[Archives] 108ème congrès des Notaires

Publié le 24 septembre 2012

Discours de Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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18 minutes

Merci Monsieur le Président du congrès, du 108ème congrès.

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,

Monsieur le Président du Conseil Supérieur du Notariat,

Mesdames et Messieurs,

Madame le Maire, Chère Hélène qui nous reçoit avec l’hospitalité légendaire de cette ville de Montpellier,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs les Hauts magistrats, chefs de cours,

Monsieur le Directeur Général de la Caisse des Dépôts et Consignations,

Monsieur le Ministre, Cher Jean-Pierre,

Mesdames et Messieurs,

Monsieur le Conseiller du Président de la République, Cher Monsieur Valleix, Mesdames et Messieurs les notaires,

Mesdames et Messieurs.

Je dois vous dire que j’éprouve un immense plaisir à être parmi vous ce matin et à participer à ce 108ème Congrès des Notaires, et j’ai été particulièrement sensible à l’accueil que vous m’avez réservé et je vous remercie pour cet accueil chaleureux.

Je dois dire que je suis heureuse d’être ici, particulièrement compte tenu du thème que vous avez choisi pour votre congrès de cette année qui porte sur la transmission, la transmission qui nous renvoie à celle des droits, des biens, celle des actes, celle des savoirs, celle des valeurs aussi et qui nous renvoie à l’éthique, celle du service public de l’équité à l’éthique de la rigueur.

Je veux donc encourager vos travaux, ceux que vous avez déjà conduits, ceux que vous allez conduire durant ces 3 jours dans les commissions parce qu’ils sont extrêmement utiles aux citoyens, aux entreprises, aux collectivités locales, aux professionnels du droit et à l’État.

J’ai déjà eu l’occasion, comme l’a rappelé votre président du Conseil Supérieur du Notariat, de rencontrer, de recevoir à la Chancellerie vos représentants. Mais il est vrai que c’est la première fois que je me retrouve face à vous, à l’ensemble de la profession et je dois dire que je suis venue vers vous avec curiosité, comme on va vers un territoire inconnu. Et j’avais de bonnes raisons de penser que c’était un territoire inconnu, parce que j’ai vécu pendant ces quelques minutes l’ambiance d’une assemblée perméable aux grandes envolées philosophiques, mais également enthousiaste aux élans militants, sensible au lyrisme et par conséquent, je me disais que vous avez eu bien de la chance d’avoir durant 6 ans ce président-là.

Monsieur le Président, je vous ai écouté avec attention et je pensais à ces paroles de René Char : « Celui qui vient pour ne rien troubler ne mérite ni égards, ni patience ». Je vous ai donc écouté avec beaucoup de patience et accordé de grands égards à vos propos. Je vous ai entendu utiliser des métaphores guerrières et évoquer un projet mortifère. Je ne reprendrai pas les mêmes propos pour décrire votre profession, je préfère retenir cette belle et haute mission de sécurité juridique pour faire de la manifestation de la volonté, unilatérale ou contractuelle, un acte public.

Quelle est l’utilité de cette profession ? Vous la savez mieux que personne. Mais rappelons que tous les pays n’ont pas choisi de créer une profession d’officier public et ministériel, participant du service public et assurant l’authenticité des actes. Tous les pays n’ont pas fait le choix d’avoir cette profession dotée de l’autorité publique, garante de la confiance publique et qui par les actes que vous dressez permettent à des accords de volonté d’être élevés à l’état d’actes publics. Et c’est l’acte d’authenticité qui justifie votre existence. Cet acte d’authenticité fait date certaine, détient force probante renforcée, force exécutoire sans décision de justice et tient ses forces de votre statut d’officier public et ministériel et de votre régime disciplinaire puisque ce statut vous donne de lourdes obligations déontologiques et vous soumet au contrôle professionnel par vos pairs et par les parquets. Mais au-delà de ce statut et de ce régime disciplinaire, c’est la confiance dont vous êtes investie qui fonde l’efficacité des actes que vous accomplissez.

Pour moi-même qui suit Garde des sceaux, qui ait l’honneur et la responsabilité de garder les sceaux de la République, de garder les sceaux de l’État, d’authentifier la Constitution, je mesure ce que signifie l’honneur, la responsabilité, le privilège, mais surtout la charge d’authentifier un acte. Ce pouvoir d’authentification…..

