[Archives] Réforme de la justice

Publié le 12 juin 2006

Intervention du ministre de la Justice à l'Académie des Sciences Morales et Politiques

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15 minutes

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Perpétuel de l’Académie des Sciences Morales et Politiques,
Monsieur le Secrétaire Perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres,
Monsieur le Chancelier, Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les membres de l'Académie,
Mesdames et Messieurs,

A l’heure où la Justice de notre pays va s’engager dans la voie de la rénovation, il est indispensable de scruter l’institution judiciaire à la lumière de nos classiques. Dans ses maximes, La Rochefoucauld écrivait « L'amour de la justice n'est, en la plupart des hommes, que la crainte de souffrir l'injustice ».

Comment résumer autrement l’affaire OUTREAU ? L’immense émotion née de cette erreur judiciaire tient en ces mots que nous avons tous entendu prononcer : « j’aurai pu être à leur place », « j’aurai pu être placé de longs mois en détention provisoire tout en étant innocent ». L’institution judiciaire, chargée de réguler les rapports sociaux, a vu son objectivité contestée. Une erreur judiciaire est toujours une contestation de la pratique des juges. Mais la différence entre l’affaire OUTREAU et d’autres affaires tient à l’importance de cette remise en cause, qui a ébranlé les fondements de notre procédure pénale. La France s’était endormie avec une Justice trop lente mais équitable, elle s’est réveillée avec une Justice injuste.

Cette émotion a débouché sur un débat. Ce débat, avant tout, a été animé par les parlementaires qui, au travers de leur commission d’enquête, après plus de 200 heures d’audition très médiatisées, ont réussi à poser un diagnostic partagé sur les dysfonctionnements qui ont conduit à cette catastrophe judiciaire.

Ce débat a également été mené dans d’autres enceintes, tout aussi importantes. Vous avez cette année choisi de consacrer vos travaux au thème : « La France serait-elle malade de sa Justice ? ». Je voudrais remercier tous les membres de l’Académie des Sciences Morales et Politiques pour leur engagement au service de cette grande cause nationale.

Vous avez ainsi remis en perspective les principaux enjeux judiciaires, de la place respective de l’avocat et du magistrat au coût de la Justice, tout en abordant des notions, telles que l’erreur judiciaire ou celle du jury populaire avec un indispensable recul historique.

Je vous remercie de m’avoir invité à venir exprimer, aujourd’hui devant vous, mes convictions et mes projets.

Je ne souhaite pas pour la France une réforme qui, s’appuyant sur l’émotion suscitée par l’affaire OUTREAU, conduirait à bouleverser notre modèle judiciaire en niant les incontestables atouts de notre Justice.

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Par un étonnant paradoxe de l’histoire, le pays qui a le plus cultivé et défendu son « exception » dans le monde, semble aujourd’hui tenté par le système judiciaire de ses voisins, soudainement paré de toutes les vertus. Je retiendrai deux thèmes qui me semblent au cœur des choix judiciaires qu’a fait la France dans les dernières décennies.

Le débat sur le statut du parquet, qui était récurrent pendant les années 1990, est revenu sur la place publique, alors même que l’affaire OUTREAU ne semblait pas devoir le faire émerger.
Je suis attaché au statut actuel du parquet, composé de magistrats hiérarchisés avec, au sommet de cette hiérarchie, le Garde des Sceaux.

L’organisation des parquets repose sur un principe hiérarchique atténué. Les magistrats du ministère public ne sont pas des agents de l’exécutif, mais des magistrats qui prennent leurs responsabilités et décident de l’opportunité des poursuites.

Je voudrais vous rappeler les termes de l’article 30 du code de procédure pénale : « Le Ministre de la Justice conduit la politique d’action publique déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d’action publique ».

J’ai la ferme conviction que le pouvoir d’instructions générales d’action publique est la condition de l’égalité des citoyens devant la loi, quel que soit le lieu où ils sont mis en cause.

Je considère aussi que le pouvoir de donner des instructions individuelles est la conséquence logique de ce pouvoir d’instructions générales.

Il est, en effet, le moyen de s’assurer au cas par cas de l’effectivité de l’application par chacun des parquets des instructions générales. Il me semblerait anormal qu’un magistrat du ministère public qui refuse d’appliquer la politique pénale d’un gouvernement démocratiquement désigné par le peuple dans une affaire précise ne se voit pas rappelé à l’ordre.

C’est également la contrepartie nécessaire du pouvoir d’opportunité des poursuites dont disposent les parquets.

