l’inégalité des positions, à la vulnérabilité particulière d’une des parties. Avec de pareils médiateurs, non seulement on fait progresser de nouveau le dialogue, mais surtout on évite que les tensions inutiles créent des nœuds et des… c’est « contentieux » qui me vient à l’esprit, mais ce n’est pas aux contentieux que je pense. Je pense surtout à ces frustrations, à ces rancœurs, à ce qui peut rester en fait d’indissoluble lorsqu’on n’est pas satisfait d’un arbitrage. Je pense que vous êtes tout à fait légitimes à réclamer une place particulière, peut-être pas exclusive, mais je ne crois pas que vous le demandiez. D’autres professions du droit s’intéressent de plus en plus à la médiation : je pense notamment aux avocats, puisque vous avez entendu Madame l’ex-bâtonnier du barreau de Paris. D’autres professions sont intéressées, mais je crois vraiment que vous êtes tout à fait légitimes à réclamer une place particulière dans la médiation.

Vous avez rappelé, et dit d’ailleurs un peu comme un slogan, que la profession des huissiers est une profession qui s’engage. C’est effectivement une profession qui s’engage avec une vraie capacité visionnaire, parce que cela fait plusieurs années que vous avez vu venir la dématérialisation et que vous avez fait des propositions. C’est probablement pour cette raison que vous y êtes entrés avec une telle aisance et que vous avez permis que, depuis peu, depuis novembre, il me semble, les premiers actes électroniques aient été signifiés dans des conditions de sécurité. Je crois que là, vous illustrez ce caractère pionnier qui marque votre profession, d’avoir vu venir, d’avoir installé l’idée, d’avoir proposé d’ailleurs au pouvoir public de s’y mettre, et d’avoir démontré que vous étiez capables de mettre les choses en œuvre vous-mêmes. Cette dématérialisation soulève évidemment toute une série de problèmes. Nous avons une échéance en janvier 2013. Je crois que vous y êtes prêts. Des tests ont eu lieu : ils semblent plutôt satisfaisants. Nous ne devrions pas avoir de grandes difficultés à entrer dans ce nouveau dispositif. Vous avez fait ce qu’il fallait pour sécuriser cette signification électronique, parce que le droit exige l’accord du destinataire pour une signification électronique. Cela suppose de recueillir son consentement, ce que vous avez su faire. Je le disais, vous avez été visionnaires, mais vous avez été aussi tout à fait performants dans la mise en œuvre. La dématérialisation concerne la profession des huissiers elle-même, pour vos relations et votre communication interne, mais elle concerne, et vous l’avez rappelé vous-même, la communication avec les autres professions du droit, notamment les avocats, mais aussi la communication avec les juridictions. Vous l’avez rappelé aimablement, l’arrêté technique a été signé le 28 août. Nous sommes, je crois, dans un calendrier à peu près satisfaisant, correct. Si ça n’était pas le cas, n’hésitez pas à me faire savoir qu’il y a lieu d’accélérer le mouvement.

Vous m’interrogez sur l’action de groupe, Monsieur le président, et vous proposez que les huissiers soient associés à la réflexion sur l’action de groupe. Cela me paraît normal également, et légitime. Sur l’action de groupe, j’avais demandé à la direction des Affaires civiles et du Sceau de préparer un projet de texte, de façon à mettre en place un véhicule législatif qui serait constitué d’une procédure civile, qui permettrait d’inclure des contentieux de nature différente. Ce travail a été fait, il a été de très grande qualité, et il nous a permis d’envisager une procédure qui servirait à des contentieux divers, à traiter de la question de la médiation – éventuellement obligatoire, à réfléchir sur le filtre éventuel par des associations de consommateurs, ce qui n’exclut en rien la présence des avocats – parce que c’est une inquiétude chez les avocats –, et à voir comment on peut traiter ces préjudices sériels : protéger les consommateurs, mais en même temps, compte tenu de la conjoncture et de la situation économique fragile, faire en sorte qu’il n’y ait pas d’effet pervers de ce nouveau droit par rapport à ces entreprises qui pourraient se voir fragilisées, soit par des méthodes, j’allais dire subversives – mais ce n’est pas subversif, le subversif pour moi est plutôt
positif –, mais des méthodes pernicieuses de rivalité ou de concurrence, où des saisines peuvent être un peu intempestives – d’où l’interrogation sur la médiation obligatoire. Je trouve qu’une procédure civile qui inclurait des contentieux divers, des contentieux de consommation, mais aussi des contentieux de santé, mais aussi d’environnement, pose un certain nombre de problèmes et risquerait de différer assez significativement la mise en place de ce droit sur l’action de groupe. Le champ semble se réduire  – semble se réduire, parce que l’arbitrage définitif n’a pas eu lieu –, mais le champ serait plutôt dans un premier temps limité à la consommation. De sorte que le ministère de l’Économie sociale et solidaire est très actif sur le texte, et j’en dirai un mot moi-même à Benoît HAMON ; mais je vous propose de prendre l’attache du ministère de l’Économie sociale et solidaire, quel que soit l’arbitrage qui surviendrait. Le champ limité à la consommation plaide pour un calendrier plus proche. La procédure civile suppose un calendrier plus dilaté, mais quel que soit l’arbitrage qui sera rendu, cette rencontre avec le ministre de la Consommation sera bienvenue, elle sera utile, et connaissant la qualité de votre travail, je sais qu’elle sera féconde.