Ce pouvoir d’authentification, la jurisprudence de la Cour de Cassation en a déduit un devoir de conseil, un devoir que vous accomplissez volontiers parce qu’en chaque circonstance, vous vous donnez l’obligation de conseiller les parties contractantes sur le contenu de leurs actes et de veiller à l’équité entre les parties contractantes.

En cette période de crise, il est important de rappeler à quel point les actes notariés peuvent protéger les consommateurs, garantir le plus faible face au plus fort et surtout servir de preuve dans la prévention des litiges. Vous êtes les seuls, Mesdames et Messieurs les notaires, à disposer de ce pouvoir de transformer des accords de volonté et de les hisser à la hauteur d’actes publics exécutoires, indiscutables. C’est une responsabilité dont vous sont gré les citoyens, les collectivités publiques et l’État parce que vous êtes constamment des partenaires des politiques publiques. Et votre profession dynamique nous

invite à vous entendre avec attention lorsqu’à l’occasion de vos congrès, vous partagez les produits de votre réflexion.

Je prends toute la mesure de cet acte d’authentification, mais je n’oublie pas l’obligation que vous avez d’instrumenter, cette obligation d’instrumenter qui vous contraint à mobiliser votre ministère lorsque vous êtes requis, même lorsque les actes paraissent faiblement rémunérés. Cette obligation vous attribue un rôle à caractère social, un rôle extrêmement précieux dans la société. Et pour moi qui suis particulièrement attachée à l’accès au droit pour l’ensemble des citoyens, mais en particulier pour les plus vulnérables, ce rôle à caractère social que vous jouez est particulièrement précieux et je tiens à le saluer.

Le maillage territorial sur l’ensemble du territoire, vous le rappeliez, Monsieur le Président, avec 49 000, j’avais 48 000 collaborateurs - ça monte comme la marée - 48 000 collaborateurs, 9 000 notaires, 6 000 points d’accueil de la clientèle. Vous assurez un service juridique de proximité et ce maillage territorial est extrêmement précieux parce qu’il permet à tout justiciable, quelle que soit sa condition de résidence, sa fortune, sa culture, son état de santé, tout justiciable peut avoir grâce à vous, accès au droit. C’est là encore un rôle social extrêmement précieux.

Je veux insister sur le rôle que vous jouez auprès des services de l’État et pas seulement auprès de la Chancellerie, mais également avec d’autres ministères. Aussi bien entendu, auprès des collectivités et ce rôle aussi est extrêmement précieux puisque vous nourrissez, par vos éclairages, la définition de certaines politiques publiques. J’ai entendu Monsieur le Président que vous souhaitez accroître votre influence sur le Parlement, je ne doute pas que les Parlementaires présents dans la salle relaieront ce voeu qui me parait relativement raisonnable. Relativement.

La profession de notaire est une profession dynamique, vous l’avez rappelé, les chiffres en attestent. Mais le congrès de cette année aussi témoigne de la vitalité de cette profession. Depuis 1891, la profession de notaire tient congrès annuellement. Je crois que c’est réellement un exploit. Depuis 1951, vous avez choisi de déterminer un sujet d’intérêt général à débattre lors de ce congrès, et les travaux que vous élaborez conduisent depuis plusieurs années à l’élaboration de propositions de façon à améliorer les textes législatifs et réglementaires, et en conséquence à faire évoluer notre droit. Et par cette énergie, par ces initiatives, vous montrez à quel point la profession est un partenaire essentiel de notre système judiciaire. J’ai entendu vos préoccupations sur les relations avec l’Union européenne. Compte tenu des raisons que je viens d’exposer et qui sont d’analyse, et non pas de courtoisie, la profession de notaire est une profession à laquelle nous tenons dans le cadre du service public.

Et je peux vous assurer que la France en tant qu’état membre de l’Union européenne ne permettra pas qu’une déréglementation désordonnée vienne fragiliser le coeur de votre mission et par conséquent, rendre vulnérable notre système juridique.