Elles ne me paraissent d’ailleurs soulever aucune difficulté dès lors qu’elles se situent strictement dans le cadre légal, c’est-à-dire qu’elles sont : écrites ; versées au dossier et qu’il s’agit d’instructions de faire et non pas de ne pas faire.
En aucun cas, le Garde des Sceaux ne peut contraindre un parquet à abandonner des poursuites.

C’est très exactement la règle que j’ai observée depuis que je suis Garde des Sceaux.

Dans leur carrière, les magistrats peuvent émettre le vœu de découvrir de nouvelles fonctions, de juger et non pas de poursuivre. Les magistrats du parquet peuvent souhaiter occuper des fonctions au siège, et inversement. Faut-il que ce choix soit définitif ? Je ne le pense pas.

L’intime conviction du magistrat n’est pas biaisée par son passé professionnel. Faudrait-il interdire à un juriste d’entreprise d’exercer son activité en libéral, en tant qu’avocat, ou interdire à un avocat de la défense d’être un jour avocat d’une partie civile, sous le seul prétexte qu’il a perdu son indépendance d’esprit ?

L’appartenance à un même corps n’empêche pas que les rôles soient différents. Dans leur pratique quotidienne, les magistrats observent scrupuleusement la séparation de l’autorité de poursuite et de l’autorité de jugement qui est inhérente à notre droit. L’unité du corps des magistrats me semble indispensable pour garantir l’exercice d’une bonne justice.

Séparer trop strictement les fonctions du siège et du parquet ne serait pas seulement pénalisant pour les carrières des magistrats, ce serait surtout le moyen le plus sûr d’enfermer la Justice dans ses habitudes, alors qu’elle doit au contraire s’ouvrir sur le reste de la société.

Une des caractéristiques du modèle judiciaire français tient également dans la position spécifique du juge d’instruction, chargé d’instruire les affaires les plus délicates à charge et à décharge.

Je ne suis pas favorable à la suppression du juge d’instruction ni à sa transformation en juge de l’instruction.

En 1861, Matthieu Doize, petit cultivateur du département du Nord, est assassiné. Rapidement, sa fille Rosalie est suspectée. Elle est jugée quelques mois plus tard aux Assises de Hazebrouck, qui la condamnent, à tort, sur la foi d’aveux arrachés par la contrainte morale. Cette erreur judiciaire a entraîné une réforme de la procédure pénale sous le Second Empire, par la loi du 13 mai 1863. Pourtant, la seule question qui intéressait à l’époque les commentateurs judiciaires était « quand instaurerons-nous une procédure accusatoire ? ».

Je pense pourtant que notre système inquisitoire permet d’atténuer les différences sociales et économiques des parties en présence, compte tenu de la gratuité des actes effectués par le juge, à la demande des parties. Il assure donc la neutralité de la Justice.

N’oublions pas non plus que si l’instruction n’est pas faite avant l’audience, elle sera faite à l’audience. Il suffit de voir la durée interminable des audiences dans certains pays dont la justice fonctionne avec un système purement accusatoire pour se rendre compte que ce n’est pas la solution. Il y a quelques mois, je me suis rendu à la Haye, pour observer le fonctionnement des juridictions internationales. Celles qui ont choisi une procédure accusatoire, comme le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, n’ont pas démontré une efficacité suffisante pour que la nouvelle cour pénale internationale, instaurée par le Traité de Rome, la choisisse également. Au contraire, la Cour Pénale Internationale s’appuie sur une procédure beaucoup plus proche de la nôtre avec une chambre préliminaire qui remplit le rôle de notre juge d’instruction.

De même, l’instruction à l’audience, cela veut dire que très peu d’affaires peuvent être renvoyées devant les juridictions de jugement, pour des raisons liées à la durée du procès.

Par conséquent, le système totalement accusatoire ne peut fonctionner sans « plaider coupable » sinon l’institution s’engorge. Croit-on vraiment qu’il serait envisageable de décalquer le système américain ?
Ce n’est ni possible, ni souhaitable.

En 2004, avec la loi Perben II instituant le Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC), la France n’a pas fait ce choix. Elle a initié une justice acceptée et non pas une justice négociée, une Justice effective et non pas une Justice inéquitable, une Justice rapide et non pas une Justice bâclée. Cette reconnaissance de culpabilité est parfaitement encadrée et présente de bien plus grandes garanties.

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Mesdames et Messieurs,

Vous comprenez maintenant pourquoi je souhaite une profonde réforme de la Justice sans hésiter à dire que, tant que je serai Garde des Sceaux, la révolution judiciaire n’aura pas lieu, si une telle révolution consiste simplement à plagier nos voisins.

