[Archives] 103ème Congrès des Notaires de France

Publié le 24 septembre 2007

Discours de Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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8 minutes

Monsieur le Président REYNIS,

Monsieur le Préfet de région,

Messieurs les ministres (Dominique Perben, Alain Lambert)

Monsieur le Sénateur-Maire de Lyon,

Monsieur le Sénateur, Président du conseil général,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Messieurs les Chefs de cour,

Mesdames et Messieurs les notaires de France, chers maîtres,

Mesdames et Messieurs,

Merci, Cher Président Bernard REYNIS ; pour la chaleur de vos propos et de votre accueil.

J'y suis infiniment sensible et je vous en remercie très sincèrement.

La qualité de vos congrès est unanimement reconnue - vous avez su créer un espace de réflexion qui inspire le législateur et qui fait avancer notre droit.

 

Le thème retenu cette année le montre bien : en choisissant de vous pencher sur la division de l'immeuble, vous abordez, sous un angle apparemment technique, un sujet qui concerne l'ensemble de nos concitoyens : tout ce qui est lié à la propriété et au logement est fondamental pour eux.

 

Mais au-delà de ce débat qui occupera votre congrès, je sais que vous attendez du garde des sceaux qu'il vous parle des projets concernant votre profession dans les années à venir.

*

Je commencerai mon propos en évoquant la place des notaires dans l'Union européenne et au-delà.

 

J'aborderai ensuite des sujets plus nationaux mais qui sont importants pour vous.

 

J'ai senti à vos propos, Monsieur le Président REYNIS, que les sujets de droit européen vous tiennent à cœur.

Les gouvernements précédents vous ont défendus pour obtenir votre exclusion du champ d'application de la directive sur les services.

Il ne s'agissait pas d'une réaction passéiste visant à défendre tel ou tel privilège, mais d'une profonde conviction qui est aussi la mienne : le notariat français remplit une mission essentielle à la sécurité de notre système juridique.

Nos concitoyens ont confiance dans le notariat. Il assure la sécurité des actes juridiques conclus qui ponctuent les grands moments de la vie de chacun d'entre nous.

Les Français ont d'autant plus confiance en vous qu'ils savent que les fonds qui vous sont remis ne courent aucun risque. Ils sont protégés à la Caisse des dépôts et consignations.

Je saisis cette occasion pour remercier son Directeur Général, Augustin de Romanet qui est présent, en rappelant que la Caisse des dépôts est le banquier du service public de la justice.

Alors, s'agissant de l'action de la Commission contre la France devant la Cour de justice de Luxembourg à propos des notaires, en octobre 2006, la Commission européenne a adressé à la France et à six autres Etats membres un avis motivé critiquant la condition de nationalité imposée pour l'accès à la profession de notaire.

Les autorités françaises, en concertation avec quinze autres Etats membres concernés, ont répondu en trois points :

  • Le notaire exerce ses activités par délégation de l'autorité publique, en particulier lorsqu'il établit des actes authentiques. L'acquis communautaire et la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes le confirment.
  • Le notaire joue un rôle public. L'Etat lui reconnaît la qualité d'officier public et ministériel. Il exerce sur lui un contrôle strict.
  • Enfin, dans un pays de droit écrit, l'acte authentique constitue un mode de preuve incomparable. Il emporte la sécurité juridique !

La Commission a saisi la Cour de justice des Communautés européennes. Je veux vous dire que je crois profondément aux vertus et à l'efficacité du notariat français, je veux que vous soyez convaincus que je vous défendrai avec la plus grande énergie !

Vous êtes résolument tournés vers l'avenir pour améliorer la qualité des services rendus à nos concitoyens. Vous vous efforcez de promouvoir, au sein de la Conférence des notariats de l'Union européenne, la création d'un acte authentique européen. Cette idée est le fruit d'une collaboration entre le Conseil supérieur du notariat et le ministère de la justice.

L'acte authentique européen est une très bonne initiative. Il viendrait simplifier la vie de nos entreprises et de nos concitoyens. Ce projet sera inscrit à l'agenda de la présidence française.

