[Archives] Commission d'enquête sur l'affaire dite d'Outreau

Publié le 12 avril 2006

Intervention de Pascal Clément devant la commission d'enquête

Temps de lecture :

24 minutes

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les députés,

Je suis le troisième Garde des Sceaux entendu par votre commission d’enquête. Pour autant mon audition n’est pas de même nature que les deux précédentes. Elle ne peut d’abord porter sur le déroulement de l’information, je ne l’ai pas connue et mes prédécesseurs, Madame LEBRANCHU et Monsieur PERBEN, ont dit à ce sujet ce qu’il y avait à dire.

J’ai été nommé Garde des Sceaux quelques semaines avant que ne se déroule devant la Cour d’assises de Paris le procès en appel de l’affaire Outreau.

Mon rôle s’est limité d’abord à m’assurer que tout était prêt pour que le procès puisse se tenir dans de bonnes conditions matérielles, ensuite à m’informer du déroulement des audiences puis du délibéré, enfin à exprimer au nom de l’institution judiciaire ce qui m’est apparu nécessaire pour le bien de la Justice. Après que le Chef de l’Etat et le Premier Ministre aient, comme c’était leur rôle, manifesté l’émotion de la Nation, je me suis assuré que tout était mis en œuvre pour que l’indemnisation des personnes acquittées puisse intervenir sans délai.

J’ai également, comme vous le savez, lancé deux inspections : l’une proprement judiciaire dont j’attends les conclusions fin mai, et l’autre interministérielle que j’ai ordonnée avec mes collègues de l’intérieur et de la santé.

Mon intervention est d’une nature différente pour une autre raison : je suis, en effet, le Ministre qui aura à porter la réforme de la Justice.
A la demande du Chef de l’Etat et du Premier Ministre, et en accord avec vous, je me suis abstenu depuis les débuts de vos travaux de toute prise de position publique sur la réforme de la Justice. Pour autant j’ai continué à y travailler avec les services de la Chancellerie.

Bien sûr ce travail n’est pas achevé, notamment parce qu’il devra tenir le plus large compte des conclusions de votre commission.

Il m’est apparu toutefois nécessaire de répondre à votre demande et de vous présenter aujourd’hui mes pistes de travail.

*

*   *

Après le premier procès Outreau, celui de Saint-Omer, mon prédécesseur, Dominique PERBEN, avait confié à une commission présidée par le Procureur Général VIOUT une mission d’analyse et de proposition.

Cette commission a parfaitement bien travaillé et ses conclusions ont été saluées par tous comme répondant à la plupart des questions directement soulevées par l’affaire Outreau : recueil de la parole de l’enfant, expertise, co-saisine des juges d’instruction, meilleur encadrement de la détention provisoire grâce à une audience publique de la chambre de l’instruction, etc…

Tout ce qui pouvait être fait sans modification textuelle l’a immédiatement été. C’est ainsi qu’ont été améliorées les conditions de recueil de la parole de l’enfant et qu’a été abandonné le principe même de l’expertise de crédibilité si contestée dans le dossier Outreau.

Le projet de loi portant les dispositions de nature législative a été préparé, il a même été soumis à la concertation et je peux dire qu’il a fait l’objet d’un consensus.

Nous en étions là lorsqu’est intervenu le second procès Outreau, l’émotion considérable qu’il a soulevé dans le pays puis la création de votre commission et le très grand retentissement de ses travaux.

Le débat va désormais bien au delà et même si les propositions issues du rapport VIOUT et contenues dans le projet de loi seront reprises, elles devront, à l’évidence, l’être dans un ensemble beaucoup plus large.

Le débat qui s’est installé dans le pays depuis quelques semaines autour des travaux de votre commission, est, en effet, un débat considérable qui touche l’institution judiciaire dans son ensemble et qui appelle des réponses fortes soit en termes de réformes soit également en termes de réaffirmation des principes fondamentaux.