La Courde Justice de l’Union européenne a rendu un arrêt le 24 mai 2011. Par cet arrêt, elle déclare que la profession notariale ne relève pas de l’autorité publique au sens où l’entend l’article 51 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et que par conséquent, l’exigence de nationalité française pour exercer la profession de notaire en France serait discriminatoire à l’égard dudit traité. En tirant les conséquences, le décret du 17 octobre 2011 a donc supprimé cette exigence de nationalité française pour exercer la profession de notaire et l’a donc ouverte à tous les candidats des pays de l’Union européenne mais également aux candidats des pays partis de l’accord sur l’espace économique européen. Cette conséquence qui, je sais, vous rend au moins perplexe, sinon vous inquiète, nous inflige à nous, une exigence, celle de la vigilance continue sur les prochaines directives relatives à la libéralisation des services juridiques. C’est une vigilance que nous allons exercer, de façon à éviter que les services publics, tels que nous les concevons, soient fragilisés par des décisions de libéralisation qui ne nous paraissent pas pertinentes et qui surtout, mettent en péril l’égalité de traitement que notre société a choisie de réserver à ses citoyens les plus vulnérables.

Nous exerçons donc en ce moment-même cette vigilance sur la révision de la directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Nous avons, Monsieur le Président, traité de ce sujet lorsque vous êtes venu à la Chancellerie. Je dois dire que nous avons quelque espoir d’avancer, parce que la Cour elle-même fournit quelques arguments, puisqu’au paragraphe 87 de son arrêt, elle précise que les activités notariales servent l’intérêt général, et que par conséquent elle vise à garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers. Nous avons l’intention d’utiliser cet article 87 comme un levier pour défendre la préservation du rôle public de la profession de notaire.

Mesdames et Messieurs, je peux vous dire que le Gouvernement est résolu à se battre pour que, au nom de l’intérêt général, le notariat soit reconnu tel que nous le concevons dans les négociations européennes. Nous avons quelques alliés, notamment l’Allemagne. Sans doute que la discussion sera délicate, probablement il sera difficile d’infléchir la position de la Commission ; mais en faisant valoir l’importance de vos prestations, de vos services, pour les particuliers, pour les entreprises, pour les collectivités, et donc dans la conception même du service public tel que nous le percevons ici, nous pensons

que nous avons quelques chances d’avancer. Disons les choses telles que nous les voyons, et je crois vraiment que nous partageons cette perception. Il y a dans ce débat la confrontation de deux philosophies, de deux conceptions. L’une inspirée par la common law qui, par hypothèse, considère que toute profession réglementée est archaïque, et qu’il n’y a pas lieu de s’immiscer dans les rapports entre les parties à l’occasion d’un contrat ou d’un accord. Une autre inspiration, que nous partageons avec quelques alliés européens dont l’Allemagne, une autre inspiration affirme qu’au contraire, il est de la responsabilité, du devoir, de l’éthique des pouvoirs publics de s’immiscer dans les rapports économiques de façon à assurer la protection du plus faible face au plus fort, de façon à assurer des prestations de conseil et de façon à sécuriser les actes juridiques. Ce sont ces deux philosophies, ces deux conceptions qui sont en conflit dans les rapports, dans les débats, actuellement, au sein de l’Union européenne. Nous devons parvenir à convaincre plutôt que de fustiger, parce que c’est ensemble que nous construisons l’Union européenne, et que plutôt que de percevoir chez nos alliés des adversaires ou des ennemis potentiels, faisons l’effort de les convaincre. Et je suis persuadée que travaillant ensemble, nous parviendrons à les convaincre.

Lors des négociations donc pour la prochaine directive « services », la détermination du gouvernement que j’évoquais à l’instant pour faire entendre notre conception du service public et l’importance de préserver la profession de notaire, cette détermination sera entière pour la simple raison qu’elle relève de l’idée que le notariat est d’une autorité particulière et d’une indiscutable nécessité. Mais nous serons d’autant plus performants sur nos positions que nous parviendrons à montrer la détermination et l’efficacité avec lesquelles vous arrivez à moderniser cette profession et à la rendre de plus en plus judicieuse et utile pour les citoyens. Votre profession l’a prouvé, elle sait s’adapter, elle sait anticiper, elle sait aussi constituer une force de propositions et pas seulement organiser des congrès où votre éminent président se fait applaudir, ce qui est une marque de savoir-faire plutôt que de faire huer le ministre des Finances.

