[Archives] Les perspectives après le rapport Prada

Publié le 21 juin 2011

Discours de Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés

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Seul le prononcé fait foi

Monsieur l’inspecteur général des finances,

Monsieur le vice-président du Conseil national des barreaux,

Monsieur le président de la conférence des bâtonniers,

Monsieur le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris,

Mesdames et Messieurs les représentants des avocats, des juristes d’entreprise et du monde économique,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir en ces lieux à l’occasion de la discussion sur les suites à donner au rapport que Monsieur PRADA nous a remis, à Christine LAGARDE et moi-même, à la fin du mois d’avril, pour échanger et débattre de cette question importante qu’est la place du droit dans nos entreprises.

Dans le cadre de votre mission, Monsieur PRADA, vous avez pris le soin de rencontrer l’ensemble des acteurs concernés, dont beaucoup sont parmi nous aujourd’hui : représentants du monde de l’entreprise, de la profession d’avocat, mais aussi des juridictions judiciaires et des autorités de contrôle.

Je tenais tout d’abord à vous féliciter et à vous remercier pour la grande qualité du travail que vous nous avez remis, et qui nous a incité à organiser aujourd’hui cette table ronde à l’issue d’une large consultation qui s’est déroulée tout au long du mois de mai. Leurs principales conclusions vous ont été présentées par Laurent VALLEE en début de réunion.

Je ne peux que me réjouir de la richesse de la concertation engagée qui aura permis tant aux représentants institutionnels qu’aux professionnels de terrain de s’exprimer.

Vous le savez, Christine LAGARDE devait, à mes côtés, clôturer cette manifestation. Elle n’a pu malheureusement être avec nous aujourd’hui au regard des contraintes qui s’imposent à elle. Elle en est sincèrement désolée car la compétitivité économique de nos entreprises constitue une priorité de son action au ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.

La France a en effet des points forts qui favorisent l’implantation de sociétés étrangères : savoir-faire industriel, qualité de la main-d’œuvre et de la formation, infrastructures de qualité et énergie de bon marché. Ce sont plus de 20.000 entreprises étrangères et plus de 2 millions de personnes qui en bénéficient.

Mais la compétitivité économique va de pair avec la compétitivité juridique et notamment la capacité de nos entreprises à maîtriser les risques juridiques au regard de la complexification des opérations économiques et de la concurrence forte entre les différents systèmes juridiques. Or, la situation actuelle des juristes en entreprise constitue un désavantage concurrentiel clairement identifié par les états-majors des groupes internationaux. Elle représente à ce titre un frein à l’attractivité de notre territoire, un frein à l’implantation des centres de décisions des grandes entreprises en France.

Au cœur de ces enjeux, le renforcement du rôle du juriste au sein de l’entreprise constitue une préoccupation forte du gouvernement et votre rapport M. PRADA permet à ce titre d’avancer vers la création d’un statut  d’avocat en entreprise.

Depuis 1988, de nombreux rapports l’ont explorée en préconisant différentes options, allant de la création d’un statut particulier pour les juristes d’entreprise à l’importation pure et simple du statut de l’avocat au sein de l’entreprise avec ses règles et sa déontologie propres.

Or, nous le savons et vous avez eu l’occasion de le rappeler aujourd’hui lors de vos débats, ces voies n’emportent pas l’adhésion de tous.

Si les associations représentatives des juristes d’entreprise sont favorables à l’instauration d’un statut d’avocat en entreprise dès lors qu’il ne leur serait pas fermé, les différents représentants des avocats ont eu des positions plus contrastées.

Les dernières positions que nous connaissons sont celles :

-     du conseil de l’Ordre du barreau de Paris qui, s’est, en 2009, prononcé en faveur de la création d’un statut d’avocat en entreprise, position réitérée lors de la rentrée solennelle en 2010 ainsi que lors du bicentenaire en présence du Président de la République ;

-     de la Conférence des bâtonniers qui l’a rejetée en 2010 à une large majorité ;

-     du Conseil national des Barreaux qui en octobre dernier a rejeté la fusion des professions d’avocat et de juriste en entreprise mais sans parvenir à se départager sur l’opportunité de créer un nouveau statut d’avocat en entreprise (vote 41 voix pour et 41 voix contre).