Ne nous le cachons pas, en effet, si ce débat est essentiel, il a également considérablement ébranlé l’institution judiciaire.

Il y a bien sûr des éléments positifs dans un tel ébranlement ; il n’est jamais inutile de remettre en cause des certitudes trop solidement installées, ni d’instiller du doute dans une institution où il devrait constituer l’un des principes de fonctionnement. Mais pour accomplir sa mission la justice a besoin de sérénité.

De cette catastrophe judiciaire, du vaste débat qui l’a suivi, de votre travail, de celui du Gouvernement doivent maintenant émerger les fondements de cette sérénité retrouvée.

Ces fondements sont au nombre de quatre : la raison, le consensus, l’équilibre et le respect.

La raison tout d’abord : c’est un débat dans lequel il faut raison garder : Outreau n’est pas toute la justice, la justice ne se résume pas à Outreau.

Cela ne signifie pas qu’Outreau n’a pas révélé de vrais défauts de notre système. Je suis pour ma part convaincu qu’en matière de détention provisoire ou de respect de la présomption d’innocence nous avons de considérables progrès à faire. Mais je suis en revanche certain que l’affaire Outreau ne signe ni la faillite de notre organisation judiciaire, ni celle de nos grands principes procéduraux. C’est sans doute un lieu commun de dire que, tous les jours, les juridictions françaises rendent des décisions de très bonne qualité.

Je ne le dis ni pour rendre hommage aux magistrats, j’ai déjà eu l’occasion de le faire à maintes reprises, ni par volonté d’autosatisfaction. Je le dis parce qu’il serait déraisonnable de faire croire à nos concitoyens que l’échec d’Outreau résulte du système car cela reviendrait à dire qu’il existe quelque part des systèmes qui protègent contre ce type de sinistre.

C’est faux. Aucune organisation, dans aucun pays, ne met à l’abri de telles erreurs et parfois d’erreurs plus graves encore.

Vous le savez, je le sais, c’est notre responsabilité de le dire : la Justice est humaine et comme toute œuvre humaine elle est faillible. La raison doit donc nous inciter à la modestie ; c’est avec modestie que nous devons nous attacher à l’élaboration des réformes nécessaires.

Le second fondement de notre reconstruction commune de la Maison Justice doit être la recherche du consensus. Parmi les messages que les professionnels nous ont fait passer, il y a celui-ci qui m’a semblé particulièrement fort : trop de lois et trop de lois contradictoires.

La rapidité de l’évolution des sociétés modernes nous oblige à légiférer plus souvent que nous ne le voudrions et je n’ai donc pas pris au pied de la lettre cet appel.
Nous continuerons à légiférer y compris en matière pénale, et y compris sans doute sur les questions de procédure.

Mais il m’apparaît nécessaire que tous ensemble nous recherchions le consensus dans ce domaine car il n’est pas sain que notre organisation judiciaire ou notre système pénal soient tricotés, puis détricotés au gré des alternances.

Ce qui est nécessaire, aujourd’hui, c’est que nous redéfinissions tous ensemble les principes fondamentaux de la Justice quitte, d’ailleurs, souvent à retrouver ceux que le temps avait enfoui sous plusieurs couches de sédimentation dans les profondeurs des Palais de justice.

Cette recherche de consensus ne m’apparaît pas impossible car j’ai observé que sur ces questions les lignes de partage n’étaient pas principalement politiques, au sens partisan du terme.

Là encore, il faut de la modestie et la volonté de rechercher chez l’autre sa part de vérité. Personne n’a jamais raison sur tout.

Quelques uns de ceux qui se sont exprimés dans le débat public de l’après Outreau m’ont paru l’avoir oublié tant, parfois, ont été affichées des certitudes définitives qui sont le contraire même de ma conception de la démocratie.

Troisième fondement : l’équilibre

Je suis frappé de voir à quel point certains des débats qui se sont ouverts à l’occasion de cette affaire Outreau sont déconnectés de la réalité et éloignés des préoccupations de nos concitoyens.

