[Archives] Comité de réflexion sur les codes pénal et de procédure pénale

Publié le 14 octobre 2008

Discours de Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice - Hotel de Bourvallais

Comité de réflexion sur les codes pénal et de procédure pénale

Temps de lecture :

9 minutes

Monsieur le Président de la Commission des Lois du Sénat, Jean-Jacques HYEST
Monsieur le député (Jean-Paul GARRAUD)
Messieurs les sénateurs (Jean-René LECERF, Jean-Patrick COURTOIS)
Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation,
Monsieur le Procureur Général près la Cour de Cassation,
Monsieur l’Avocat Général Philippe LEGER,
Monsieur le Procureur Général de Paris,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Madame et Monsieur les Professeurs,
Messieurs les Directeurs,
Messieurs les Avocats,
Mesdames et Messieurs,

 

C'est avec beaucoup de plaisir que je vous accueille aujourd'hui à la chancellerie pour l'installation du comité de réflexion sur la rénovation du code pénal et du code de procédure pénale.

Votre comité a une tâche majeure : réformer et moderniser deux codes qui sont des piliers de notre justice et de notre démocratie.

Je tiens tout d'abord à vous remercier vivement, Monsieur l'avocat général Philippe Léger, d'avoir accepté la présidence de ce comité.

Votre expérience riche et diversifiée de magistrat vous assure une parfaite connaissance de la législation pénale. Vous connaissez la nécessité de préserver l'équilibre entre la protection des libertés individuelles et la protection de la société.

Surtout, après avoir été pendant douze ans avocat général à la Cour de justice des communautés européennes, vous portez sur notre droit un vrai regard européen. Il sera particulièrement utile au comité. Car j'attends de vous que vous rénoviez, mais aussi que vous innoviez.

Vous serez bien entouré dans cette tâche. La réforme du code pénal et du code de procédure pénale est une œuvre qui doit mobiliser l'ensemble des acteurs judiciaires, et plus largement, toute notre société.

Je remercie chacun des membres du comité d'avoir accepté de mettre ses connaissances et sa capacité d'innovation au service de la réforme. Je tiens plus particulièrement à saluer la présence de Me Paul Lombard, grand avocat des droits de la défense. Sa connaissance pragmatique et détaillée du droit pénal et de la procédure pénale sera très précieuse.

Pourquoi faut-il aujourd'hui rénover notre code pénal et notre code de procédure pénale ?

L'histoire de ces deux codes diffère fortement :

o Le code pénal de 1810 a fait l'objet d'une première et vaste refonte à travers plusieurs lois votées en 1992 et entrées en vigueur le 1er mars 1994.
Quatorze ans après, nous disposons du recul nécessaire pour porter un regard sur l'évolution de ce qu'on a appelé le « nouveau code pénal ».

o Le code de procédure pénale actuel a, quant à lui, succédé en 1957 au code d'instruction criminelle. Il a été depuis modifié à de très nombreuses reprises. A aucun moment on ne l'a repensé dans sa globalité.

Deux histoires différentes et pourtant un même constat s'impose :

- ces codes manquent de cohérence,
- ils sont incomplets,
- ils sont sur certains points inadaptés aux besoins et aux attentes de notre société.

La catastrophe judiciaire d'Outreau a permis d'engager une réflexion sur la nécessité de réformer le code pénal et le code de procédure pénale.

J'ai mis en œuvre les 91 pôles de l'instruction. Ils fonctionnent depuis le 1er mars. Ils ont déjà été saisis près de 500 fois depuis cette date.

D'autres avancées sont aujourd'hui nécessaires.

Votre tâche est ambitieuse : remettre à plat l'ensemble de notre droit pénal. Je vous laisserai conduire votre propre réflexion. Permettez-moi simplement de vous donner quatre orientations qui pourront guider vos travaux.

Premièrement, il faut rendre notre droit pénal plus cohérent et plus lisible.

C'est tout d'abord une attente des Français.
Le Code Napoléon de 1804 énonçait un principe bien connu : « Nul n'est censé ignorer la loi ».

C'est un principe simple. Il suppose une condition première : il faut que la loi soit lisible. Je sais que c'est une préoccupation partagée par Monsieur le Président Jean-Jacques Hyest.

Aujourd'hui, la réalité est souvent inverse. La loi est mal comprise car elle est souvent incompréhensible pour nos concitoyens.

