[Archives] Inauguration du 1er établissement pour mineurs à Lyon

Publié le 09 mars 2007

Discours de Pascal Clément, Garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Monsieur le Ministre, cher Dominique Perben,

Monsieur le Préfet de Région,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Monsieur le Premier Président,

Monsieur le Procureur Général,

Messieurs les Directeurs,

Messieurs les Présidents,

Messieurs les Procureurs,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs,

A l'issue de cette visite de l'Etablissement Pénitentiaire pour Mineurs du Rhône, chacun peut constater que les engagements du gouvernement ont été respectés. Je remercie tous ceux qui ont contribué à définir ce projet d'EPM, à le construire, ainsi que ceux qui nous l'ont présenté ce matin.

Chacun se souvient, en effet, que la situation des prisons françaises était très dégradée lorsque notre majorité est arrivée au pouvoir en 2002. Elle appelait un sursaut républicain. Il a été engagé et il faudra le poursuivre.

Notre système carcéral a été trop longtemps marqué par le surencombrement et la vétusté. Pour lutter contre ces deux maux, il convient d'adopter une approche pragmatique visant avant tout à assurer aux hommes et aux femmes qui vivent en détention des conditions de vie décentes tout en garantissant la sécurité à nos compatriotes.

Ce fut l'objectif des deux grands programmes pénitentiaires, menés par Albin Chalandon en 1986 et Pierre Méhaignerie en 1994.

Ainsi, grâce à l'ouverture des 6 établissements lancés par Pierre Méhaignerie et à un programme de rénovation de bâtiments anciens au sein des prisons, plus de 3.000 places ont été mises en service et des établissements vétustes ont pu fermer.

Cette politique de construction d'établissements pénitentiaires a créé de réelles améliorations pour les détenus. C'est la fin des dortoirs puisque les cellules et douches individuelles sont la règle, les espaces d'activités sont aussi plus nombreux et les parloirs familiaux plus accueillants.

Pour poursuivre et amplifier cette salutaire modernisation, il fallait engager un programme immobilier digne de ce nom et construire de nouvelles places de détention. C'est encore plus vrai dans notre région et tout particulièrement ici dans l'agglomération lyonnaise.

Notre politique pénitentiaire a, en effet, une ardente obligation : assurer la dignité des détenus.

En effet, nous devons avant tout assurer le respect de la personne humaine par des conditions de vie décentes. Nous savons tous que la solution passe par la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. La modernisation de notre parc pénitentiaire a été engagée par la Loi d'Orientation et de Programmation pour la Justice que Dominique PERBEN a fait voter en 2002, avec le lancement de la construction de 13 200 nouvelles places de détention.

A l'heure du bilan, nous pouvons être fiers de ce qui a été fait : la législature a permis de voter plus de 2 milliards cinq cent millions d'euros de crédits pour engager ce grand programme de construction. Bien sûr, il a fallu du temps pour acquérir le foncier et mener à bien les procédures de marché. Mais aujourd'hui, l'ensemble du programme est en cours de réalisation sur une trentaine de sites différents. Les livraisons s'étaleront de 2007 à 2011.

Ainsi, dans notre région, après l'EPM où nous nous trouvons, trois grands établissements pénitentiaires sont en cours de construction : le Centre de détention de Roanne qui sera livré en 2008, le Centre pénitentiaire de Bourg en Bresse et la Maison d'arrêt de Lyon Corbas qui seront livrés en 2009. Ce ne sont pas là simplement des paroles. J'ai, en effet, personnellement, pu constater un réel avancement du chantier de Roanne mardi et cet après-midi, je poserai la première pierre de la prison de Corbas. Les travaux préparatoires du chantier ont par ailleurs commencé à Bourg en Bresse.

Ainsi plus de 2.000 places de détention seront créées en Rhône Alpes avant fin 2009, permettant d'augmenter de 40 % la capacité d'hébergement de la région. Grâce à cet effort sans précédent, la région Rhône-Alpes disposera d'un parc adapté à la prise en charge de la population pénale, mettant ainsi un terme à la surpopulation chronique de ses établissements.

En 2009, les prisons de Saint Paul et Saint Joseph pourront enfin fermer. Je regrette que cela se fasse si tardivement, mais reconnaissons que l'héritage laissé par les majorités antérieures ne laissait pas d'autre solution que de les maintenir en activité jusqu'à cette date.