Il en va ainsi du débat accusatoire/inquisitoire. Il n’est bien sûr pas indifférent de savoir si la procédure est conduite par le juge ou par les parties. Mais en réalité, nous le savons bien, il y a longtemps que les parties se sont vu reconnaître, dans notre procédure pénale, des droits de plus en plus importants ce qui fait que nous sommes désormais, à l’évidence, dans un système mixte.

Dès lors la question n’est pas de savoir si nous devons changer de système, mais où doit se trouver le point d’équilibre entre le souci d’efficacité de la procédure, l’attention que nous devons aux victimes et les droits de la défense.

C’est une question à laquelle j’attache une importance toute particulière.

Vous savez que je me suis employé à ce que, dans le cadre de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, les droits de la défense soient renforcés : réécriture du fameux article 434-7-2 ; modification des règles relatives aux perquisitions et aux saisies dans les cabinets d’avocats, etc…

Il m’apparaît désormais nécessaire, sans pour autant changer de système d’aller vers de nouveaux droits pour la défense dans le procès pénal et de renforcer ainsi le principe du contradictoire.

Enfin le 4ème fondement est le respect : le respect des citoyens.

Le citoyen justiciable d’abord : chacun a droit à un procès équitable et chacun a droit au respect de sa présomption d’innocence.

Mais respect des citoyens, cela veut aussi dire ouverture de la justice.

Les débats qui ont suivi l’affaire Outreau n’ont pas seulement révélé l’inquiétude des Français devant une institution judiciaire qu’ils ne comprennent pas. Ils ont également démontré le grand intérêt des Françaises et des Français pour les questions de justice.

L’assiduité avec laquelle ils ont suivi les débats de votre commission en a été le révélateur.

Il ne faut pas laisser retomber cet intérêt. La justice ne peut être acceptée que si elle est comprise. Elle ne peut-être comprise que si elle est connue.

Pour cela une seule solution : faire plus et mieux participer les citoyens à l’œuvre de justice. Il faut à cet égard faire des propositions audacieuses. Je crois en effet que cette question est au cœur de notre débat.

*

*   *

Voici les bases de la refondation de la justice à laquelle nous sommes appelés. Je vais maintenant vous indiquer plus précisément mes pistes de travail.

Je veux d’abord vous parler des questions de procédure pénale et de celles d’organisation judiciaire qui leur sont connexes. Pour faire simple je dirais que le débat porte sur le juge, sur le procureur et sur l’avocat, leurs rôles et leurs pouvoirs, mais aussi les relations qu’ils entretiennent entre eux.

Le juge

Je le dis tout net, je ne suis pas favorable à la suppression du juge d’instruction ni à sa transformation en juge de l’instruction. J’ai lu et entendu beaucoup de choses sur ce sujet. Aucune ne m’a convaincu.

Trois observations à cet égard :

1 - Si l’instruction n’est plus faite avant l’audience, elle sera faite à l’audience. Il suffit de voir la durée interminable des audiences dans certains pays dont la justice fonctionne avec un système purement accusatoire pour se rendre compte que ce n’est pas la solution. Voyez à cet égard la durée du procès de Slobodan Milosevic devant le tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie et voyez, au contraire, que le Traité de Rome pour la cour pénale internationale a choisi une procédure beaucoup plus proche de la nôtre avec une chambre préliminaire qui remplit le rôle de notre juge d’instruction.

Ses rédacteurs ont été guidés par un souci d’efficacité. Ils ont eu raison.

2 - L’instruction à l’audience, ensuite, cela veut dire que très peu d’affaires peuvent être renvoyées devant les juridictions de jugement.

