[Archives] Inauguration du CEF de Sainte Ménéhould

Publié le 16 mars 2009

Discours de Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Le projet de réforme de l’ordonnance sur l’enfance délinquante des mineurs procède d’une démarche pragmatique : répondre au besoin d’outils juridiques neufs et adaptés aux exigences nouvelles de notre société face à la délinquance des mineurs.

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Monsieur le Député,Madame et Monsieur le Sénateur,Monsieur le Président du Conseil général,Monsieur le Maire,Mesdames et Messieurs les hautes personnalités,Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureuse d’inaugurer aujourd’hui, ici à Sainte-Ménehould, le 38ème établissement de ce type.

Je remercie vivement les partenaires qui se sont mobilisés en faveur de ce projet et en ont permis la réalisation :

les élus locaux bien sûr. Rien ne peut se faire sans vous. Vous êtes bien souvent à l’origine de nombreuses initiatives pour assurer la sécurité de la population ;

la société HLI, qui a réalisé la construction de ces locaux, forte de son expérience dans les centres de Saint-Venant et de Ham ;

l’association gestionnaire du CEF, l’association de sauvegarde et d’action éducative et sociale de la Marne (l’ASAES) ;

les forces de gendarmerie

l’éducation nationale et ce qui est très important : le secteur psychiatrique.

 

La diversité des partenaires est le principe même du CEF : une structure éducative adaptée aux récidivistes avec une individualisation de la prise en charge.

En 2010, il y aura 48 CEF sur toute la France, qui permettront d’accueillir 528 mineurs délinquants.

J’ai voulu que nous développions une véritable prise en charge des troubles psychologiques. Elle n’était pas suffisante. Quand ces troubles ne sont pas pris en compte, ils peuvent conduire à de nouvelles infractions, à la récidive.

C’est pour cela que dès mon arrivée Place Vendôme, j’ai tenu à ce que cinq CEF disposent à titre expérimental d’équipes thérapeutiques. Elles assurent une prise en charge médico-psychologique renforcée des mineurs placés qui en ont besoin.

Cette expérimentation a fait ses preuves :

- les équipes éducatives et pédagogiques disposent d’un relai pour mieux appréhender des situations de crise ou de violence ;

- cette prise en charge permet également de traiter les diverses addictions des jeunes, qu’il s’agisse de l’alcool ou de la drogue ;

- les éducateurs et professeurs des CEF peuvent ainsi se centrer pleinement sur leurs missions essentielles d’éducation et d’apprentissage ;

- la réintégration d’un circuit scolaire ou de formation professionnelle se trouve enfin facilitée par l’aide  psychologique apportée aux jeunes.

Au vu de ces premiers résultats, j’ai donc décidé de doubler d’ici à la fin de cette année le nombre de CEF qui bénéficieront de ce dispositif.

  Le CEF de Sainte-Ménehould constituera ainsi le sixième CEF renforcédans la prise en charge médico-psychologique. Le choix des autres CEF se fera selon les besoins locaux et, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, avec le souci d’assurer un maillage territorial équilibré et équitable sur tout le territoire national.

  Nous franchissons là un pas supplémentaire, qui doit permettre à notre dispositif d’optimiser ses résultats.

 Les jeunes placés en CEF ont un lourd passé de délinquants :

50 % d’entre eux ont un passé judiciaire,

30 % étaient incarcérés avant d’être placés en CEF,

76 % ont été placés par un juge pénal au moins une fois avant leur arrivée en CEF

33 % ont même été placés plus de trois fois.

 

Les CEF permettent au final d’obtenir d’excellents résultats :

61 % des mineurs placés en CEF ne récidivent pas

et 84 % d’entre eux reprennent leur scolarité ou une formation professionnelle.

 

Vous le constatez Mesdames et Messieurs, notre mobilisation est indispensable dans la lutte contre l’ancrage de la délinquance des mineurs.

C’est le sens et l’objectif du nouveau code de la justice pénale des mineurs qui vient de m’être remis.

Il part d’un constat simple : depuis 2002, la délinquance des mineurs a augmenté de 13%.Les condamnations criminelles ont progressé de 763 % en 10 ans pour les mineurs de 13 ans.

 Actuellement, près de 680 mineurs sont incarcérés. C’est un chiffre très significatif qui est en diminution depuis 2007.

Le projet de réforme de l’ordonnance sur l’enfance délinquante des mineurs procède d’une démarche pragmatique : répondre au besoin d’outils juridiques neufs et adaptés aux exigences nouvelles de notre société face à la délinquance des mineurs.