Le champ de la réforme devra être précisé dans les prochaines semaines, en liaison avec la représentation nationale. Je peux cependant d’ores-et-déjà vous indiquer la direction vers laquelle je souhaite aller.

La réforme devra répondre directement à l’affaire OUTREAU et ne devra pas s’enferrer dans les débats idéologiques. Et ce drame a posé principalement quatre questions :

  • Comment favoriser l’ouverture de la Justice ?
  • Comment mieux garantir les droits de la défense d’une personne mise en examen ?
  • Comment faire pour que la détention provisoire ne soit pas la règle, mais ne soit que l’exception ?
  • Comment définir un régime de responsabilité des magistrats plus approprié ?

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Nous sommes bien loin des aphorismes des penseurs grecs, tel Euripide qui écrivait « Simple est naturellement le langage de la vérité et la justice n'a pas besoin d'explications subtiles ».

La Justice doit être pédagogique, elle doit expliquer ses décisions, défendre ses choix devant l’opinion car la majesté du juge, siégeant en son palais, ne suffit plus depuis longtemps pour faire accepter aux citoyens la légitimité de la sanction ou de la clémence.

C’est donc une partie de la culture judiciaire, heureusement minoritaire, que je souhaite faire évoluer, celle qui considère que le magistrat est un homme qui travaille seul, dans le secret et dont le travail est terminé lorsque le jugement ou l’arrêt a été rédigé.

Cette culture de la pédagogie, c’est l’école nationale de la magistrature qui doit l’enseigner, comme l’avait déjà décidé mon prédécesseur Michel Debré en créant le Centre National d’Etudes Judiciaires en 1958, qui deviendra l’ENM en 1970.

L’école nationale de la magistrature est une grande école. Depuis près de 40 ans elle a formé des générations de magistrats qui ont servi la justice avec loyauté et compétence. Elle forme des professionnels qui partagent leur temps entre leur scolarité et des stages en juridictions. Je crois que ce système reste efficace, à la condition qu’il permette aux futurs magistrats de s’ouvrir vers l’extérieur.

C’est le sens du message que j’ai délivré à la promotion 2006 de l’ENM lors de leur prestation de serment. Je vous en rappelle les termes : « je jure de garder religieusement le secret professionnel et de me conduire en tout comme un digne et loyal auditeur de justice ».

La dignité et la loyauté, ces mots peuvent sembler à certains, hors de cette enceinte, surannés ou dépassés. Je suis convaincu du contraire. Si on le précisait, je ne doute pas qu’on le ferait en y introduisant les termes d’humilité et d’humanité.

Le juge doit, en particulier, être humble devant la situation qui lui est soumise, Il apprend dans cette école la technique judiciaire, mais il comprend surtout la nécessité de prendre du recul, de s’élever au-dessus des intérêts particuliers, pour ne plus considérer que le bien de la Justice.

Ces convictions simples m’ont amené à demander au nouveau directeur de l’ENM de prendre les mesures suivantes :

  • Développer les formations communes entre les magistrats et les avocats.

Ainsi, dès cette année, l’ENM accueillera une quarantaine d’élèves-avocats. Chacun d’entre eux sera de la sorte mieux sensibilisé au travail du juge et à celui de la défense.

  • Créer une direction d’étude spécifiquement dédiée aux droits de la défense dans le cadre de laquelle interviendront plusieurs avocats.

Le dialogue entre les acteurs du procès sera d’autant plus facilité si les jeunes magistrats ont le souci d’aller au-delà des droits de la défense, c’est-à-dire de les écouter, d’être attentifs à leurs demandes.

  • Créer un programme spécifique d’enseignement de psychologie.

Comprendre les propos parfois contradictoires d’une victime ou d’une personne gardé à vue n’est pas simple. Les souvenirs peuvent être influencés par des évènements plus récents qui n’ont rien à voir avec le procès. Des connaissances solides en psychologie seront un atout pour les futurs magistrats.

Ce mouvement d’ouverture devra se poursuivre au cours des prochaines années afin que l’on ne puisse plus reprocher à un magistrat son manque de formation.

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Renforcer les droits de la défense, c’est avant tout donner de nouvelles garanties aux personnes placées en garde à vue.

Dans toute erreur judiciaire, on retrouve des propos des personnes mises en cause qui sont faux ou mal retranscrits ou mal interprétés. L’impartialité de la Justice exige de préciser les moyens par lesquels la parole doit être recueillie.

Pour ma part, je souhaiterai que les interrogatoires des garde à vue, moments décisif de l’enquête, puissent être enregistrées, par des moyens audiovisuels.