En réalité le système totalement accusatoire ne peut fonctionner sans « plea bargaining » sinon l’institution s’engorge. Voyez les réticences qui ont entouré l’adoption dans le cadre de la loi PERBEN-II de la CRPC, le plaider-coupable à la française. Il est pourtant parfaitement encadré et présente de bien plus grandes garanties. Croit-on vraiment qu’il serait envisageable de décalquer le système américain ? Ce n’est ni possible, ni souhaitable.

3 – Notre système est, en réalité, le plus égalitaire de tous. Il garantit une enquête de même qualité et de même neutralité quel que soit le niveau de revenus ou la position sociale des parties en cause.

*

*   *

Je vous le dis, si nous n’avions pas de justice pénale et si nous devions en élaborer une en laissant libre cours à notre imagination, je crois qu’en ce qui concerne la phase d’instruction, nous organiserions un système dans lequel interviendrait un juge indépendant, travaillant à charge et à décharge, sous le contrôle d’une juridiction collégiale et sans que cela ne coûte un centime aux parties. C’est à dire que nous réinventerions le juge d’instruction à la française.

Pour autant j’ai entendu les critiques qui ont été évoquées après l’affaire Outreau et j’en partage certaines. Je disais tout à l’heure qu’il faut, à mon sens, renforcer les droits de la défense, mais je voudrais tout de suite répondre à deux critiques récurrentes : l’âge et la solitude du juge.

A sa manière, le rapport VIOUT avait pris en compte cette problématique en prévoyant de rendre plus fréquente la co-saisine notamment en faisant en sorte qu’elle ne dépende plus de la volonté du juge mais d’une décision d’une autorité supérieure, par exemple le Président de la Chambre de l’instruction.

Je pense qu’il faut aller plus loin et systématiser la co-saisine, dans les dossiers les plus lourds. Mais surtout la co-saisine ne pourra se développer que dans les juridictions qui comptent plusieurs juges d’instruction. Or, il n’est pas envisageable d’adopter un système différent suivant l’endroit où l’on se trouve sur le territoire national, entre les grandes et les petites villes, entre les zones urbaines et les zones rurales.

Je suis donc décidé à créer des pôles de l’instruction en prenant comme base le département. Mon intention est de regrouper au tribunal du chef-lieu l’ensemble des juges d’instruction de ce département.

Toutefois, en fonction de leur population, certains départements n’auraient plus de juge d’instruction tandis que d’autres pourraient comporter plusieurs pôles, la phase de jugement se déroulant devant le tribunal correctionnel territorialement compétent.

Outre qu’elle permettrait de rendre effective la co-saisine, cette évolution aurait pour mérite de mettre un terme à la solitude des juges et d’assurer un bon équilibre au sein de chaque pôle entre de jeunes juges en phase d’apprentissage de leur métier et des juges expérimentés.

Car pour ce qui me concerne, Mesdames et Messieurs les Députés, je n’ai jamais cru que ce qui était en cause c’était l’âge du juge mais son expérience. Cette expérience, il faut bien sûr que le nouveau juge l’acquiert mais il faut qu’il l’acquiert dans le cadre d’une structure au sein de laquelle il puisse trouver aide et références.

Je souhaite lancer cette réforme avec réalisme et pragmatisme. J’ai demandé à la direction des services judiciaires de mon ministère de faire une projection de ce que pourrait être la carte de France des pôles de l’instruction.

En l’état de nos réflexions, mais elles ne sont pas définitives, il pourrait y avoir 125 pôles de l’instruction dont 76 seraient composés d’au moins 3 juges d’instruction.

Ces regroupements présenteraient en outre l’intérêt de permettre un renforcement et une rationalisation des moyens des juges d’instruction en terme de personnels de greffe, avec notamment une très nette augmentation du nombre de secrétariats communs.

Nous travaillons par ailleurs aux besoins immobiliers que générerait une telle évolution.

J’ajoute que j’ai décidé de généraliser l’équipement des juridictions en matériel de visio conférence. Toutes les cours d’appels et tous les tribunaux de grande instance seront équipés avant la fin de l’année.