Le projet de code traduit la plupart des propositions formulées par la Commission présidée par le Recteur André Varinard. Je tiens ici à saluer à nouveau son travail et son investissement personnel dans la mission très difficile qui lui était confiée.

 

Le projet de code se décline en trois grands axes :

1) Edicter clairement les principes directeurs de la justice pénale des mineurs ;

2) Disposer d’un texte plus lisible et plus compréhensible :

et

3)  Assurer une réponse pénale efficace et cohérente.

 

Voici les principes directeurs de la justice pénale des mineurs.

L’ordonnance de 1945 est indiscutablement un texte fondateur dont les principes ne seront pas remis en cause. Plusieurs d’entre eux ont aujourd’hui valeur constitutionnelle ou sont repris dans des textes internationaux. Ils seront consacrés dans les dispositions liminaires de ce nouveau code. Ils serviront ainsi de guide dans l’application des dispositions pénales aux mineurs.

Je pense en particulier au principe de la finalité éducative de toute réponse pénale ; ce que le préambule de l’ordonnance de 1945 appelait le « relèvement de l’enfant ». 

La dimension éducative sera très clairement affirmée, dans le nouveau code, comme un objectif essentiel à rechercher au travers du choix de la sanction.

Cela se traduira aussi par une plus grande implication des parents dans la procédure suivie contre leur enfant. Par exemple, la mesure de remise à parents ne sera possible que si les parents sont effectivement présents. Car pour être pleinement efficace, la vertu éducative de l’intervention judiciaire doit impérativement être relayée par ceux qui sont chargés de l’éducation du mineur au quotidien. Trop souvent, les mineurs ne sont pas accompagnés à l’audience. Leurs parents ne viennent pas.

De même, le caractère éducatif de la procédure implique que le mineur ne soit pas le seul centre d’intérêt. La victime doit être pleinement prise en considération. Le mineur doit être confronté aux conséquences concrètes de son acte pour en mesurer toute la portée. Un rapport de la PJJ a montré que seulement 30 % des mineurs délinquants ne pensaient même pas à la situation de la victime.

Dans le même esprit, le maintien d’une double compétence civile et pénale du juge des mineurs traduit la volonté de dépasser le clivage, qui est encore trop souvent opéré, entre la répression et la prévention. Dans le champ pénal, la mission de la Justice commence lorsqu’un mineur enfreint la loi.

Ce nouveau code de la justice pénale des mineurs, c’est son second objectif, rendra l’action judiciaire plus lisible et plus compréhensible.

La lisibilité résultera d’un texte entièrement réécrit, selon un plan logique et qui utilise un vocabulaire simple. Il supprimera toute la terminologie inadaptée ou désuète des textes actuels. Beaucoup de termes étaient incompréhensibles pour les mineurs comme l’admonestation qui sera remplacée par un avertissement judiciaire.

Pour assurer une meilleure compréhension de la loi, le nouveau code définira plus clairement les règles propres aux mineurs et leur articulation avec le droit pénal et la procédure pénale applicables aux majeurs. C’est un prolongement logique du principe de spécialité de la justice pénale des mineurs.

Enfin, le régime applicable aux mineurs sera simplifié et clarifié. Deux innovations l’illustrent :

 

1) Les règles de responsabilité des mineurs seront explicitées pour la première fois autour de trois principes :

Tout d’abord, le nouveau code affirmera que la majorité pénale est fixée à 18 ans. Ce qui signifie qu’on est jugé suivant les règles spécifiques applicables aux mineurs pour les infractions que l’on commet avant l’âge de la majorité civile.

En second lieu, un âge d’irresponsabilité pénale sera fixé pour la première fois dans notre droit.

Il s’agit d’une innovation proposée par la Commission présidée par le Recteur Varinard qui a donné lieu à de nombreux commentaires erronés et infondés.

Je rappelle qu’aujourd’hui un mineur peut être poursuivi pour les infractions qu’il commet quel que soit son âge, dès lors que la justice l’estime doté de discernement. Il peut ainsi arriver actuellement qu’un enfant de sept ans comparaisse devant un juge des enfants pour avoir blessé grièvement un camarade de jeu ou participé à un vol.

La Commission Varinard proposait de fixer à 12 ans l’âge en dessous duquel un mineur échappe à la justice pénale.