C’est dans ce contexte, M.  PRADA, qu’une mission vous a été confiée en octobre dernier afin d’explorer les voies de compromis possibles. Il s’agit notamment d’explorer la possibilité de règles appropriées de confidentialité des avis juridiques internes des entreprises.

Privilégiant une démarche fonctionnelle, vous avez su traiter l’ancienne question du rapprochement de l’avocat et de l’entreprise sous un angle nouveau : comment l’introduction de l’avocat en entreprise peut-elle être opérationnelle ?

Vous y avez répondu en proposant un dispositif selon lequel :

-     l’avocat conserverait son identité en restant inscrit au barreau, mais sur une liste ad hoc, et soumis aux principes déontologiques et éthiques de la profession ;

-     cet avocat, qui serait salarié de l’entreprise, bénéficierait d’un « privilège de confidentialité » susceptible d’être levé ou de ne pas  être opposable selon des conditions à définir en cas de procédure d’investigation administrative ou pénale ; il s’agit là, je le sais, d’un point important de discussion au regard du secret professionnel dont les avocats bénéficient en France ;

 -    des passerelles seraient mises en place entre juristes d’entreprise et avocats afin de faciliter la mobilité entre les différentes professions et progresser vers la grande profession du droit.

Au total, j’ai la conviction, et les interventions de ce matin la confortent, que l’ensemble de vos préconisations, si elles méritent d’être encore précisées, notamment s’agissant du privilège de confidentialité, peuvent constituer l’ossature de ce nouveau statut si longtemps recherché.

Cette table ronde qui s’est tenue ce matin a permis un échange entre les principales « parties prenantes ». Dans notre esprit, c’est une première étape.

La profession d’avocat embrasse de très nombreux domaines pour défendre les intérêts de chacun : particuliers, famille, entreprises, associations... Votre dynamisme et votre capacité d’adaptation sont des atouts essentiels.

Nous l’avons vu récemment, votre profession a su s’adapter aux spécificités de nouvelles activités  pour parvenir à apporter son expertise et ses compétences : ainsi en 2009 avec l’avocat fiduciaire, qui ne peut, au regard de la réglementation spécifique applicable, opposer  son secret professionnel ; ou encore plus récemment en mars dernier avec l’avocat mandataire de sportifs dans le cadre de la loi de modernisation des professions juridiques et judiciaires.

Comment imaginer que vous ne soyez pas en mesure d’apporter, de la même manière, une réponse pragmatique, avec les juristes d’entreprise, au besoin fort et constant exprimé par nos plus grandes sociétés commerciales ?

Je note d’ailleurs, que le Président de la République a eu l’occasion d’indiquer qu’à titre personnel, il ne serait pas choqué d’une telle évolution. Dans ces conditions, je ne doute pas que vous aurez à cœur d’en faire une des questions essentielles de vos débats, notamment lors de votre convention nationale qui se tiendra à la mi-octobre.

Quoiqu’il en soit, le temps me semble venu de faire progresser les réflexions de chacun sur la base d’un texte. Non pas qu’à ce stade je vous annonce un dépôt d’un projet de loi ; ce serait prématuré. Mais au point où nous en sommes, le cadre général et les différentes exigences à prendre en compte ayant été expertisés par M. Prada et éclairés par vos réactions, en particulier ce matin, c’est au regard d’un dispositif précis que nous pourrons prendre définitivement parti. J’ai donc demandé au directeur des affaires civiles et du Sceau, que je remercie d’avoir animé cette table-ronde, de préparer un avant- projet qui sera soumis, au cours de l’automne, à votre appréciation ainsi qu’à celle de tous les acteurs qui se sont mobilisés depuis quelques semaines.

Mesdames et Messieurs, j’en appelle donc à l’intérêt général, qui excède celui de telle ou telle catégorie professionnelle. Il en va de la place du Droit et de la compétitivité juridique de nos entreprises.

Je vous remercie.