[Archives] Lancement du SARVI

Publié le 08 octobre 2008

Discours de Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la justice - Hôtel Bourvallais

Je vous remercie de votre présence : les élus, les magistrats, les avocats, les assureurs, les représentants d'associations.... Nous sommes là pour faire progresser la cause des victimes.

 

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Monsieur le Président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale, Cher Jean-Luc Warsmann,

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de votre présence : les élus, les magistrats, les avocats, les assureurs, les représentants d'associations.... Nous sommes là pour faire progresser la cause des victimes.

Pendant trop longtemps, les victimes ont été les oubliés de la justice. On s'intéressait à l'auteur de l'infraction, à sa vie, à sa personnalité, à sa santé. On s'intéressait moins à la victime, à sa souffrance, à ses difficultés, et finalement, à ses droits.

Permettez-moi de prendre trois exemples :

  • Pendant trop longtemps, on a ignoré les femmes victimes de violences : en 2007, 166 femmes sont décédées suite aux violences qu'elles ont subies. Bien souvent, les victimes de violences conjugales se taisent : parce qu'elles ont peur des représailles, parce qu'elles ne savent pas où aller, parce qu'elles n'ont pas d'argent pour vivre.
  • Autre exemple : trop souvent, les victimes ne sont pas reçues par les magistrats. Pour les juges qui siègent à l'audience, c'est une question d'impartialité. Pour les magistrats du parquet, c'est bien souvent une question de temps ; c'est parfois une question de principe, car certains estiment que le parquet est là pour poursuivre des délinquants, pas forcément pour recevoir des victimes.
  • Enfin, dernier exemple : parfois, les victimes ne sont pas informées de la libération de leur agresseur ou de sa libération conditionnelle et c'est en le croisant dans la rue qu'elles apprennent qu'il est libre.

Depuis quinze mois, j'ai voulu que la prise en charge des victimes soit améliorée. J'ai voulu recevoir personnellement des victimes pour les informer des suites judiciaires, pour prendre directement part à ce que l'on appelle le devoir de restauration.

Parler aux victimes, ce n'est pas de la démagogie. C'est de la pédagogie. Les victimes doivent être tenues informées de l'évolution d'un dossier.

Elles doivent comprendre le fonctionnement de la Justice pour comprendre et accepter ses décisions.

Il faut aussi que la Justice fasse preuve d'efficacité. Le 10 septembre dernier, les parties civiles de l'affaire Emile Louis m'ont écrit. En cour d'assises, elles ont été indemnisées pour les faits. Il s'est écoulé vingt-neuf ans entre le premier meurtre et la condamnation d'Emile Louis. Vingt-neuf ans, pour des familles, ce n'est pas un délai raisonnable. C'est pour cela que j'ai souhaité que les victimes soient indemnisées. C'est tout simplement une question de justice.

Dans l'affaire d'Outreau, l'Etat avait indemnisé les personnes acquittées. Le non maintien du Procureur Lesigne à Boulogne-sur-mer était aussi une question de justice.

La procédure judiciaire doit aider les victimes à retrouver confiance en l'avenir, à retrouver leur dignité, à avoir confiance en la justice.

Vous êtes beaucoup à partager cette volonté et je vous remercie. Je veux tout particulièrement saluer la présence de Jean-Luc Warsmann, président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale, et le député Etienne Blanc.

Leur détermination sans faille a permis de faire avancer la cause des victimes et d'améliorer l'efficacité de notre justice.

Grâce à eux, nous lançons aujourd'hui le Service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions. J'ai souhaité sa création dès juillet 2007. Je m'y étais engagée auprès des associations. La proposition de loi de Jean-Luc Warsmann et d'Etienne Blanc a donné une base légale à ce projet : le SARVI a été institué par la loi du 1er juillet 2008. La promesse faite aux associations de victimes est donc tenue !

Les victimes n'ont pas besoin de compassion. Elles ont besoin d'une Justice qui fonctionne, car la Justice est là pour protéger, pour sanctionner et pour servir.

Les Français ont besoin d'être protégés.

C'est particulièrement le cas pour les victimes. Pendant la procédure judiciaire et après le jugement, elles ont l'impression d'être livrées à elles-mêmes. Nous avons voulu que les victimes soient mieux considérées tout au long du parcours judiciaire.

Pour les victimes de violences conjugales, avec Valérie Létard, nous avons lancé le plan 2008-2010 de lutte contre les violences faites aux femmes. L'effort porte notamment sur l'amélioration de leur protection juridique. Un projet de décret est en cours d'élaboration. Il vise à mettre en place un dispositif de circulation de l'information entre le juge aux affaires familiales, le juge des enfants et le juge des tutelles. Un autre projet de décret porte sur la reconnaissance des violences psychologiques.