Les magistrats attendent eux aussi que notre droit pénal soit plus cohérent. Les procédures sont de plus en plus complexes, les risques de voir une procédure annulée se multiplient.

Les magistrats ont besoin de codes clairs et précis pour travailler. Dans une démocratie, ceux qui sont chargés de faire appliquer la loi, doivent disposer des moyens de la connaître complètement pour l'appliquer sereinement.

 

Chacun le constate : depuis plusieurs décennies, il existe une véritable «inflation législative ». Elle se manifeste par une explosion du nombre d'infractions dispersées dans des lois particulières ou dans d'autres codes.

Il apparaît que si 87 % des crimes figurent dans le code pénal, seulement un tiers des délits sont réprimés par ce code.

Cela signifie qu'environ 70 types de crimes et plus de 3 600 délits existent, mais qu'ils figurent dans d'autres codes ou dans des textes non codifiés.

Cet éparpillement nuit aussi bien à la cohérence qu'à la lisibilité du droit pénal :
- il facilite l'existence d'infractions distinctes réprimant un même comportement avec parfois des écarts de peines incohérents,
- il réprime des infractions dépassées et laisse dans l'ombre des infractions pourtant utiles.

Par exemple : le délit d'abus de faiblesse prévu par le code pénal est puni d'une peine de 3 ans et de 375 000 euros d'amende.
Le même délit prévu par le code de la consommation, qui réprime des comportements en partie similaire, est puni de 5 ans d'emprisonnement et de 9 000 euros d'amende. Il n'y a aucune cohérence.

Des incohérences existent au sein même du code pénal dans les sanctions de comportements voisins : l'abus de biens sociaux est puni de 5 ans et 375 000 euros, l'abus de confiance de 3 ans et 75 000 euros, la banqueroute de 5 ans et 75 000 euros. De même l'incrimination générale de corruption active est punie de 5 ans d'emprisonnement, tandis que la corruption aux fins d'obtenir une attestation ou un certificat est punie de 2 ans d'emprisonnement et 30 000 euros.

Pour être efficace et compris des Français, la cohérence de notre code pénal doit être renforcée.

La loi pénale est présumée être connue de tous. Il appartient à l'Etat de mettre à la disposition de chaque citoyen des codes clairs, précis, accessibles et présentant de manière cohérente et complète l'ensemble des dispositions pénales.

Il vous appartient d'aller plus loin afin d'offrir à nos concitoyens une vision d'ensemble cohérente de notre droit pénal.

Pour cela il vous faudra :

- définir de quelle manière l'ensemble des crimes et délits doivent être codifiés dans le code pénal ;
- identifier les contentieux devant faire l'objet de mesures de dépénalisation ou de déjudiciarisation ;
- et pour chaque projet de dépénalisation, identifier le mode de régulation permettant de suppléer la sanction pénale.

Cette rénovation nécessite en particulier une mise à plat du droit pénal spécial.

J'ai déjà initié partiellement cette réflexion avec la commission présidée par Monsieur Jean-Marie Coulon. Un avant projet de loi est en cours de rédaction et sera prochainement soumis au Conseil d'Etat.

Vos travaux s'inscriront également pour partie dans la continuité de ceux de la commission Guinchard sur la répartition des contentieux. Je veux vous annoncer que ses propositions vont recevoir concrétisation à la fois au plan réglementaire et législatif, notamment dans le cadre de la proposition de loi de simplification du droit déposée par le président Jean-Luc Warsmann et examinée ce matin même par l'Assemblée nationale.

Vous le voyez, les rapports des commissions de réflexion créées par la Chancellerie ne restent plus dans les tiroirs ; ils reçoivent une mise en œuvre immédiate ! Ce sera aussi le cas pour les conclusions de votre comité de réflexion !

Deuxième orientation : il faut disposer d'outils efficaces pour lutter contre la récidive et la délinquance.

La loi pénale doit poser des principes clairs, simples et efficaces.

Nous y veillons depuis dix-sept mois.

Avec la loi du 10 août 2007, les magistrats disposent d'un régime juridique clair contre la récidive. Ce régime est gradué et adapté. Il a déjà été mis en œuvre plus de 14 000 fois et dans la moitié des cas, une peine plancher a été prononcée.

La loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté, complète ce dispositif. La règle énoncée est simple : les criminels particulièrement dangereux en fin de peine seront placés dans des centres de rétention de sûreté.