En tout état de cause, je pense  – et je crois que vous, vraiment, professionnels du droit, vous nous serez d’une grande utilité – qu’il nous faut réfléchir à la segmentation de notre droit. Je crois qu’il nous faut arriver à moderniser notre droit et à mettre en place un certain nombre de procédures qui aient des vertus transversales et qui nous permettent de traiter de contentieux de nature différente. Nous avons un droit très segmenté, très segmenté sur la santé, très segmenté sur l’environnement, très segmenté sur la consommation, et je pense qu’un droit moderne, compte tenu de la complexité des législations, compte tenu de la relation de plus en plus imbriquée entre la France et l’Union Européenne, et donc de l’influence de plus en plus forte du droit européen sur notre droit interne, je crois qu’il faut que nous arrivions à moderniser notre droit et à le penser de façon plus globale et plus cohérente. En tout état de cause, nous verrons ce qu’il advient de cette action de groupe, mais je crois que votre voix sera effectivement utile et indispensable.

Sur l’effectivité, puisque je suis toujours dans l’ordre éthique de vos sujets, je rappelle que l’Union Européenne considère que l’exécution d’une décision relève des droits fondamentaux. Et c’est vous qui rendez effectives les décisions de justice. Donc, cette effectivité, c’est à vous que nous la devons, et il est indispensable que nous parvenions à faire en sorte que vous puissiez l’exercer dans les meilleures conditions. Cela suppose, ce que j’ai déjà dit tout à l’heure, que les pouvoirs publics assument les dettes et épongent les dettes qu’ils ont vis-à-vis de vous. Cela suppose, vous l’avez dit aussi avec élégance, que soit revalorisé le tarif de vos actes. Je fais étudier la question – je fais très attention à ma parole ici. Attendez, je trouve effectivement scandaleux que – non, mais le tarif est comme ça, ne prenez pas cet air, vous n’allez pas me culpabiliser, quand même ! Non ! Ce n’est pas moi qui l’ai fixé ! C’est le méchant du bureau… mais je l’ai déjà vu à l’œuvre dans mon bureau !

Donc, j’ai demandé qu’on l’étudie, nous devrions être capables de vous apporter une réponse très vite. C’est-à-dire que moi, je ne veux pas non plus prendre des engagements irresponsables. Les engagements que je prends, je veux les tenir. Donc, je veux m’assurer de la faisabilité de ce que je souhaite. Ce que je souhaite est bien plus important que ce qui vous est attribué, ce n’est même pas le mot, en tout cas au tarif actuel, mais il s’agit des fonds publics, des budgets de l’Etat. Donc, je ne peux pas, inconsidérément, sur une base affective – et qui n’est même pas affective, mais qui est juste de justice… : quelle est la qualité de la prestation, quel est le coût réel de la prestation, et le fait, parce que vous êtes officier public ministériel et que vous avez l’obligation de cette prestation, que vous n’ayez pas à la financer. C’est juste de la justice, mais il faudrait être en mesure, je voudrais et j’espère être en mesure… oui, je ne suis pas sûre, mais j’espère.