*

*   *

Le juge des libertés et de la détention

A entendre les commentaires sur l’affaire Outreau, j’ai parfois eu l’impression que certains croyaient que la décision de placement en détention provisoire était encore prise en France par le juge d’instruction.

Nous savons qu’il n’en est plus rien depuis la loi du 15 juin 2000 et, pour que les choses soient claires, je vous indique tout de suite que je suis pour ma part favorable au maintien du JLD dont je considère qu’il a constitué un progrès.

D’ailleurs les lois pénales votées sous cette législature ont renforcé ses pouvoirs et ses attributions. Je pense également que la création de pôles de l’instruction, en limitant le nombre de JLD, devrait permettre de les spécialiser.

Pour autant le débat sur le JLD est nécessaire car s’interroger sur le JLD c’est s’interroger sur la détention provisoire.

Avec, je crois, beaucoup d’entre vous, je considère que notre pays a trop recours à la détention provisoire. En disant cela je pense moins d’ailleurs à la décision initiale de mise en détention qu’à la durée de celle-ci. Nous avons des durées de détention provisoire qui sont quelquefois déraisonnables, et c’est moins, à mon sens, une question de loi qu’une question de culture. A cet égard d’ailleurs, les magistrats sont en phase avec l’opinion public. C’est donc celle-ci qu’il faudrait faire évoluer.

Pour autant cette constatation ne nous interdit pas de réfléchir à des modifications institutionnelles susceptibles de nous permettre de faire évoluer les choses.

Je me suis interrogé sur la possibilité de confier à une collégialité les attributions du JLD. On m’a opposé beaucoup de raisons pour ne pas le faire ; toutes ne m’ont pas convaincu mais j’en ai néanmoins retenu deux qui m’apparaissent devoir être prises en considération.

1 – La mise en détention d’une personne peut intervenir tard le soir ou un week-end ou un jour férié et il peut être difficile de réunir une collégialité, principalement dans les petites juridictions.

2 – On m’a également fait observer qu’à faire intervenir un trop grand nombre de magistrats dans la phase d’instruction d’un dossier, on risquait de ne plus en trouver suffisamment ensuite pour juger au fond, là encore, bien sûr, principalement dans les petites ou moyennes juridictions.

Je demeure pourtant convaincu de la nécessité d’un regard collégial sur la détention provisoire.

J’envisage donc de proposer à la représentation nationale une réforme qui ne me semble pas obérer le fonctionnement des juridictions tout en augmentant considérablement les garanties apportées aux justiciables.

Tout en continuant à soumettre, par souci de réalisme, le placement initial en détention provisoire à la décision d’un juge unique, il m’apparaît envisageable qu’une partie au moins du contentieux de la détention provisoire (demandes de mise en liberté, et en tout cas la première d’entre elle, décisions de prolongation) puisse être traité par une formation présidée par le JLD. Cette formation pourrait être composée de citoyens- jurés, sélectionnés sur le modèle des jurés de cours d’assises, et siégeant au cours d’audiences périodiques suivant des règles de procédure auxquelles nous travaillons actuellement.

Cette réforme présenterait à mes yeux, deux intérêts principaux :

1 – Les questions de détention provisoire sont des questions de bon sens que des citoyens de bonne volonté, aidés par un magistrat en mesure de leur apporter les éléments techniques nécessaires, peuvent traiter avec le regard extérieur dont l’affaire Outreau a bien montré qu’il était nécessaire.

2 – Je vous ai dit, en introduction, que nous avions, tous ensemble, l’obligation de ne pas décevoir l’immense intérêt pour la Justice qui s’est révélé chez nos concitoyens. Je crois qu’il n’y a pas de meilleure manière de nous acquitter de cette obligation que de les associer de façon plus étroite à l’œuvre de justice.

Mes services sont en train de s’assurer de la faisabilité tant juridique que technique de ce projet.