Mais cela n'est pas suffisant. C'est pourquoi la réhabilitation au plan national des 6 000 places vétustes des grandes maisons d'arrêt existantes, comme celles des Baumettes à Marseille, de Fleury-Mérogis et de la Santé à Paris, a aussi été engagée.

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Ensuite, il nous faut disposer de régimes de détention variés et y affecter les détenus en fonction de leur personnalité et de l'évolution de leur comportement. C'est pourquoi il me semble essentiel de séparer les condamnés des prévenus et les mineurs des majeurs.

Cette logique nous a conduit à créer des établissements pénitentiaires spécifiques pour mineurs, comme l'EPM du Rhône, qui s'inscrivent dans une politique ambitieuse et cohérente de lutte contre la délinquance des mineurs.

Désormais les magistrats disposent d'une palette sans précédent de mesures éducatives et de peines. Le taux de réponse pénale en matière de délinquance des mineurs ne cesse d'ailleurs d'augmenter, atteignant 87 % en 2006.

A l'égard des primo-délinquants, c'est la réparation pénale qui demeure privilégiée. En 2005, 28 000 mesures ont été exécutées. Elles permettent aux mineurs de comprendre la gravité de leur acte et de remédier aux préjudices qu'ils ont occasionnés.

Par ailleurs, les magistrats de la jeunesse peuvent placer les mineurs dans des structures qui correspondent à leur profil et à leur parcours, que ce soit dans un foyer classique, un centre de placement immédiat, un centre éducatif renforcé ou encore un centre éducatif fermé.

Aujourd'hui, 25 CEF sont ouverts. Ils seront 46 fin 2007. Plus de 860 jeunes ont été pris en charge par ces structures et 60 % d'entre eux n'ont pas récidivé à leur sortie. C'est un véritable succès, car les mineurs en question sont particulièrement difficiles et multirécidivistes.

La spécificité de la justice des mineurs ne signifie en effet pas que l'éloignement et l'emprisonnement des plus dangereux d'entre eux soient toujours à proscrire.

Dans un lieu séparé des majeurs, tourné vers l'éducatif et la réinsertion, ils pourront faire l'apprentissage des règles fondamentales de vie en société grâce à un encadrement renforcé. L'intérêt majeur des EPM est justement de conjuguer le travail et le professionnalisme des surveillants pénitentiaires et des éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse avec le soutien actif des enseignants de l'Education Nationale.

Pour 60 jeunes, plus de 120 fonctionnaires assureront un encadrement 7 jours sur 7, de 7h30 à 21h30, permettant vingt heures d'enseignement général et technique et une quarantaine d'heures d'activités sportives et éducatives hebdomadaires. Pourquoi autant de moyens humains ? Par conviction : quel que soit son parcours, je crois qu'un mineur qui a raté une marche de la vie peut toujours remonter la pente pourvu qu'il y soit aidé.

Comme je l'ai souvent répété, l'EPM, c'est avant tout une prison qui s'organise autour d'une salle de classe. Dès juin 2007, l'EPM du Rhône accueillera ses premiers jeunes, entraînant ainsi la fermeture des quartiers mineurs de Lyon et Villefranche. Il va de soi que ces nouveaux établissements sont très attendus.

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Rendre les prisons plus humaines impliquait aussi d'imaginer de nouvelles formes de prise en charge médicale des détenus. En effet, les personnes placées sous main de justice sont souvent des personnes en situation de grande fragilité, touchées par l'illettrisme, le chômage et des troubles psychologiques.

Il n'était pas acceptable de tolérer que les détenus connaissant des difficultés sanitaires soient mal soignés ou soignés très loin de leur lieu d'incarcération.

La loi de 1994, qui a confié la prise en charge médicale des détenus au Ministère de la Santé, a constitué un progrès historique, salué par tous les praticiens.

Dans cette logique humaniste, nous avons créé des Unités Hospitalières Sécurisées Interrégionales (UHSI) pour les détenus les plus gravement malades. Ces unités accueillent dans 8 centres hospitaliers universitaires, dont celui de Lyon, les personnes détenues, devant subir une hospitalisation programmée supérieure à une durée de 48 heures. Aujourd'hui, plus de 120 lits en UHSI sont déjà opérationnels pour un objectif total de 182 lits d'UHSI d'ici 2008.

Dans le domaine psychiatrique, où les besoins sont considérables, nous avançons aussi puisqu'il sera créé, au sein des établissements de psychiatrie, 705 lits répartis dans 17 unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Ces unités, tant attendues, ouvriront dès l'an prochain.