Vous avez évoqué la convention cadre de l’année dernière, qui a réorganisé d’une certaine façon votre présence et la procédure dans les juridictions correctionnelles. Le décret avait été voté en 2007, et la convention cadre date de novembre 2011. Je crois qu’une trentaine de protocoles ont été signés avec des juridictions, c’est bien cela ? Je ne suis pas sûre que ce cadre juridique soit satisfaisant. En même temps, j’entends votre impatience et l’urgence qu’il y a à rendre applicable cette convention, et vous attendez donc les dispositions de la Chancellerie. Nous sommes d’accord là-dessus ? Il me revient des appréciations sur la nécessité d’en revenir à un décret. Je propose que nous nous voyions et que nous en parlions très vite, afin que la décision que prendra la Chancellerie soit la bonne. Nous allons examiner précisément ce que vous attendez comme suite des dispositions qui ont été prises l’année dernière, ce que l’on peut envisager d’autre, parce que notamment au cabinet, ils semblent considérer qu’il y aurait nécessité de revoir le décret. Je vous propose que nous y travaillions très vite, et la décision sera prise très vite également.

Concernant la loi Béteille, vous attendez deux décrets, sur l’accès aux parties communes et sur l’accès aux informations. Vous avez d’ailleurs longuement développé ces deux points. Les décrets sont rédigés, donc je devrais être en mesure de pouvoir les signer assez rapidement. (Le signal des applaudissements est venu du méchant !)

Je reviens d’un mot sur le maillage territorial que vous avez assuré. J’ai regardé le coût des cessions des études et des études en société. Le coût est élevé. Donc, pour l’installation des jeunes, je pense qu’il y a probablement nécessité de moderniser. Il y a un décret sur la chambre des prêts sur les conditions dans lesquelles votre chambre des prêts facilite l’installation de jeunes, mais il me semble, d’après ce que j’en ai vu, que le décret mériterait d’être un peu… oui, vous dites « toiletté », on peut dire comme cela. Donc, nous allons le toiletter, nous allons revenir sur ce décret de façon à ne pas compliquer les conditions d’installation, en tout cas à les permettre plus facilement.

Sur les juridictions de première instance, vous demandez à être consulté ; là aussi, je trouve cette demande tout à fait légitime. Vous savez très probablement que j’ai diligenté une mission sur presque une dizaine de ressorts pour envisager une expérimentation de tribunal de première instance. Là aussi, je prends des précautions. D’abord, par respect pour les trois personnes que j’ai chargées de ce travail ; ensuite parce que pour moi, les missions de consultation doivent être de vraies missions avec consultation. Donc, quoi que je pense du sujet, j’attends les résultats pour voir ce qui sera proposé. C’est pour ces raisons que je prends ces précautions. Pour les ressorts retenus, je m’en suis tenue dans un premier temps à un critère qui me paraît incontestable : c’est celui des juridictions sur lesquelles le Conseil d’Etat a fait des observations, laissant entendre que leur suppression était inopportune. Sur cette base, je fais regarder quelles seraient les solutions possibles, parce que pour compenser les effets de la carte judiciaire – dont je sais que vous assumez une part importante des conséquences –, il y a plusieurs formules possibles. Il est donc important de regarder sur chaque territoire quelle est la formule la plus intéressante et la plus pertinente. Il y a peut-être un ou deux endroits où il faudra recréer un tribunal – éventuellement, ce n’est pas sûr, mais ce n’est pas exclu a priori. Sinon, je crois que dans la plupart des cas, il faudra prévoir soit un tribunal de première instance, avec une redéfinition des contentieux, de premier ressort, soit peut-être qu’un guichet unique du greffe pourrait suffire. Il y a à adapter, à ajuster, il n’y a pas lieu de refaire la carte judiciaire. Une carte judiciaire était indispensable, compte tenu de la précédente réforme qui remontait à 1958. Celle qui a été faite n’a pas été le mieux pensé possible. Elle a été aussi relativement coûteuse, elle a été assez traumatisante, et par conséquent, il n’y a pas lieu de refaire une grande réforme de carte judiciaire. Mais il y a lieu d’apporter les ajustements nécessaires et de le faire le plus intelligemment et le plus finement possible, c’est-à-dire en regardant vraiment chaque ressort, en interrogeant tous les acteurs, les acteurs judiciaires mais aussi les élus locaux, les représentants de citoyens à travers des associations de la société civile. Il y a lieu de faire au mieux–- puisque nous venons recoudre un peu, nous pouvons faire du cousu main.

