[Archives] 5e rencontres « Femmes du Monde en Seine Saint-Denis » - Bobigny

Publié le 23 novembre 2009

Discours de Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

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5 minutes

Monsieur le Président du Conseil Général,

Monsieur le Président du Conseil Régional,

Mesdames et Messieurs les élus,

Madame la Présidente de l'Observatoire Départemental des violences envers les femmes,

Monsieur le Procureur,

Mesdames et Messieurs,

En 2008, 156 femmes sont décédées sous les coups de leur compagnon. Cela représente, en moyenne, un décès tous les 2 jours et demi.

Lutter contre les violences faites aux femmes, c'est les protéger contre des individus violents et dangereux.

C'est aussi refuser un présupposé insidieux, trop longtemps admis au sein de notre société. L'idée que les violences commises dans le cercle de l'intimité ne regarderaient que les conjoints. L'idée que certaines violences seraient moins inacceptables que d'autres. L'idée, au fond, que les violences conjugales seraient une fatalité, qu'elles feraient « partie de la vie ».

Ces idées sont inacceptables. Il faut les combattre.

Lutter contre les violences conjugales, c'est affirmer les valeurs de toute société démocratique : égalité entre homme et femme, refus de la violence qu'elle soit publique ou privée, défense des plus fragiles. C'est agir concrètement pour la reconnaissance de la place des femmes dans notre société.

Mesdames et Messieurs,

La prise de conscience de l'ampleur du phénomène a beaucoup progressé ces dernières années. Des associations se sont mobilisées pour sensibiliser l'opinion. Des mesures ont été prises pour améliorer l'accueil des victimes de violence conjugale dans les commissariats.

Pour autant, les chiffres le montrent, il faut aller plus loin.

Cela passe par une meilleure protection juridique des victimes de violence conjugale. Cela passe aussi par des initiatives novatrices pour accompagner les victimes de violence.

 

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Améliorer la protection juridique des conjoints victimes de violence est ma priorité.

Des réponses judiciaires existent. Pour autant, elles ne prennent pas assez en compte les réalités du phénomène.

Je prendrai un seul exemple.

Aujourd'hui, le code pénal sanctionne les violences contre les personnes, mais exclusivement si ces violences sont physiques. Qui peut ignorer que les violences conjugales sont aussi, et parfois d'abord, des violences d'ordre psychologique ? J'entends donc faire évoluer le droit sur ce point.

Au-delà, j'ai décidé de prendre des mesures concrètes, autour de trois objectifs : mieux prendre en compte l'urgence des situations de violence conjugale, favoriser l'éloignement du conjoint violent, étendre la protection à toute la famille.

Prendre en compte l'urgence d'abord.

La lenteur des procédures est inadaptée aux attentes des victimes. Elles doivent pouvoir compter sur une réponse rapide de la justice.

Dans des situations d'urgence et de danger, le juge des affaires familiales pourra donc être saisi par la victime des violences ou par le procureur.

Des mesures provisoires pourront être ordonnées dans le cadre d'une ordonnance de protection temporaire : éviction du domicile, aide matérielle, notamment en matière de logement, décisions portant sur l'autorité parentale. L'admission provisoire à l'aide juridictionnelle pourra être décidée. Elle permettra la prise en charge des frais d'avocat en vue d'une procédure judiciaire.

Deuxième objectif : faciliter l'éloignement du compagnon violent du domicile. Je veux étendre le recours au mesure d'éviction au pénal comme au civil.

Au pénal, je souhaite que les mesures d'éviction soient davantage requises par les parquets. C'est l'un des axes de ma politique pénale. Pour accompagner les victimes, il faut prévoir des possibilités de logement adaptées. Des partenariats avec les préfets et les associations seront donc engagés ou approfondis.

Au civil, je veux étendre les cas d'éviction du partenaire violent. Actuellement, le juge des affaires familiales peut, en référé, prononcer une mesure d'éviction contre le conjoint violent. Or, l'éviction n'est pas prévue pour les concubins et partenaires de PACS. Je souhaite modifier la loi pour combler ce vide juridique.