Pour les victimes de discrimination, nous avons mis en place les pôles anti-discrimination dans tous les tribunaux de grande instance. Il faut briser le silence, aller sur le terrain, changer les mentalités et apporter une réponse pénale. Depuis juillet 2007, il y a eu plus de 700 saisines des pôles. Les interpellations de ce week-end à Ajaccio montrent que le racisme est une réalité. Il faut réagir avant qu'il ne soit trop tard.

C'est aussi pour les victimes que nous avons instauré une audience publique en cas d'irresponsabilité pénale. L'instruction ne s'achève plus par un « non-lieu » car c'était une nouvelle épreuve pour les victimes. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008, 5 décisions d'irresponsabilité pénale pour troubles mentaux ont été rendues ; 14 autres procédures sont en cours d'examen.

Nous avons créé un juge délégué aux victimes. Il est en place depuis le 2 janvier. Comme son nom l'indique, il est au service des victimes. Il est chargé de coordonner l'action de tous ceux qui travaillent en lien avec elles : le procureur, le juge de l'application des peines, le juge des enfants, les avocats, les associations...

Le juge des victimes n'est pas un gadget ou une simple courroie de transmission. Votre présence ici en témoigne. Le juge délégué aux victimes est le visage de notre justice. Il est l'interface entre l'auteur et la victime. C'est la traduction d'un principe simple : la victime a des droits. Elle doit être entendue et respectée.

La victime qui saisit ce juge est tenue informée des évolutions de la situation du condamné : la libération, l'octroi d'un aménagement de peine ou la révocation d'une mise à l'épreuve. La victime n'est plus laissée dans l'ignorance.

Le juge de l'application des peines dispose d'un délai d'un mois pour tenir informé le juge délégué aux victimes. Ce dernier dispose de quinze jours pour informer la victime.

Le Service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions complète l'action du juge délégué aux victimes. Le SARVI, c'est la garantie pour les victimes d'obtenir un paiement plus rapidement et plus facilement. Aujourd'hui, 72 000 victimes qui ont obtenu des dommages et intérêts ne sont pas éligibles à la Commission d'indemnisation des victimes d'infraction. C'est à elles de faire les démarches pour être indemnisées et de supporter les frais de procédure.

Vous connaissez le traumatisme des victimes. Même après le procès, elles continuent à avoir peur. Bien souvent, elles préfèrent renoncer à faire valoir leur droit à être indemnisé plutôt que d'être confrontées à nouveau à leur agresseur.

Ce n'est pas la Justice qui triomphe. C'est la peur et le découragement qui s'imposent.

La justice ne s'arrête pas à la fin de l'audience. Il ne suffit pas que le tribunal accorde des dommages et intérêts. Il faut que l'auteur les verse à la victime pour que la justice s'exerce, que ses décisions soient exécutées.

Avec le SARVI, ce n'est plus la victime qui fait les démarches pour être indemnisée. C'est le SARVI qui s'occupe de tout.

Depuis le 1er octobre, les victimes qui ne relèvent pas de la CIVI et qui n'ont pas été indemnisées par l'auteur dans un délai de deux mois, peuvent saisir le SARVI :

  • si le montant accordé par le tribunal est inférieur à 1 000 euros, l'indemnisation sera intégrale ;
  • si les sommes accordées sont supérieures à 1 000 euros, le SARVI versera une avance comprise entre 1 000 et 3 000 euros.

Ce versement aura lieu dans les deux mois suivant la demande.

Pour l'auteur de l'infraction, l'existence du SARVI est une incitation au paiement volontaire. En cas de saisine du SARVI par la victime, les dommages et intérêts versés par l'auteur peuvent être augmentés d'une pénalité.

Si le condamné n'effectue pas le paiement, c'est le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et des autres infractions (FGTI) qui assure le recouvrement.

Il reste maintenant à informer les victimes de la possibilité de saisir le SARVI. Elles seront informées lors de l'audience. Une mention relative à l'existence du SARVI est prévue dans le jugement. Je compte sur vous tous pour faire connaître le SARVI.

La loi du 1er juillet 2008 a également permis de simplifier l'indemnisation des propriétaires de voitures incendiées. En 2007, près de 47 000 véhicules ont été brûlés. Le Parlement, à l'initiative du président Warsmann, a mis en place un nouveau dispositif, plus favorable aux victimes : elles n'auront plus besoin de prouver devant la CIVI qu'elles sont dans une situation matérielle ou psychologique grave pour être remboursées.

Vous savez comme moi que c'était pour elles quasiment impossible à faire. Les victimes se retrouvaient dans une situation sans issue : plus de voiture pour aller travailler et pas d'indemnisation.

Protéger les victimes, c'est aussi veiller à la sécurité de tous. Car la Justice est aussi là pour sanctionner ceux qui ne respectent pas les lois.

C'est en luttant efficacement contre la délinquance que l'on diminue le nombre de victimes. Ce constat n'est pas nouveau. Il montre où il faut concentrer nos efforts : la lutte contre la délinquance et en particulier la lutte contre les récidivistes.