Dans la même logique, j'ai engagé une remise à plat totale du droit applicable aux mineurs délinquants de 2008. Personne n'avait eu le courage de le faire. Ce dont nous avons besoin, c'est d'un texte de 2008 pour les mineurs délinquants de 2008 ! Ce texte doit poser des principes clairs : sanctionner le mineur délinquant et éviter la récidive.

Ces objectifs de clarté et de simplicité doivent guider vos travaux.

Ils devront permettre aux magistrats et aux enquêteurs de disposer d'outils efficaces pour lutter contre la délinquance. Je pense en particulier à la détermination d'une compétence nationale pour les officiers de police judiciaire, à un assouplissement des règles de perquisitions dans les affaires pénales d'envergure.

Troisième orientation : il faut renforcer les droits de la défense.

D'un côté, il faut que les magistrats disposent d'outils adaptés pour lutter contre la délinquance. De l'autre, il faut s'assurer que les droits des personnes interpellées et poursuivies soient assurés. C'est une question d'équilibre et de dignité.

Aujourd'hui, pour une même situation, les droits sont différents :

- cinq régimes de garde à vue distincts : deux régimes de droit commun, flagrance et préliminaire, et trois régimes dérogatoires en matière de terrorisme, de délinquance en bande organisée ou de trafic de stupéfiants. Les conditions pour rencontrer un avocat, prévenir sa famille ou voir un médecin varient selon les régimes.

- et autant de régimes de détention provisoire déterminés par la nature de l'infraction commise, l'importance de la peine encourue ou le passé de la personne mise en examen.

De la même manière, les procédures pénales simplifiées que sont la composition pénale, l'ordonnance pénale ou la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ne garantissent pas toutes les mêmes droits au prévenu.

Il faudra veiller à renforcer et harmoniser les droits de la défense.

Vous pourrez vous interroger sur l'introduction d'une procédure d'habeas corpus dans notre droit. Une personne arrêtée n'est pas privée de tous ses droits. Il faut réfléchir à une procédure qui garantit à une personne arrêtée une présentation rapide devant un juge.

Cette procédure pourrait rendre possible l'intervention d'une juridiction collégiale pour le placement d'une personne en détention provisoire.

Vous devrez également vous poser la question de l'intervention de l'avocat durant la garde à vue. Aujourd'hui, l'intervention se limite à une simple entrevue. L'avocat n'a pas accès à la procédure. J'attends de vous des propositions innovantes qui tiendront compte des nécessités de l'enquête.

Vous pourrez enfin réfléchir au renforcement de l'aspect contradictoire de l'enquête initiale.

Quatrième orientation : une meilleure prise en compte des droits des victimes.

D'une manière générale, vos travaux devront veiller à ce que les victimes soient mieux informées et mieux accompagnée durant la procédure judiciaire.

Pendant trop longtemps, les victimes ont été les oubliés de la justice. On s'intéressait à l'auteur de l'infraction, à sa vie, à sa personnalité, à sa santé. On s'intéressait moins à la victime, à sa souffrance, à ses difficultés, et finalement, à ses droits.

Des réformes importantes ont déjà été mises en œuvre avec le juge délégué aux victimes et le service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions qui s'est ouvert le 1er octobre.

Il faut aujourd'hui aller plus loin en associant les victimes à l'application des peines. Grâce à la création du Juge délégué aux victimes, ces dernières sont informées des aménagements de peine accordées à leur agresseur. C'était la moindre des choses. Maintenant, il faut se demander si la victime ou son représentant ne doit pas être entendu au moment de l'examen de la demande d'aménagement. C'est important de mesurer le traumatisme des victimes avant d'ordonner une mesure de semi-liberté.
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Mesdames et Messieurs,

Les travaux qui vous attendent sont aussi vastes que complexes. Vous disposez d'une liberté totale de proposition : n'hésitez pas à innover, à vous inspirer des solutions retenues par nos voisins européens, à bousculer le droit existant si cela est nécessaire.

Les résultats de vos travaux sont attendus le 1er juillet 2009.

D'ici là, vous aurez auditionné, comparé, débattu et formé des propositions qui contribueront à rénover un droit fondamental en ce qu'il marque les frontières de nos libertés et en assure la protection.

Je vous souhaite de bons travaux.

Je vous remercie.