Sur la fracture juridique : elle est liée à l’accès au droit. C’est un des grands soucis de votre profession, un souci qui dit à quel point l’intérêt général et le droit du citoyen et du justiciable vous sont précieux et vous sont chers. Et pour cela, vous nous êtes chers parce que vous êtes des relais extrêmement efficaces sur le terrain.

Sur la médiation, je vous ai dit que je vous considère présence pénale. Votre présence pénale j’en ai dit quelque chose d’une certaine façon, puisque vous savez qu’elle a été modifiée. Mais vous savez que les magistrats en sont malheureux. Votre moindre présence dans les audiences, oui, des magistrats en sont tristes, je vous assure. [Inaudible]. Oui je sais… On imagine votre reconversion possible à la Comédie Française si d’aventure… ! Mais j’entends effectivement que trop de choses pèsent sur vous dans des conditions qui sont trop injustes et pécuniairement trop pénalisantes. Mais c’est vrai, vous n’empêcherez pas l’attachement, d’abord des citoyens à leurs huissiers, mais des magistrats aussi. Je ne le dis pas pour vous faire revenir, mais pour que vous sachiez. De toute façon, cela fait du bien de savoir qu’on manque aux gens, non ? Les femmes savent cela, parce que nous savons organiser notre absence, n’est-ce pas, donc nous savons…

Je reviens à vos engagements européens et internationaux, des engagements européens qui sont importants et qui ouvrent des perspectives tout à fait intéressantes. Vous les avez citées vous-mêmes : votre participation à la création de la Chambre européenne des huissiers, mais votre participation aussi à l’exécution judiciaire européenne, qui est extrêmement importante, ainsi qu’au réseau européen des huissiers. Je crois qu’il y a là une structuration de la profession, il y a un élargissement de la voilure d’action, et j’ai envie de vous dire de continuer à être extrêmement actifs. C’est une demande qui est vraiment au-delà de la profession que vous exercez. C’est une demande sur le droit, sur notre droit continental, nous avons déjà eu des échanges à ce propos ; sur la façon dont l’Europe construit à la fois sa législation mais sa culture juridique aussi. La culture juridique de l’Europe est importante pour l’ensemble des pays européens, aussi bien pour les 27 pays de l’Union Européenne que pour les 46 pays du Conseil de l’Europe ; mais elle est importante pour le reste du monde parce qu’il y a des partenariats importants, parce qu’il y a des échanges de plus en plus intenses qui font que les professions du droit en Europe, même si les nôtres sont particulières, ont une très belle histoire. Elles ont une construction qui est liée à l’Etat de droit et à la conception de la citoyenneté, notamment par ce maillage territorial. Nos professions de droit ont une très belle histoire, elles ne sont pas identiques dans les autres pays européens, mais il demeure que l’Europe en tant que telle a une influence de plus en plus importante dans le monde dans le domaine du droit, dans le domaine juridique. L’implication forte que vous avez, la façon dont vous imprégnez de plus en plus, la façon dont vous contribuez à faire comprendre, connaître ce qu’est ce droit continental, en quoi il représente une sécurité juridique importante pour les citoyens, pour les opérateurs économiques – parce que c’est un droit codifié, parce que les règles sont là, elles sont établies, elles sont claires, parce que les codes de procédure indiquent très clairement les méthodes, donc précisent les droits, les libertés, les contraintes… –, tout cela doit améliorer l’influence de notre droit en Europe par rapport à la Common law qui est une conception différente par rapport à la conception des professions du droit. Cette ouverture libérale qui est demandée et qui parfois progresse, même si nous l’avons endiguée ces derniers temps, nous avons obtenu, y compris en mobilisant le Parlement européen, pour la profession des notaires en tout cas, qu’elle soit exclue de la libéralisation qui était prévue. Il y a donc nécessité de progresser, d’élargir et d’approfondir cette empreinte de notre droit. Votre mobilisation à l’échelle européenne, la façon dont vous vous montrez de plus en plus actifs, dont vous participez à ces réseaux européens et à ces institutions européennes, à ces structures européennes, tout cela, au-delà de votre profession, au-delà des bénéfices que vous allez en tirer, qui seront assez peu pécuniaires à mon avis, mais qui seront des bénéfices de l’échange, de la réflexion sur la profession et sur son évolution, de la réflexion sur les contentieux, sur la diversité en fait des prestations aussi, parce que votre métier s’est beaucoup diversifié ces dernières années – je crois même que vous participez aux ventes aux enchères en cas d’absence d’un commissaire-priseur. Votre métier s’est beaucoup diversifié, par conséquent il y a une réflexion qui s’élargit lorsque vous êtes très impliqué au niveau européen. Je vous dis, au nom de l’Etat, animée de la conviction que notre droit continental est vraiment un bon droit, qu’il est bon que vous en soyez parfois aussi les ambassadeurs, et je vous en remercie.