J’ai beaucoup apprécié, parce que j’ai trouvé plus cordiaux ces applaudissements plutôt que des protestations d’un autre genre. Mais vous n’avez pas été d’une grande charité avec le ministre des Finances…

Mesdames et Messieurs, je sais à quel point vous êtes attachés à une formation d’excellence. C’est d’ailleurs la condition indispensable à la modernisation et à l’évolution de votre profession. Depuis le décret du 3 octobre 2011, depuis ce décret, votre profession est contrainte à une formation et vous avez choisi vous-mêmes que les notaires soient astreints à une trentaine d’heures de formation par année. Cette disposition, qui était effective depuis le

début de cette année, atteindra donc en fin d’année son premier exercice et il sera temps d’en tirer un bilan. Il est tout à votre honneur de vouloir maintenir et actualiser le niveau de connaissances des notaires de façon à ce que leurs prestations soient de plus en plus performantes au bénéfice de leurs clients, qu’il s’agisse de particuliers, d’entreprises, de collectivités. Je ne peux donc qu’encourager cette démarche. Par ailleurs, vous avez évoqué, Monsieur le Président, l’accès à la profession par la voie professionnelle. C’est une démarche à laquelle vous avez lié la nécessité de distinguer le diplôme de la fonction. C’est bien entendu, parce que c’est bien partagé. Cette démarche est parfaitement louable et je peux vous assurer que nous sommes en train d’achever le travail sur le projet de modification du décret de juillet 1973, de façon à ce que cette disposition puisse être opérationnelle sous peu. J’ai choisi, cependant, avant de signer ce texte, de le soumettre au Conseil national de la formation tout le long de la vie. Et dès que cette consultation sera achevée, le texte pourra être signé et donc devenir opérationnel au plus tard au début de cette année qui arrive.

Sur ce que j’appellerai « la stratégie globale du notariat », vous avez rappelé, Monsieur le Président, l’évolution de cette profession. En dix ans, elle a augmenté de 17 %. Vous avez parlé de ces trois dernières années et de l’arrivée de 300 nouveaux notaires, en solde net, si j’ai bien compris, c'est-à-dire déduction faite des remplacements et des départs à la retraite. Voilà. Donc, en 10 années, vous avez augmenté vos effectifs de 17 %. Ces trois dernières années, 300 nouveaux notaires nets. C’est la preuve d’une profession qui n’est pas close, qui n’est pas repliée sur elle-même. Et là, nous avons certainement l’occasion de casser un cliché qui prospère sur la profession de notaire. Votre profession s’accroît. Le salariat dans votre profession a été introduit en 1990. Cette disposition a contribué à la croissance de la profession. Elle visait d’ailleurs au renouvellement et au rajeunissement. Et je crois qu’elle a vraiment accompli son office. Simplement, cette évolution a été encadrée, elle l’est encore, par la règle du « un pour un ». Cette règle du « un pour un » qui suppose que, pour un associé, pour un notaire ou un associé, il y aura un salarié possible. Cette disposition de salariat avait été conçue pour permettre notamment aux jeunes notaires, qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas, dans l’immédiat, soit acquérir une charge, soit s’associer à une étude, de commencer à pratiquer néanmoins la profession de notaire et de pouvoir bénéficier et acquérir de l’expérience tout en pratiquant la délégation d’autorité publique.

Néanmoins, et vous l’avez indiqué très clairement, lorsque je vous ai reçu à la Chancellerie, vous souhaitez assouplir cette règle du « un pour un ». Après analyse de la situation, j’approuve l’évolution de ce ratio et je pense, comme vous, qu’au moins dans un premier temps, laissons-nous la capacité de perspectives sur la profession par la suite, mais au moins, dans un premier temps, que nous passions à la règle du « un pour deux ».

J’ai donc donné instruction au service de la Chancellerie pour préparer les dispositions juridiques qui conviennent de façon à accrocher cette mesure dans le prochain véhicule législatif utile, nous essaierons de faire au plus vite.

Mesdames et Messieurs, si cette profession est aussi dynamique, c’est de façon considérable à vous, Mesdames les notaires, qu’elle le doit.

J’ai consulté votre site et il apparaît que vous composez 30 % de la profession, ce n’est pas mal. C’est mieux que l’Assemblée nationale. C’est moins bien que le Gouvernement. C’est mieux que certaines autres professions, y compris réglementées. Cependant, j’ai observé, Monsieur le Président, que les femmes sont un peu moins de 30 % dans l’organe de direction.

Je suis sûre que vous trépignez d’y remédier. Je sais que l’impulsion viendra de l’intérieur, donc je ne m’en mêle pas. Plus de notaires, plus de notaires femmes, plus de femmes associées, cela me paraît la trajectoire vertueuse d’une profession aussi dynamique.