Prévenir les risques, c'est aussi lutter contre le suicide en prison. Depuis plusieurs années, l'administration pénitentiaire s'est engagée dans une politique volontariste en s'appuyant, notamment, sur les recommandations du Professeur Terra que vous connaissez bien ici puisqu'il exerce à Lyon. Même s'il convient de rester modeste et prudent, les résultats sont là puisque en 2006, on a observé une baisse de plus de 20 % du nombre de suicides par rapport aux années précédentes.

L'humanité signifie enfin assurer la continuité des liens familiaux en détention. J'ai la conviction que c'est avec la famille que se joue en grande partie la réinsertion. Si elle s'éloigne, le détenu purgeant une longue peine se sent doublement isolé. Si elle s'en rapproche, le détenu peut envisager sa sortie avec espoir. C'est pourquoi j'ai souhaité que soient généralisées les Unités de Visites Familiales qui sont des appartements meublés au sein de l'établissement pénitentiaire où le détenu peut recevoir sa famille dans l'intimité.

Sept centres pénitentiaires en disposent déjà et tous les nouveaux centres de détention du programme 13 200 places en seront dotés. En outre, seront installés des parloirs familiaux dans les maisons centrales où la configuration des lieux ne permet pas de créer des UVF.

Cette démarche humaniste de modernisation des prisons est conforme à nos valeurs : assurer la sécurité dans le respect et la dignité des personnes. Ces valeurs ne sont pas cantonnées à la France, elles sont désormais partagées par nos voisins européens. C'est pourquoi, la France a adopté les Règles Pénitentiaires Européennes présentées par le Conseil de l'Europe. J'ai demandé au directeur de l'administration pénitentiaire de les diffuser au sein des établissements afin qu'elles constituent une référence dans le fonctionnement quotidien de nos prisons.

Les valeurs d'humanité, de fraternité et de justice, fondatrices du pacte républicain, doivent, en effet, avoir toute leur place au sein de nos établissements. La prison n'est pas l'ennemie du droit, bien au contraire. Ainsi, j'ai souhaité renforcer l'Etat de droit au sein des établissements pénitentiaires.

Le développement des points d'accès aux droits dans de très nombreux établissements grâce à la forte implication des magistrats, des avocats et des associations garantit aux détenus, les plus démunis, les informations pratiques qui leur permettront de faire valoir leurs intérêts dans les litiges de la vie quotidienne, par exemple dans le cadre d'une succession ou d'un divorce.

Cette action s'est trouvée récemment renforcée par l'intervention de délégués du Médiateur de la République dans les prisons.

Les résultats de l'expérimentation lancée par Dominique PERBEN étant extrêmement positifs, j'ai décidé, avec le Médiateur, de généraliser ce dispositif. C'est ainsi que le mois dernier, Jean Paul DELEVOYE s'est rendu dans les prisons de Lyon pour installer officiellement un délégué du médiateur.

Mais il faut aller plus loin dans la transparence.

Peu d'administrations sont aussi contrôlées que les prisons, que ce soit par les magistrats, par les différentes inspections ministérielles ou par les organismes du Conseil de l'Europe, tels que le comité de prévention de la torture ou le commissaire européen aux droits de l'homme. La France accepte ces contrôles et n'hésite pas à ouvrir ses prisons à tous ceux qui s'inquiètent des conditions de vie dans le milieu pénitentiaire. Ce contrôle s'est d'ailleurs renforcé, depuis quelques années, avec l'intervention de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité.

C'est dans cet esprit que la France a signé, le 16 septembre 2005, le protocole facultatif de la Convention des Nations Unies contre la Torture.

En application de cet engagement international, le Gouvernement a décidé que les compétences du Médiateur de la République dans le champ pénitentiaire seraient étendues. Le Médiateur de la République deviendra une autorité de contrôle extérieure et indépendante des prisons. Il pourra intervenir dans l'ensemble des établissements pénitentiaires et formuler des recommandations au Ministère de la Justice.

L'administration pénitentiaire est une grande administration républicaine, trop souvent attaquée et caricaturée. Je suis convaincu que ce contrôle est une chance pour elle et qu'il lui permettra d'obtenir le respect nécessaire à la conduite de ses missions.

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Je suis persuadé que ces changements feront bientôt sentir leurs effets et que les détenus seront mieux accueillis, mieux soignés, et que leurs droits seront respectés.

J'évoquai tout à l'heure le sursaut républicain. Nous devons également créer les conditions d'un sursaut individuel des personnes placées sous main de justice. Car le chantier de l'avenir est celui de la réinsertion. Or, la réinsertion n'est possible que si le détenu la souhaite.