A l’issue des consultations menées depuis ce rapport, le Gouvernement a choisi de fixer cet âge à 13 ans. Désormais en France il sera clair qu’un jeune ne peut être sanctionné pénalement qu’à partir de 13 ans. Les exigences formulées par le comité des droits de l’enfant de l’ONU seront pleinement satisfaites.

Il y aura deux régimes différenciés en matière de contrôle judiciaire et de détention provisoire : un pour les 13-16 ans et l’autre pour les 16-18.

En conséquence, pour les mineurs de moins de 13 ans qui seront désormais irresponsables pénalement de leurs actes, un régime civil spécial est prévu.

Si le passage à l’acte de ces jeunes démontre la nécessité d’une prise en charge éducative, le juge des mineurs pourra être saisi. Il ne sera pas nécessaire d’établir une situation de danger comme dans une procédure d’assistance éducative ordinaire. La compétence du juge sera directement liée à l’infraction commise par le jeune, à sa situation personnelle et au risque de renouvellement des faits. Un suivi pourra ainsi être mis en place et, au besoin, un placement dans un établissement adapté pourra être ordonné.

Pour les nécessités de l’enquête sur l’infraction commise, le mineur de moins de 13 ans pourra être entendu par les services enquêteurs. Au besoin, il pourra être contraint de comparaître et placé en retenue le temps de son audition. S’il est établi que le mineur irresponsable est l’auteur des fais, la démarche d’indemnisation de la victime, par les parents civilement responsables de leur enfant, sera facilitée.

Vous le constatez, c’est un régime de responsabilité cohérent, efficace et respectueux des principes généraux de la justice pénale des mineurs qui est envisagé.

L’actualité récente montre qu’il y a urgence à agir. Ce week-end, un mineur a été interpellé suite aux violences urbaines des Mureaux. La semaine dernière, suite aux violences commis dans le lycée de Grigny, 4 individus ont été interpellés dont deux mineurs. Le mois dernier à Arras, deux mineurs de 11 et 12 ans, soupçonnés d'agression sexuelle sur une mineure de 13 ans dans un collège, ont été mis en examen.

Cette actualité nous donne raison. Nous ne laisserons pas une partie de notre jeunesse s’ancrer dans la délinquance sous prétexte que certains idéologues qui ne vont jamais sur le terrain nous interdisent d’agir.

2)  La seconde innovation qui assurera une meilleure compréhension de la loi, c’est la réforme des sanctions applicables aux jeunes délinquants.

La répartition actuelle en mesures éducatives, sanctions éducatives et peines est délicate, y compris pour les professionnels, et difficilement compréhensible pour les mineurs condamnés.

Le nouveau code clarifie et simplifie là encore l’état du droit : outre les alternatives aux poursuites décidées par les parquets, il ne subsiste que des sanctions éducatives et des peines comme le suris avec mise à l’épreuve, le travail d’intérêt général ou l’emprisonnement.

Actuellement il existe dix-huit mesures et sanctions éducatives, redondantes entre elles, qui ne peuvent pas être appliquées à tous les mineurs, ni être prononcées par toutes les formations de jugement.

Pourtant, la distinction entre ces diverses mesures n’est pas évidente. Par exemple, il n’existe aucune différence de nature entre une admonestation et un avertissement solennel. De même, on peut retrouver des obligations pratiquement similaires entre la mesure de réparation et l’exécution de travaux scolaires ou d’un stage de formation civique.

Le nouveau code retient quatre types de sanctions éducatives : l’avertissement judiciaire, la remise à parents judiciaire, le suivi éducatif en milieu ouvert, le placement. Sans perdre la diversité qui existe actuellement dans le choix des sanctions, le texte gagne ainsi en souplesse, en cohérence et en lisibilité.

Le troisième et dernier grand axe de cette réforme majeure, c’est précisément d’assurer l’efficacité et la cohérence de l’action de la justice pénale à l’égard des mineurs délinquants.

La diversité de la réponse pénale, des services et des structures permettra d’assurer une gradation des sanctions dans un parcours pénal individualisé pour chaque mineur.

Le projet pourra s’appuyer sur des outils nouveaux, tels que le dossier unique de personnalité qui devra regrouper tous les éléments nécessaires à une parfaite connaissance du mineur et de sa situation. Ces éléments proviendront des diverses procédures dont le mineur a pu faire l’objet, qu’elles soient pénales, en assistance éducatives ou devant un juge des tutelles ou un juge aux affaires familiales.