Je vais vous parler de quelques textes, ceux qui ont été récemment adoptés, ceux qui sont en cours d’adoption ou ceux qui sont encore en cours d’élaboration et qui sont liés au thème de votre congrès sur la transmission. Dans votre discours, Monsieur le Président, mais vous l’aviez fait lors de notre rencontre et dans votre discours, vous en avez rajouté bien entendu, vous m’aviez adressé quelques questions.

D’abord sur la base des données immobilières. Le décret relatif à la base des données immobilières qui va consacrer en fait une nouvelle mission du notariat, une mission qui vous conduit à rassembler des données, à les mettre à disposition et qui conduit chaque notaire à participer à l’alimentation de la base. Ce décret sera sous peu transmis au Conseil d’État. Il validera donc cette mission que vous accomplissez, il préparera la rémunération et les conditions de rémunération de chaque notaire qui participe à approvisionner la base. C’est un acte important d’une grande utilité qui permettra de mieux suivre l’évolution du parc immobilier, qui permettra aussi sans doute aux citoyens d’accéder, en tout cas de disposer plus facilement de l’information qui leur permet d’accéder à la propriété. Et vous contribuerez également à l’efficacité de la politique gouvernementale du logement. C’est donc un décret qui sera opérationnel sous peu de temps et qui va resituer le notariat au coeur même du domaine immobilier. Ce qui était une de vos revendications, une de vos demandes, une de vos attentes, une de vos espérances.

Sur les successions internationales, le règlement communautaire a été adopté récemment. Un peu plus de 12 millions d’Européens sont concernés, qui vivent

en dehors de leur état de naissance et qui par conséquent sont très très attentifs à cette disposition qui concerne plus de 450 000 successions par année et qui va faciliter ces successions, raccourcir les procédures, réduire le coût des formalités. Jusque-là deux lois au moins s’appliquaient, celle de l’état de résidence pour celui qui opère la succession, pour ce qui concerne ses biens meubles, et celle de l’État de situation pour ce qui concerne les biens immobiliers. Dorénavant, avec ce règlement, une seule loi sera applicable et une seule autorité sera reconnue compétente en cas de litige. Cela simplifie considérablement les choses et va faciliter votre travail, puisque les dispositions juridiques seront valables dans l’ensemble des pays européens concernés par ce règlement.

Je vous ai entendu parler de vos actions internationales, et je suppose que cette fluidité de la succession est intéressante au-delà du territoire européen et que probablement, vous travaillez à des accords bilatéraux, sans doute, des conventions qui pourraient étendre ces dispositions avec des pays partenaires. Ce règlement européen a également permis la mise en place du certificat successoral européen. Ce certificat est reconnu dans tous les États, ce qui permet à tout héritier ou tout légataire de faire valoir, sans autre formalité, son état d’héritier et de légataire dans tous les pays européens. Ce règlement a abouti après plus de trois ans de négociations, de négociations parfois tendues, parce que la France était très attentive à maintenir le caractère amiable et à éviter une judiciarisation excessive dans ses dispositions. Vous savez qu’il y a deux textes encore à l’étude, qui concernent les régimes matrimoniaux ou le partenariat. Ils sont relatifs à la compétence, à la reconnaissance, à l’exécution des dispositions. Pour ces textes-là, nous assurons aussi une vigilance soutenue de façon à maintenir cette dimension amiable dans les procédures et à éviter là encore la judiciarisation excessive.

Concernant le fichier central des dispositions des dernières volontés - vous m’avez interrogée aussi sur ce projet de décret, vous vouliez éviter un jubilé je crois - je sais ce que représente, pour vous, en fait la validation d’un dispositif, qui a quelques années, vous le rappeliez, quatre fois une dizaine d’années. Oui sans doute qu’il est temps de le reconnaître, je pense qu’il a fait ses preuves. C’est un dispositif qui a mis en place un réseau européen sur le registre des testaments. Je crois qu’il est indiscutablement utile. Simplement, je dois vous dire que sur un sujet pareil, j’ai souhaité consulter la CNIL. La procédure est en cours, donc le jubilé sera évité d’ici au début de l’année prochaine.

Vous avez d’ailleurs d’autres dispositifs qui contribuent sérieusement à l’efficacité. Je pense à la signature électronique, je pense aussi au rôle que vous jouez dans la vérification dématérialisée des données d’état civil. Tout cela participe d’une dynamique qui rend plus efficace et plus rapide surtout, plus réactive l’intervention du notaire sur un certain nombre d’actes.