Nous devons mieux préserver les libertés, mais également protéger la sûreté de nos concitoyens. La justice doit être sereine mais efficace.

L’enregistrement de la garde à vue permettrait de remplir ces deux objectifs. Il permettrait, en cas de doute, de vérifier les déclarations du prévenu. Il permettrait également de protéger les enquêteurs de toute suspicion.

Renforcer les droits de la défense, c’est aussi lutter contre la solitude du juge d’instruction.

Car, pour ce qui me concerne, je n’ai jamais cru que ce qui était en cause dans l’affaire OUTREAU, c’était l’âge du juge, mais son inexpérience. L’expérience, il faut bien sûr que le nouveau juge l’acquiert, mais il faut qu’il l’acquiert dans le cadre d’une structure au sein de laquelle il puisse trouver aide et références.

Je pense qu’il faudrait systématiser la co-saisine, dans les dossiers les plus lourds. Cette co-saisine ne pourrait se développer que dans les juridictions qui comptent plusieurs juges d’instruction. Or, il n’est pas envisageable d’adopter un système différent suivant l’endroit où l’on se trouve sur le territoire national, entre les grandes et les petites villes, entre les zones urbaines et les zones rurales.

J’envisage donc de créer des pôles de l’instruction en prenant comme base le département.
Ces regroupements présenteraient l’intérêt de permettre un renforcement et une rationalisation des moyens des juges d’instruction en termes de personnels de greffe, avec notamment une augmentation du nombre de secrétariats communs. Surtout, ces pôles assureraient un meilleur équilibre entre de jeunes juges en phase d’apprentissage de leur métier et des juges expérimentés. L’échange serait mutuellement avantageux à condition que les magistrats comprennent que l’époque où l’on travaillait seul, comptant sur ses seules facultés de déduction pour faire éclater la vérité, est révolue. C’est cette idée que je m’efforce de faire partager aux magistrats lors de mes déplacements et je crois qu’une vraie prise de conscience est en train d’apparaître.

Une fois l’instruction terminée, l’affaire reviendra dans le ressort le tribunal correctionnel territorialement compétent qui organisera la phase de jugement.

Certains me disent qu’il faudrait modifier l’ensemble de la carte judiciaire et en profiter pour supprimer tous les petits tribunaux qui donnent un sens à la justice de proximité. Je ne crois pas que ce soit l’enjeu de l’année 2006.

Renforcer les droits de la défense, c’est enfin rendre plus effectif le principe du contradictoire, en particulier dans le domaine de l’expertise, si décrié lors de l’affaire OUTREAU.

Aujourd’hui, le juge d’instruction fixe lui-même une mission précise à l’expert. Il faut attendre la remise du rapport pour que les parties puissent demander une contre-expertise. Cette procédure est trop longue, et doit être améliorée, afin de rétablir l’égalité des parties dans la phase de l’instruction et de redonner confiance aux citoyens.

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Tirer les conséquences de l’affaire OUTREAU, c’est renforcer les garanties entourant le placement en détention provisoire.

La règle est connue : la détention provisoire n’est qu’une exception. Pourtant, je crois que notre pays recourt beaucoup trop à la détention provisoire et surtout laisse se prolonger trop longtemps le placement en détention provisoire. L’article 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dispose que « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Je crois que la rigueur excessive qu’évoque cet article de notre charte fondamentale, c’est le fait de rester emprisonné trop longtemps avant son jugement. Il faut qu’une telle situation soit réévaluée périodiquement à la lumière des nouveaux éléments du dossier.

Je souhaiterai que soit organisée, tous les six mois, des débats publics devant la chambre de l’instruction. Ce serait le moyen le plus pertinent de lutter contre les détentions injustifiées.

Ainsi, nous pourrions faire mieux respecter l’article 144-1 du code de procédure pénale, selon lequel « la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable ».

Cette réponse ne sera cependant efficace que si nous faisons évoluer les mentalités à l’égard de la détention provisoire. Je prendrai les dispositions nécessaires pour que l’ensemble des magistrats soient mieux sensibilisés à cette question.

Je souhaiterai également assurer le caractère exceptionnel de la détention provisoire, en limitant les critères de la détention provisoire. Je pense, bien entendu, au critère de l’ordre public, qui ne pourrait être retenu qu’en matière criminelle. Le contrôle de la chambre de l’instruction pourrait aussi être renforcé, notamment par l’institution d’une audience semestrielle.

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Faire entrer la Justice dans une nouvelle ère, c’est enfin rénover la responsabilité des magistrats.

