[Archives] Séminaire euro-arabe sur la formation judiciaire

Publié le 05 mai 2009

Discours de Madame Rachida Dati, Garde des sceaux, ministre de la justice

Amman, 3 et 4 mai 2009 - Hôtel Méridien

Temps de lecture :

6 minutes

 

M. le Premier Ministre,

M. le Ministre,

M. le Vice-Ministre,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs,

Lorsque j’étais à Doha en avril 2008 à l’occasion de la seconde conférence sur la Justice organisée par la France et le Qatar, j’avais indiqué que je souhaitais faire de la formation des magistrats une priorité de la Présidence française de l’Union européenne. Je me réjouis que cette priorité ait été également celle de la Présidence tchèque qui a apporté son soutien à notre initiative en acceptant d’ouvrir avec moi ce matin le premier Séminaire euro-arabe sur la formation judiciaire. Ma présence aujourd’hui témoigne de la contribution forte que la France entend donner au renforcement de la coopération entre l’Union européenne et les pays arabes dans le secteur de la justice et de l’état de droit.

Cet événement a encore plus de force qu’il se tient au Royaume de Jordanie, pays dont on connaît l’engagement sans faille en faveur de la démocratie parlementaire et la réforme des institutions judiciaires. Je remercie personnellement le Premier Ministre Jordanien, M. Nader DHAHABI, qui a bien voulu honorer de sa présence cette manifestation.

1-  La Formation judiciaire, une priorité

 

En ayant institué en 1958, il y a un peu plus de 50 ans, l’Ecole Nationale de la Magistrature,la France a perçu la nécessité d’adapter sa magistrature aux évolutions du mode de société et du droit. L’idée de son créateur, Michel Debré, était d’offrir aux magistrats une formation plus ouverte sur les connaissances contemporaines. Dès cette époque, conscience avait été prise que sans une politique de formation structurée, le corps judiciaire serait coupé de la réalité sociale du pays.

Dans un monde globalisé soumis à des bouleversements permanents en raison des constantes innovations technologiques et scientifiques et animé par une circulation de l’information qui n’a jamais été aussi rapide, la formation est devenue le socle de la modernisation institutionnelle, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Sans mise à niveau initiale et sans remise à niveau permanente, l’accès à la connaissance devient impossible et le retard pris sur les autres est immédiat. En d’autres termes, il ne peut pas y avoir de progrès sans enseignement et formation. On le sait, encore aujourd’hui : le radicalisme, l’obscurantisme se fondent sur l’ignorance.

L’éducation et la formation professionnelle, associées à la communication, favorisent l’esprit critique et d’analyse, développent le sens de la responsabilité, de l’initiative et de la décision. Elles rendent possible la confrontation des savoirs et des savoir-faire au sein des groupes ou des institutions et contribuent à l’épanouissement des rapports de travail en leur sein. La formation n’est donc pas seulement un outil essentiel de modernisation institutionnelle. Elle est aussi un moyen d’enrichissement des relations humaines.

Ces deux raisons à elles seules expliquent pourquoi la formation des magistrats est une priorité. Elle est la garantie d’une justice humaine, ouverte sur la société et le monde.

En France, j’ai tenu à ce que l’Ecole Nationale de la Magistrature remplisse pleinement son rôle que je qualifierai d’architecte de l’institution judiciaire et ai entrepris l’année dernière avec son Directeur, Jean-François THONY, sa réforme de telle sorte qu’elle contribue effectivement à l’ouverture du corps de la magistrature au sein de la société française par une diversification des recrutements et à l’extérieur pour qu’il s’adapte parfaitement à la dimension de plus en plus internationale de la justice.

2-  La coopération euro-arabe

 

La priorité que j’ai fixée pour la France,la France l’a fixée également pour l’Union européenne lorsqu’elle en avaitla Présidence. Nous avons en effet considéré que les magistrats des différents Etats Membres de l’Union devaient mieux se connaître, apprendre à travailler ensemble, acquérir une culture judiciaire commune pour davantage asseoir l’espace juridique commun que nous construisons ensemble depuis plus de 50 ans. En juillet 2008, le Ministère dela Justice a organisé une conférence réunissant les acteurs de la formation judiciaire des 27 Etats Membres afin d’approfondir cette réflexion.