Vous m’avez, Monsieur le Président, également interpellée sur un domaine de compétences qui n’est pas le mien, mais c’est le risque auquel s’expose tout

membre du Gouvernement en participant à une manifestation publique. Et ce domaine de compétences, c’est la fiscalité. Il n’y aurait pas grand intérêt à ce que je vous promette de transmettre à Monsieur Cahuzac, parce que je crois que la transmission est probablement faite déjà. Je présume que Monsieur Cahuzac écoute, lit avec la plus grande attention vos observations, surtout qu’il les lit, donc il n’entend pas la tonalité de l’interpellation vigoureuse à laquelle il a eu droit ce matin. Je suis sûre qu’il aura à coeur de vous apporter quelques réponses, et probablement d’organiser quelques séances de travail avec vous, représentant des notaires. Donc j’ai entendu vos observations sur les plus-values, sur le droit de partage.

Vous avez également évoqué la nécessité d’aligner les régimes fiscaux de l’adoption plénière et de l’adoption simple. Ça n’est pas de mon domaine de compétences. Il demeure que je partage votre souci de l’équité envers les enfants d’une fratrie, et par conséquent, je veillerai pour ma part à ce que cette équité soit assurée au niveau de ces régimes fiscaux.

Je pense avoir répondu à l’essentiel de vos interpellations.

Je crois que j’ai un peu contribué, sinon au bonheur de la salle, mais à insuffler un peu de sérénité, qui n’en manquait pas d’ailleurs.

Je ne voudrais pas clore ce propos sans évoquer un code, un code dont Jean Charbonnier dit que vous êtes une institution, vous en êtes une institution collatérale, parce que votre profession a été créée, organisée par la loi du 25 ventôse de l’an 11. Ça fait très chic. C’était en même temps, vous allez retrouver la date, parce que c’était en même temps que le Code civil, ce code des personnes, de la famille, des contrats, des obligations, de la propriété, des sûretés. Ce code qui nous unit, ce code qui fait que vous, notaires, professions juridiques, officiers publics et ministériels, vous soyez liés à la Chancellerie, à la ministre de la Justice Garde des Sceaux que j’ai le bonheur, l’honneur et le plaisir d’être. C’est ce qui nous lie intrinsèquement.

Je voudrais partager, puisque l’ambiance est à la philosophie, au lyrisme, je vais faire un peu de droit, presque trivial, en me référant, comme Monsieur le Président du congrès, à Émile Zola. Je partage avec vous la lecture d’un petit extrait de la Joie de Vivre, vous savez c’est ce douzième volume de la saga familiale des Rougon-Macquart. Émile Zola écrit, dans ce petit extrait, parlant d’une femme qui s’adresse à son mari : « Sa confiance revenait ». Il parle en fait d’une adolescente qui vient d’avoir 18 ans et dont ils ont la responsabilité des biens. « Sa confiance revenait. Elle monta chercher son code, tous deux l’étudièrent. L’article 478 les tranquillisa, mais ils restèrent embarrassés devant l’article 480 où il est dit que le compte de tutelle doit être rendu devant un curateur nommé par le conseil de familles. Certes, elle tenait dans sa main tous les membres du conseil, elle leur ferait nommer qui elle voudrait. Seulement, quel homme choisir ? Où le prendre ? Le problème était de substituer à un subrogé tuteur redouté un curateur complaisant ».

Mesdames et Messieurs les Notaires, la grandeur, la hauteur, la noblesse de votre tâche, c’est d’éviter de tel choix.

Je veux vous remercier. Vous tenez cette année à Montpellier votre congrès, comme vous avez tenu celui de 1981, entre autres. Sans doute que vous avez, dans cette profession, le sens des symboles ou une grande capacité de prédiction. En tout cas, je veux vous redire à quel point j’étais heureuse d’être là ce matin, d’écouter les propos de votre Rapporteur général, de votre Président de congrès, de votre Président du conseil supérieur du notariat. Je prendrai connaissance, avec la plus grande attention, des résultats des travaux de vos commissions. Je lirai avec intérêt et attention les propositions que vous ferez pour améliorer notre droit. Je veux vous redire ma joie d’avoir été là, ma gratitude et tous mes remerciements.