Avec le pouvoir, vient la responsabilité. Et l’interrogation de Juvénal, quis custodies custodiet ? – qui nous gardera des gardiens ? – se fait plus insistante avec l’extension du domaine d’intervention du juge. Ce principe étant posé, il reste à en assurer l’effectivité.

Contrairement à une idée répandue, les magistrats connaissent un régime de responsabilité très complet, cette responsabilité se décline dans les trois registres habituels : pénal, civil et disciplinaire.

Pourquoi alors tant de polémiques sur l’irresponsabilité des juges ?

C’est en premier lieu la question de l’organe disciplinaire, chargé de statuer sur la responsabilité des magistrats, qui est posée. Cette compétence est celle du Conseil Supérieur de la Magistrature qui, je voudrais le souligner, a publié récemment un recueil de ses décisions disciplinaires afin de rappeler à tous les magistrats ce qui est compatible avec leur éthique et ce qui ne l’est pas.

Le métier de juge est l’un des plus difficiles et l’un des plus importants qui se puisse imaginer, par les conséquences de ses décisions. Il exige donc de la sérénité et de la stabilité.

Il ne m’apparaît pas nécessairement scandaleux, dans ces conditions, qu’il obéisse à un régime différent des autres, et notamment des autres corps de la fonction publique. La nomination des magistrats, leur régime disciplinaire sont des questions qui intéressent tous les citoyens. Est-il anormal qu’elles ressortissent de la compétence d’un organisme dans lequel leurs pairs ne seraient pas majoritaires, à la différence de ce qui se passe ailleurs ?

Je suis favorable à ce que la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature évolue vers une majorité de non magistrats. C’est, à mon sens, le seul moyen d’en finir avec les critiques récurrentes sur le prétendu réflexe protecteur qui animerait les magistrats jugeant leurs pairs.

Je pense en outre que ce serait l’intérêt bien compris des magistrats, notamment en matière disciplinaire. Le corps judiciaire est composé d’hommes et de femmes de grande valeur. Très peu d’entre eux, et sans doute beaucoup moins que dans d’autres corps, commettent des fautes méritant sanction. Je suis persuadé que les Français seront alors convaincus qu’il n’y a pas d’injustice et pas non plus d’irresponsabilité, lorsque les magistrats commettent des erreurs.

C’est un peu la même réflexion que m’inspirent les conditions actuelles de saisine du CSM en matière disciplinaire. Je crois qu’à côté du Garde des Sceaux et des chefs de cour qui font tous l’objet des mêmes soupçons, il faudrait envisager une possibilité de saisine par les citoyens après filtrage par un organisme tiers.

Je suis toujours très réticent en ce qui me concerne sur la création de nouveaux organismes qui s’apparentent souvent à des comités Théodule. Je crois que la raison voudrait donc que ce travail de filtre puisse être fait par le Médiateur de la République, qui transmettra au Garde des Sceaux, aux fins de saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Vous savez enfin que la responsabilité d’un magistrat ne peut pas être recherchée pour son activité juridictionnelle. Cette règle existe dans tous les pays démocratiques et c’est une règle sans laquelle la justice ne pourrait fonctionner.

Mais il est, toutefois, des cas où les décisions d’un magistrat sont tellement aberrantes qu’elles ne peuvent laisser sans réaction, et les voies de recours ne sont pas toujours suffisantes. C’est le cas de l’erreur grossière et manifeste d’appréciation.

Je ne dis pas qu’il faut engager des poursuites disciplinaires contre un magistrat qui aurait rendu une décision inopportune, bien au contraire, car tous les justiciables ont le droit de faire appel. Je pense en revanche que l’autorité de nomination, c’est-à-dire le Conseil Supérieur de la Magistrature, doit tirer toutes les conséquences de l’inaptitude d’un magistrat à remplir certaines fonctions. Je pense en particulier à l’interdiction d’exercer les fonctions de juge unique et l’obligation d’exercer en collégialité.

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Réconcilier les Français avec leur Justice, protéger les citoyens, moderniser notre système judiciaire. Ce sont les maîtres mots d’une réforme de la Justice qui s’appuiera sur un compromis raisonnable.

Une réforme équilibrée, parce que je ne pense pas que l’on construise une Justice plus moderne en faisant table rase du passé.

Une réforme efficace, parce que nous ne pourrons redonner confiance en la Justice sans prouver concrètement aux citoyens que la Justice est à leurs côtés au quotidien, sans préjugés, ni parti pris.

Voici, Mesdames et Messieurs, les grandes lignes de la réforme que j’appelle de mes vœux et que je souhaite mener à bien avant la fin de la législature.

Je vous remercie de votre attention.