La prison ne doit donc pas être un lieu de désespérance. Elle doit constituer un moment dynamique, utile et tourné vers la resocialisation.

Ne croyons pas que cela soit facile. La prison intervient, en bout de chaîne, après que toutes les autres institutions aient échoué, notamment, la famille et l'école. Il ne faut pas oublier cette donnée essentielle qui rend si difficile le travail des personnels pénitentiaires.

Le temps qu'une personne passe en détention peut toutefois être l'occasion de rompre avec une spirale d'échecs et lui permettre de prendre enfin un nouveau départ et préparer sa réinsertion ou plutôt, pour le plus grand nombre, préparer sa première insertion dans la vie sociale et professionnelle. Cela implique une réelle pédagogie de la sanction de la part de tous ceux qui interviennent en milieu pénitentiaire.

Favoriser la réinsertion, c'est avant tout aider les détenus à préparer leur projet d'exécution de peine, débouchant, le cas échéant, sur des mesures d'aménagement de peines.

Les dispositifs sont nombreux : semi-liberté, bracelet électronique fixe ou mobile, placement extérieur, libération conditionnelle. Ils sont utiles, car ils sont un premier pas réalisé en faveur de la réinsertion. C'est là l'honneur et la difficulté du métier de magistrat que de prendre ces décisions difficiles qui, incontestablement, permettent de lutter contre la récidive. En effet, une réinsertion réussie est un risque de récidive qui disparaît. Pour la première fois depuis de nombreuses années, le nombre d'aménagements de peine accordés a augmenté, sensiblement en 2004, passant de 15.000 à 18.000 mesures. Cette tendance se poursuit puisqu'en 2005, 19.000 mesures ont été prononcées et qu'elles dépassent les 21.000 en 2006. Jamais les aménagements de peines n'ont été aussi nombreux. J'insiste à dessein sur ces chiffres, car ils témoignent d'une réelle volonté politique de favoriser la réinsertion des détenus pour prévenir la récidive.

Le choix de la France n'est, en effet, pas celui du tout carcéral. Je rappelle à cet égard que le taux de détention, dans notre pays, est de 95 pour 100.000, inférieur à celui que connaissent nos voisins anglais, espagnols, allemands ou néerlandais.

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Mesdames et Messieurs,

Peu d'administration ont autant évolué que la « Pénitentiaire » en une génération, mais nos prisons sont encore loin d'être ce que nous souhaitons qu'elles soient. Car nous voulons qu'elles soient exemplaires.

Pour cela, il faut s'appuyer sur les personnels pénitentiaires qui, avec courage et dévouement, réalisent un travail remarquable dans des conditions difficiles. Ils ont droit à notre considération et à notre respect. On peut critiquer la prison, mais il est intolérable que l'on fasse le procès des personnels pénitentiaires. La Nation se doit de reconnaître leurs mérites. C'est pourquoi des avancées statutaires importantes ont été initiées, pour les travailleurs sociaux et les surveillants. Elles concerneront très prochainement les directeurs.

Depuis 2002, plus de 4.000 emplois de fonctionnaires pénitentiaires dont 1.000 travailleurs sociaux, ont été créés. Cet effort doit être maintenu dans les années à venir pour permettre l'ouverture des nouveaux établissements. L'administration pénitentiaire recrute, elle a besoin d'agents qui s'inscrivent dans cette dynamique de modernisation.

Ensuite, il est indispensable que la question pénitentiaire ne soit pas instrumentalisée à des fins politiciennes.

C'est un sujet sérieux et fondamental qui doit être traité sur le long terme, sans démagogie, avec pragmatisme et sérénité.

Plutôt que de recourir aux anathèmes ou aux grandes déclarations d'intention jamais suivies d'effet comme cela a été trop souvent le cas dans le passé, l'administration pénitentiaire a, en effet, besoin de moyens, de volonté et de temps.

L'effort considérable engagé, depuis 2002 par le législateur, par le Gouvernement et par le Service Public dans son ensemble pour garantir la sécurité de nos concitoyens, améliorer la situation des détentions, respecter la dignité des personnes et développer les conditions de réinsertion est en train de produire ses premiers résultats. Mais gardons nous de tout triomphalisme, car ces efforts devront, au cours des cinq prochaines années, être poursuivis et intensifiés par une nouvelle loi d'orientation et de programmation, quelle que soit la majorité au pouvoir.

Je vous remercie de votre attention.