Cela évitera le risque d’aboutir à des mesures prises à partir d’une connaissance parcellaire de la situation et du parcours du jeune, ou à des décisions redondantes, voire contradictoires entre elles.

L’idée transversale à tout le nouveau code de la justice pénale des mineurs est d’assurer une progressivité dans la réponse pénale apportée à chaque nouveau passage à l’acte d’un mineur.

 Pour lutter contre le sentiment d’impunité, il est indispensable que le jeune sache que chaque nouvelle infraction commise au mépris des avertissements de la Justice l’expose à une réponse pénale plus sévère.

Dans cet esprit, les peines planchers (prononcées dans 44 % des cas pour les mineurs), seront bien sûr maintenues comme le proposait la Commission Varinard.

Il faut également que la procédure assure une réponse rapide et efficace à chaque passage à l’acte. C’est ainsi qu’on est parvenu à un taux de réponse pénale à l’égard des mineurs délinquants de 91 % (soit une augmentation de plus de 10 % par rapport à 2001).

Les mineurs n’ont pas la même notion du temps que les adultes. Il est indispensable de couper court à tout sentiment d’impunité en mettant la justice en mesure de réagir rapidement, en disposant de tous les éléments utiles à une bonne décision.

Actuellement plus du tiers des mineurs délinquants sont jugés une fois qu’ils sont devenus majeurs. Il y a dix ans, ils étaient moitié moins dans cette situation. Ce n’est pas une situation satisfaisante.

Le nouveau code fixe des règles de procédure qui assurent un traitement des procédures plus rapide, et suffisamment souples à la fois pour ne pas contraindre à des délais rigides.

L’amélioration des délais de jugement est possible à toutes les étapes de la procédure : De la réalisation des investigations de personnalité à l’exécution de la décision.

Le nouveau code permet notamment au parquet de saisir directement les formations de jugement. Il n’y a plus besoin de saisir d’abord le juge des enfants. On gagne un temps précieux.

Le texte prévoit aussi qu’en chambre du conseil (quand le juge des enfants est seul à statuer), seules des sanctions éducatives peuvent être prononcées. Lorsqu’une peine est envisagée, un tribunal devra être saisi.

Le mineur percevra ainsi très concrètement la progression dans le traitement des nouveaux faits qu’il commet.

Enfin, il est impératif que les décisions prononcées à l’égard d’un mineur soient mises en œuvre au plus vite. Les efforts entrepris avec la mise en place des bureaux de l’exécution des peines pour mineurs devront se poursuivre.

Le nouveau code de la justice pénale des mineurs prévoit également de conférer à la PJJ un mandat de placement. Il permettra une plus grande efficacité dans l’exécution de la décision du magistrat ou du tribunal. Les services de police ou de gendarmerie pourront par exemple retenir les jeunes fugueurs le temps nécessaire à leur prise en charge par le service éducatif ou le temps que la justice prenne une nouvelle décision à leur égard. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Les mineurs doivent savoir que la parole de la justice a de la valeur et doit être respectée. C’est essentiel à leur structuration d’adultes en devenir.

 

Mesdames et Messieurs,

Le code de la justice pénale des mineurs, dont je viens de vous présenter grandes lignes, est l’aboutissement de trois mois d’un intense travail qui a débuté avec la remise du rapport Varinard début décembre 2008. De nombreuses auditions avaient été réalisées par la Commission. J’ai moi-même procédé à des consultations depuis pour mieux cerner les attentes, mais aussi les réticences qu’ont pu susciter les soixante-dix propositions du rapport de la Commission Varinard.

L’écriture du projet de code de la justice pénale des mineurs s’est faite en prenant en considération toutes les propositions qui ont été formulées et toutes ces réactions.

Le débat se poursuivra devant le Parlement, dont plusieurs représentants, toutes tendances politiques confondues, avaient été associés dès l’origine.

C’est une réforme ambitieuse, réfléchie et équilibrée qui s’engage à partir d’aujourd’hui.

Elle était attendue comme l’étaient depuis 20 ans le contrôleur général, la réforme de carte judiciaire, le JUDEVI, les peines planchers, la rétention de sûreté, la loi pénitentiaire, la réforme de l’instruction….

Depuis 1945, l’ordonnance du 2 février a été modifiée à 31 reprises. Ces évolutions n’ont pas permis d’enrayer la délinquance.

Le président de la République s’est engagé à moderniser notre droit pénal des mineurs.

Nous l’avons fait avec courage et détermination au service des Français, de la jeunesse de notre pays et de son avenir.

Je vous remercie.