Mesdames et Messieurs les huissiers – on ne féminise pas, c’est vrai que ça n’est pas joli –, Mesdames et Messieurs les huissiers, la prochaine fois que je viendrai devant vous, nous aurons traité des questions en suspens, nous aurons peut-être ouvert des chantiers nouveaux. Je reviendrai avant qu’il y ait « Mesdames, Messieurs », mais cela progressera certainement assez vite. Je vous dirai, comme je vous l’ai dit très rapidement, pour comprendre les choses, je reviens souvent à la racine. Donc, j’ai relu de nombreuses choses sur l’histoire de votre profession – y compris l’étymologie qui est un peu poétique, un peu prosaïque aussi : « l’huis », la porte, pour entrer et sortir. J’ai lu des choses importantes, tout à fait intéressantes, sur l’histoire de votre profession, sur l’évolution de ce métier, sur sa diversification, mais surtout sur la façon dont ce métier a toujours progressé par impulsion interne. Et cela me paraît extrêmement intéressant. C’est vraiment la pensée, la réflexion des huissiers sur leur métier qui a conduit à élargir les actes qui leur ont été confiés, à moderniser les méthodes de travail, à organiser différemment les relations avec la justice. D’ailleurs, je crois qu’une relation vous plaît moins, c’est celle de la saisine par chaque juridiction, par chaque parquet et de la nécessité pour vous de répondre à chacun. Je pense que cela aussi augmente les charges. Oui. Et cela complique certainement le traitement… Nous allons voir ensemble aussi comment nous améliorons ce point.

Je sais que nous allons travailler intelligemment, efficacement, parce que j’ai déjà expérimenté l’esprit dans lequel vous travaillez avec la Chancellerie. L’administration reste à votre entière disposition pour avancer sur l’organisation de plus en plus efficace de votre métier. Le secrétariat général de la Chancellerie planche sous pression de façon à éponger les arriérés qui vous sont dus et à voir ce que nous pouvons vous faire comme proposition concernant les quatre euros cinquante honteux, j’en conviens, comme tarif obligatoire. Et puis, pour le reste, je crois que votre profession va progresser. Nous allons travailler ensemble pour consolider notamment les petites études, celles qui se trouvent en milieu rural, celles qui sont fragiles parce que le volume d’activité est moins important. Nous allons travailler ensemble, mais ce maillage territorial est indispensable, il relève du service public, il assure la citoyenneté de tous les habitants du territoire, il nous faut donc créer les conditions pour que vous puissiez continuer à assurer ce maillage territorial. C’est la Chancellerie aussi et même le Garde des Sceaux qui, par la gestion de la direction des Services judiciaires, regarde comment se fait l’ouverture, la fermeture et l’implantation sur le territoire. Donc, forcément, l’Etat est en première ligne pour s’assurer que le maillage territorial se fait ; mais c’est vous qui l’assumez, c’est vous qui le réalisez. Et par conséquent, nous allons faire en sorte que vous puissiez le faire dans de bonnes conditions.

Je vous disais que j’ai lu l’histoire de votre profession, j’ai vu comment elle a évolué, comment son dynamisme, sa tonicité ont été essentiellement internes, et comment vous avez su construire surtout une relation de dialogue et d’efficacité avec les pouvoirs publics. C’est une qualité considérable. Et, par rapport à l’image que l’on avait, ou que certains ont encore de l’huissier, et regardant vos activités, regardant les difficultés que vous avez eu à affronter, regardant malgré tout cela vos capacités pionnières, notamment avec « e-justice », lorsque je vois tout cela, je me dis, en pensant au poète, que le malheur d’autrui n’est qu’un songe. Mais vous n’êtes plus dans le malheur. Je vous remercie.