C'était l'objet de la loi du 10 août 2007 contre la récidive : 13 000 récidivistes ont déjà été condamnés dont 50 % à des peines planchers.

Les résultats se font sentir sur le terrain :

  • Délinquance générale : - 3,5 % sur 12 mois
  • Atteinte aux biens : - 7,9 %
  • Agressions contre les personnes : - 1 %, en baisse constante depuis mars 2008. C'est la première fois depuis 1995.

Derrière ces résultats, il y a des vies, des souffrances, qui ont été épargnées. Pour la seule délinquance de proximité, cela représente 155.000 victimes en moins.

Avec la loi sur la rétention de sureté du 25 février 2008, le Gouvernement a voulu apporter une réponse à tous ces délinquants dangereux qui le sont encore à la fin de leur peine. C'est une loi que j'assume, parce qu'elle protège la société.

Elle crée une mesure de sûreté pour prendre en charge, dans des centres fermés, les criminels encore dangereux en fin de peine.

Elle met en œuvre une surveillance particulière, avec des obligations renforcées. Celles-ci sont définies en lien avec les associations de victimes qui siègent au sein des commissions pluridisciplinaires. Je trouve normal que les victimes aient leur mot à dire.

Cette loi s'applique déjà :

  • à 37 condamnés à perpétuité, qui ont sollicité une libération conditionnelle.
  • à 77 condamnés reconnus dangereux actuellement placés sous surveillance judiciaire.

Le premier centre de rétention est quasiment opérationnel à Fresnes.

Lutter contre l'insécurité, c'est aussi mieux prendre en charge les mineurs délinquants. L'ordonnance de 1945 ne correspond plus aux actes de délinquances commis par les mineurs d'aujourd'hui. Ces actes doivent trouver une réponse systématique, rapide et compréhensible.

Notre objectif est de prendre en compte tous les aspects du parcours du mineur, y compris ses problèmes psychologiques qu'on ne traite pas bien actuellement : c'est pour cela que j'ai créé cinq centres éducatifs fermés avec une prise en charge pédopsychiatrique.

L'ordonnance de 1945 ne parle pas des victimes. Que l'auteur soit majeur ou mineur, je veux aussi que les victimes soient traitées avec le même respect, car l'âge de l'auteur ne change rien à la souffrance de la victime.

Car la Justice est au service des Français et de tous les Français.

Je le dis clairement : la Justice est un service public : les justiciables ont droit au respect et à l'attention de la Justice. Ils ont droit à un service public de qualité, rapide et efficace.

Les Français ont le sentiment qu'elle n'est pas la même pour tous, qu'il existe une Justice à deux vitesses.

C'est pourquoi nous avons voulu la rendre plus équitable, plus efficace, plus moderne : en développant les nouvelles technologies, en réorganisant la carte judiciaire, en réformant actuellement les contentieux... Et, vous l'avez vu, fin septembre : la Justice est une priorité dans le budget de l'Etat.

Un service public de qualité est aussi un service qui se préoccupe de ses ressources humaines, qui s'attache à mieux former ses magistrats.

La réforme de la formation des magistrats à l'Ecole nationale de la magistrature a été adoptée par le conseil d'administration de l'Ecole le 19 septembre : des tests psychologiques seront effectués pour chaque candidat au concours, la formation prendra en compte les aspects techniques, mais aussi humains du métier de magistrat.

Cette réforme sera mise en œuvre dès 2009. Je sais qu'elle était attendue par les associations de victimes, mais aussi par les Français représentés par les Parlementaires.

Les associations d'aide aux victimes conduisent un formidable travail de proximité. Nous devons soutenir leur action. En 2009, les crédits de l'aide aux victimes s'établiront à 11 millions d'euros. La Justice maintient l'effort qu'elle avait engagé en 2008.

Nous veillons également à faciliter l'accès au droit : 10 points d'accès au droit seront ouverts dans des quartiers difficiles, dans le cadre du plan « Espoir Banlieues ».

** *

Voilà, Mesdames et Messieurs, le message que je veux vous livrer aujourd'hui, après quinze mois d'action pour les victimes.

Oui, la justice change.

Oui, l'institution judiciaire a changé depuis mai 2007.

Oui, nous continuerons notre travail.

Il reste encore du travail à faire, car en matière d'aide aux victimes, il reste toujours à faire. Nous avons un objectif : une Justice juste, qui protège, sanctionne et sert.

Des projets importants sont sur le point d'aboutir :

  • le rôle des associations de victimes sera mieux reconnu : elles seront davantage représentées au Conseil national de l'aide aux victimes. Un projet de décret est en cours de finalisation.
  • Le numéro européen 116 000 pour les enfants disparus sera bientôt opérationnel.

Pour ces projets et pour la cause des victimes, je sais que je peux compter sur votre engagement. Vous le savez, vous pouvez aussi compter sur ma détermination pour mettre en place une Justice juste, qui est la même partout pour tout le monde.

Je vous remercie.