Ne nous y trompons pas, si nous y arrivons, ce sera une réforme majeure. Ne faudrait-il pas l’envisager également pour les décisions les plus lourdes en matière d’application des peines, comme la libération conditionnelle ?

*

*   *

Pour conclure sur la question de la détention provisoire, je voudrais ajouter que je suis décidé à :

  • envisager la suppression du critère du trouble à l’ordre public en matière correctionnelle pour ne plus le retenir qu’en matière criminelle.
  • organiser à intervalles réguliers des débats publics devant la chambre de l’instruction, voire devant la nouvelle juridiction des libertés et de la détention pour le contentieux de la détention provisoire.
  • Réduire les délais d’audiencement en matière criminelle : ils ont été pour beaucoup dans la longueur excessive des détentions provisoires dans l’affaire Outreau.

*

*   *

Le Procureur

Pour ma part, je ne suis pas convaincu que l’affaire Outreau soulève nécessairement la question du statut du parquet, voire celle de la séparation du siège et du parquet.

J’ai toutefois bien entendu que ces questions avaient été introduites dans le débat public.

Je veux donc y répondre.

Je suis attaché au statut actuel du parquet qui est composé de magistrats hiérarchisés avec, au sommet de cette hiérarchie, le Garde des Sceaux.

Il convient d’abord d’insister sur le fait que les magistrats du parquet sont des magistrats. L’organisation des parquets repose sur un principe hiérarchique qui tient compte de cette qualité, c’est-à-dire un principe hiérarchique atténué. Et, pour ne parler que des relations du Garde de Sceaux avec les parquets, je voudrais rappeler les termes de l’article 30 du code de procédure pénale : « Le Ministre de la Justice conduit la politique d’action publique déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République.

A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d’action publique.

Il peut dénoncer au procureur général des infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes. »

Personne ne devrait discuter le fait que le Garde des Sceaux donne des instructions générales d’action publique. C’est la condition de l’égalité des citoyens devant la loi et de la cohérence de son application sur l’ensemble du territoire national.

Depuis ma nomination, j’ai ainsi donné des instructions en matière de répression du trafic de stupéfiants ou d’enlèvements d’enfants, de lutte contre le racisme et l’antisémitisme ou de violences faites aux femmes. J’ai également vous le savez donné les instructions de fermeté qui me sont apparues nécessaires lors de la crise des banlieues au mois de novembre dernier.

Tous les observateurs ont d’ailleurs souligné que la façon dont ces instructions avaient été suivies par les parquets et la cohérence ainsi donnée à l’action publique sur l’ensemble du territoire ont largement contribué à la façon dont la crise a été maîtrisée.

Je considère que le pouvoir de donner des instructions individuelles est la conséquence logique du pouvoir d’instructions générales.

Il est, en effet, le moyen de s’assurer au cas par cas de l’effectivité de l’application par chacun des parquets des instructions générales.

C’est en outre, la contrepartie nécessaire au pouvoir d’opportunité des poursuites dont disposent les parquets et qui est au cœur de notre système pénal.

Elles ne me paraissent d’ailleurs soulever aucune difficulté dès lors qu’elles se situent strictement dans le cadre légal, c’est-à-dire qu’elles sont :

  • écrites ;
  • versées au dossier ;
  • et qu’il s’agit d’instructions de faire et non pas de ne pas faire. C’est-à-dire de poursuites et non pas de non poursuites.

C’est très exactement la règle que j’ai observée depuis que je suis Garde des Sceaux.

Je vous disais tout à l’heure que cette question m’apparaissait étrangère à l’affaire Outreau. Je suis arrivé à la Chancellerie bien après le 1er procès et donc très longtemps après la fin de l’instruction, mais je me suis fait expliquer les choses.

Rien dans les comptes-rendus qui ont été faits à la Chancellerie ne pouvait alerter celle-ci sur d’éventuelles difficultés ; et d’ailleurs si elle l’avait été, elle aurait sans doute pu dialoguer avec le parquet général mais elle n’aurait pas pu lui donner d’instructions car, je le répète, il n’est possible ni de donner des instructions de non-poursuites, ni de donner des instructions de non-mise en détention.