Et puisque nous parlons d'Europe, je ne peux manquer d'évoquer la troisième directive anti-blanchiment qui doit être transposée avant le 15 décembre prochain.

Votre profession a accepté depuis longtemps la mise en place du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux, et la transposition de la directive européenne de 2001, la « deuxième directive blanchiment », a étendu le champ d'application de cette obligation. Toutefois, la France a souhaité mettre en œuvre toutes les options offertes par le texte communautaire pour tenir compte de la spécificité des professions juridiques.

Le décret du 26 juin 2006 a précisé que les obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux s'appliquaient individuellement à chaque notaire, quelles que soient les modalités de son exercice professionnel.

Cette spécificité devra également l'emporter dans le cadre de la transposition de la troisième directive blanchiment, sur laquelle je souhaiterais m'arrêter quelques instants.

Cette directive approfondit le dispositif jusqu'alors mis en place.

S'agissant des notaires, plusieurs obligations nouvelles devront être mises en œuvre, notamment dans le cadre des obligations de vigilance. Vous devrez pouvoir vous assurer de l'identification du client et de la nature de l'opération à laquelle vous êtes associés.

Le nouveau texte vous conduit désormais à identifier le « bénéficiaire effectif », c'est-à-dire la personne qui pourrait éventuellement se cacher derrière votre client et dans l'intérêt de qui l'opération serait réalisée.

La directive adopte par ailleurs une nouvelle démarche : elle souligne que les risques de blanchiment sont plus ou moins importants selon les situations professionnelles.

Enfin, la directive prévoit de nouvelles exigences pour le contrôle des professionnels assujettis. Les « autorités compétentes » devront en effet assurer un suivi effectif du respect des obligations en prévoyant un dispositif de sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » en cas de manquements avérés.

La lutte contre le blanchiment, ne peut qu'être encouragée. Elle ne doit toutefois pas compliquer exagérément votre activité professionnelle ou vos relations avec les citoyens. J'y veillerai autant que possible dans l'exercice de la transposition.

Alors que nous évoquons des questions qui dépassent nos frontières, je voudrais vous remercier une nouvelle fois pour les efforts que vous faites en matière de coopération internationale. Le notariat français a bien voulu prendre une place éminente dans la Fondation pour le droit continental.

La mondialisation est aujourd'hui une réalité. Il est crucial aujourd'hui de défendre et de promouvoir nos systèmes judiciaires et juridiques ainsi que notre droit écrit.

Vous n'avez d'ailleurs pas attendu la Fondation pour œuvrer dans cette direction : en faisant la promotion partout dans le monde de notre système de droit continental - et je pense particulièrement à votre action en Chine - vous avez dépassé le strict intérêt de votre profession. Vous avez pris en charge un intérêt national, démontrant une fois de plus l'esprit de service public qui vous anime.

Je veux également vous féliciter pour l'action du notariat français dans l'espace euro-méditerranéen. Cette démarche fait écho à celle du Président de la République et du gouvernement dans cette région du monde avec laquelle nous sommes particulièrement liés.

Nous vivons une période de grands changements et vous avez pu constater que la justice était elle-même en train de se rénover.

Venons-en à des sujets quasi immédiats :

Vous avez manifesté votre soutien à la nécessaire réforme de la carte judiciaire. La répartition de vos offices ne devrait pas être affectée par la réforme. Je suis très attachée au maillage territorial, et je continuerai à suivre les avis de la commission de localisation des offices notariaux.

Votre profession est animée par un souci constant de modernisation. Vous serez début 2008 en mesure de proposer à vos clients l'acte authentique sur support électronique. Je m'en réjouis avec vous, d'autant que toutes les juridictions seront équipées au 1er janvier 2008 de matériels de numérisation et de dématérialisation des procédures.

Votre profession démontre ainsi que l'usage des nouvelles technologies ne remet pas en cause la sécurité juridique, bien au contraire.

Le ministère de la justice ne manquera pas à cette obligation d'efficacité que nous avons tous à l'égard des Français.