Mais comme cela est vrai pour l’institution judiciaire française, l’espace judiciaire européen doit aussi être tourné vers le monde extérieur s’il ne veut pas être en décalage avec le monde. Et bien entendu il convient de le faire d’abord avec son voisinage. Le monde arabe en fait partie et c’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que l’événement qui nous réunit aujourd’hui nous permette ensemble, européens et arabes, de réfléchir sur la contribution de la formation au renforcement de l’indépendance et de la qualité de la justice et les moyens d’établir entre les deux versants de la Méditerranée un climat de partage et de confiance favorisant la coopération institutionnelle.

L’enjeu de la formation, c’est de bien connaître les mécanismes des Etats partenaires. Sans cette connaissance, l’échange et la confiance sont impossibles ou en tout cas difficiles.

La France bénéficie d’une position privilégiée pour donner un élan à cette coopération. En raison de facteurs historiques divers, les pays arabes ont élaboré au XIX° siècle des systèmes juridiques et judiciaires inspirés du modèle français. Nous possédons à bien des égards, notamment dans le domaine du droit civil, un patrimoine juridique commun. Cette convergence peut aujourd’hui être au service d’une ambition, celle de rendre la coopération euro-arabe plus efficace et d’éviter ainsi les incompréhensions, les peurs et les erreurs de jugements de nos sociétés respectives.

En Europe, nous avons mis en place des mécanismes permettant aux instituts de formation judiciaire d’élaborer une philosophie partagée de la formation. Je pense notamment au Réseau Européen de Formation Judiciaire dont je salue la présence à nos côtés de son Secrétaire Général, le Juge Victor Hall. Institution indépendante des structures politiques, elle développe au profit des magistrats des Etats Membres et de leurs formateurs des programmes de formation à dimension réellement européenne. La Commission européenne lui a reconnu un monopole pour la mise en œuvre du « Programme d’Echanges » qui permet aux participants de mieux connaître et appréhender les différents systèmes européens.

Je sais que dans le cadre du projet Euromed Justice de la Commission, un réseau des instituts de formation judiciaire des pays bénéficiaires a également été créé.

Un rapprochement et un élargissement de ces différentes structures permettraient que la coopération euro-arabe prenne un véritable essor et se concrétise par des actions concrètes de coopération.

Ce séminaire n’est donc qu’un début. J’aimerais qu’au cours de ces travaux, les participants s’entendent pour avancer plus loin et envisager la création d’un organe conjoint destiné à soutenir l’échange des connaissances et la diffusion des bonnes pratiques professionnelles.

En conclusion, je voudrais remercier la Jordanie et sa Majesté le Roi Abdallah pour avoir accepté de placer sous son patronage cette conférence. Je voudrai également lui rendre hommage pour sa politique avisée de réforme de la justice qu’il mène dans son pays pour son attachement à l’Etat de droit. Mes remerciements s’adressent également au Ministre dela Justice, M. Ayman ODEH, et ses services qui ont organisé avec nous cet évènement. Nos deux pays sont déjà associés dans le processus de modernisation et de réforme des systèmes judiciaires arabes à travers l’Initiative OCDE MENA sur la bonne gouvernance. En partenariat avec le PNUD POGAR, également co-organisateur de ce séminaire, et des Etats-Unis, nous travaillons ensemble pour lutter contre la corruption et sensibiliser les magistrats au droit des affaires.

Je remercie encore la Présidence tchèque de l’Union européenne d’avoir bien voulu reprendre à son compte notre initiative et de marquer ainsi le caractère prioritaire que doit avoir la coopération européenne en matière de formation judiciaire.

Ce premier séminaire euro-arabe marque notre détermination à mettre l’accent sur la connaissance et le dialogue interculturel pour que dans un monde d’intensification des échanges nos appareils judiciaires ne fonctionnent pas en vases clos

Je vous remercie.