Troisième objectif, étendre la protection à toute la famille.

Dans un contexte de violence conjugale, la mise en œuvre du droit de visite est parfois traumatisante pour les enfants. Dans des situations à risque, le juge devra pouvoir donner mandat à une institution habilitée ou à une association pour assurer l'accompagnement des enfants à l'occasion du droit de visite et d'hébergement.

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Mesdames et Messieurs,

La lutte contre les violences conjugales implique une adaptation de notre droit. Elle exige aussi un meilleur accompagnement des victimes.

Pour faire évoluer les pratiques, certaines initiatives doivent venir de l'Etat. D'autres se nourrissent du travail de terrain.

L'accompagnement des victimes repose sur le travail et le savoir-faire des acteurs de terrain. Associations, élus, parquet, services de police : la qualité de l'accompagnement des victimes dépend largement de la qualité de la coopération entre les acteurs de la chaîne de la sécurité.

En Seine-Saint-Denis, des expérimentations innovantes sont mises en œuvre.

Je pense au suivi des mains courantes. Les services de police sont appelés à rendre-compte au parquet de tous les faits caractérisés, même s'ils n'ont pas fait l'objet d'une plainte.

Je pense aussi à l'hébergement des auteurs de violences au sein du couple. Reloger le compagnon violent, c'est aussi protéger la victime. Des places dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale et les centres d'hébergement d'urgence ont donc été mises à disposition du parquet.

Le téléphone portable d'alerte s'inscrit dans cette démarche expérimentale.

Le dispositif repose sur un double constat.

Aujourd'hui, les femmes ne peuvent s'adresser à la police ou à la justice qu'une fois les violences commises. Il faut pouvoir agir avant le passage à l'acte.

L'évaluation de la situation de danger relève aujourd'hui du parquet. Or, nul n'est plus conscient de la réalité du danger que la victime elle-même.

Le téléphone portable d'alerte est un dispositif pragmatique.

Une femme victime de violences, qui a déposé plainte et se trouve en situation de très grand danger pourra se voir attribuer par le parquet un téléphone d'alerte. Ce téléphone, d'utilisation extrêmement simple, est relié à un télé-surveilleur. En situation de stress, la victime pourra être mise en relation avec des conseillers. Ceux-ci évalueront la situation de danger et pourront déclencher une intervention des forces de police.

Cette initiative repose sur un partenariat remarquable. Le projet est co-financé par le département, la région et l'Etat. Je salue également le rôle de la société Mondial-Assistance, qui permettra la mise en œuvre du dispositif.

Derrière ce dispositif, c'est tout un travail de réseau qui se met en œuvre. L'Observatoire des violences envers les femmes s'est beaucoup investi sur ce dossier, et en particulier sa présidente, Ernestine RONAI, que je veux saluer. Je salue aussi l'engagement du parquet, notamment grâce aux efforts du Procureur, M. Patrick POIRET.

Dans quelques instants, nous signerons la convention permettant d'officialiser cette expérimentation de deux années.

Dès la fin de l'année, une vingtaine de téléphones seront disponibles. Si l'expérimentation est concluante, je souhaite la généraliser à l'ensemble du territoire.

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Mesdames et Messieurs,

Votre réunion se tient en préalable à la journée de lutte contre les violences faites aux femmes, qui aura lieu après-demain, mercredi.

N'oublions jamais que la lutte contre les violences faites aux femmes est un enjeu de civilisation. Chaque jour, dans le monde entier, toutes les voix qui s'élèvent contre ces violences font progresser l'humanité contre la barbarie.

A toutes celles et tous ceux qui, partie prenante de ce combat, sont venus aujourd'hui à Bobigny, je veux dire mon estime et ma reconnaissance. Puisse votre exemple redoubler nos efforts et éclairer notre action commune contre les violences, pour le respect et pour la dignité de la personne humaine.

Je vous remercie.

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