Je voudrais aussi évoquer la réforme de la formation. Vous le savez, un décret vient d'en fixer les règles, ainsi qu' un arrêté qui définit et fixe les conditions de délivrance du brevet de technicien supérieur « notariat ».

Cette réforme était devenue indispensable.

Le décret du 5 juillet 1973, rénové, comprend également des dispositions relatives à la formation initiale des notaires. La plus significative d'entre elles rend obligatoire le stage du futur notaire. Ils seront ainsi mieux préparés à s'installer.

Aucune voie d'accès à votre profession n'a été oubliée. Celle que l'on appelle traditionnellement « la voie sociale », qui permet aux personnels de vos études de devenir vos confrères, a été également remaniée.

Vous avez abordé, Monsieur le Président, un sujet qui peut sembler un peu austère, puisqu'il s'agit de la Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires.

Ce régime spécial doit faire face aux mêmes difficultés que la sécurité sociale française. En effet, comme celle du régime général, la population des clercs et employés de notaire n'échappe pas aux évolutions démographiques. Le nombre des cotisants diminue. Le nombre des pensionnés augmente de plus en plus rapidement.

Vous proposez des évolutions fortes tant pour l'assurance maladie que l'assurance vieillesse. Cela marque l'engagement permanent des notaires vis-à-vis de la protection sociale de leurs collaborateurs.

Vos propositions s'inscrivent dans le contexte de l'engagement de la réforme des régimes spéciaux ouvert par le Président de la République. Je suis disposée, ainsi que mes collègues ministres à les examiner très rapidement.

Parallèlement, je vous invite à poursuivre le dialogue avec les représentants des organisations syndicales. Il vous faudra mettre en place une réforme ambitieuse pour permettre au régime des clercs et employés de notaires d'être structurellement viable.

Pour finir, je voudrais évoquer quelques uns des chantiers de réforme du fond de notre droit. Ils concernent tout particulièrement le notariat qui est en première ligne dans l'application de beaucoup de textes civils.

Le mandat de protection future, créé par la loi du 5 mars 2007, constitue l'une des innovations principales de la réforme de la protection juridique des majeurs. Il fait écho à des propositions que vous aviez faites lors de vos précédents congrès.

Cet instrument répond aux besoins de la population, confrontée au vieillissement et aux difficultés liées à la dépendance. Il permet à chacun de désigner à l'avance celui ou celle qui s'occupera de ses biens et de sa personne le jour où il ne sera plus en mesure de le faire lui-même.

Votre compétence et vos relations de proximité avec les familles contribueront, j'en suis sûre, à faire de ce mandat l'un des outils essentiels de la protection juridique de nos concitoyens.

Je veux par ailleurs engager la modernisation de l'ensemble de notre droit des obligations et de la prescription.

Je sais l'intérêt que vous attachez à la refonte de cette partie du code civil. Elle est inadaptée à la vie des affaires et aux besoins des opérateurs économiques. Le Sénat vient de nous faire d'excellentes propositions à ce sujet.

Ce travail s'inscrit en outre dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne. Nous devons rendre notre droit plus compétitif et plus attractif en Europe. Je serai très attentive à vos propositions et à vos observations.

Il est urgent de s'adapter aux exigences d'une société moderne.

La multiplicité des délais, leur longueur excessive, mais aussi l'incohérence des régimes de prescription, appellent une réforme d'ensemble.

Personne ne conteste la nécessité de réduire le délai de droit commun. Nous pourrons ainsi harmoniser notre droit avec celui de nos partenaires européens.

J'irai plus loin en réformant le droit des contrats et le droit de la responsabilité. Je souhaite doter notre pays, ses entreprises, ses citoyens, d'un droit moderne, cohérent et accessible à tous.

*

Monsieur le Président, chers maîtres, la France est engagée dans une grande période de modernisation. Vous y prenez part.

L'excellence du travail accompli a toujours guidé votre action. Elle protège l'Etat et les citoyens. Je vous renouvelle toute la confiance qu'ils placent en vous.

Je vous remercie.