*

*   *

Je ne crois pas d’avantage que la question de la séparation du siège et du parquet soit posée par l’affaire Outreau.

L’appartenance à un même corps n’empêche pas que les rôles soient différents. Dans leur pratique quotidienne, les magistrats observent scrupuleusement la séparation de l’autorité de poursuite et de l’autorité de jugement qui est inhérente à notre droit.

J’attends encore que l’on me démontre en quoi dans le traitement de tel ou tel dossier la proximité géographique (ils sont dans les mêmes palais de justice) institutionnelle (ils sont tous magistrats, pour la majorité d’entre eux formés par la même école) et budgétaire (leurs chefs co-dirigent la juridiction) en quoi donc tout cela porte atteinte à leur indépendance respective.

Il y a une part d’irrationnel dans ce débat. Certains m’apparaissent vivre mal une dyarchie qui peut pourtant être une vraie richesse de notre organisation judiciaire.

Je crois surtout qu’il ne faut pas lier la question de la place du parquet à celle des droits de la défense.

On a tort de comparer défense et parquet. L’un et l’autre sont essentiels à une bonne justice. Pour autant ils ne sont pas dans un rapport d’équivalence. Ils ne constituent pas l’envers et l’endroit d’une même fonction.

Là où la défense a un devoir de subjectivité, le parquet a un devoir d’objectivité. Là où la défense a l’obligation de faire siens les intérêts particuliers dont elle est chargée, le parquet doit défendre l’intérêt général. Là où la défense a droit à un secret protégé pour pouvoir s’exercer en toute confidentialité, le parquet doit au contraire agir en toute transparence.

J’ai renforcé, vous le savez, la protection de la confidentialité de la relation de l’avocat avec son client. C’est essentiel dans une démocratie.

L’avocat de la société n’est donc pas dans la même situation que les avocats des parties privées.

Pour dissiper toute équivoque, je veux indiquer que cela ne signifie pas dans mon esprit que l’une ou l’autre de ces deux missions soit supérieure à l’autre. Je veux simplement dire qu’elles sont de nature différente et que cette différence suffit à expliquer que la position du parquet à proximité du siège ne porte en rien atteinte à l’équilibre du procès.

Je lirai avec intérêt ce qu’écrira votre commission d’enquête sur ce sujet et notamment sur une plus grande séparation des carrières.

Je demeure toutefois attentif à deux points :

  • il faut bannir tout ce qui tendrait à conduire à une fonctionnarisation du parquet. Ce n’est ni la tradition française qui s’est organisée autour du principe d’opportunité des poursuites, ni l’intérêt de la Justice. Or, une totale séparation des corps serait l’antichambre d’une telle fonctionnarisation ;
  • je vous l’ai dit en introduction, attachons nous tous ensemble à rechercher des solutions consensuelles. Or, dans ce domaine les réformes séparatistes ne font, à l’évidence, pas consensus.

*

*   *

L’avocat

Ce serait un total contresens de penser que le maintien de l’unicité du corps judiciaire ne peut se faire qu’au détriment d’un renforcement des droits de la défense. Je souhaite que nous démontrions le contraire. Il n’y a pas de bonne justice sans une défense forte et efficace.

Les organisations représentatives des avocats français ont, au cours de ces derniers jours, émis des propositions pour renforcer les droits de la défense. J’écouterai également avec attention ce que dira votre commission d’enquête sur le sujet.

  • S’agissant du renforcement des droits de l’avocat pendant la garde à vue, il conviendra bien sûr que j’examine avec mon collègue, le Ministre de l’intérieur, les différentes propositions qui seront faites.

Je vous l’ai dit, mon souci est de renforcer les droits de la défense tout en préservant l’efficacité de l’enquête.

A cet égard, rien ne me paraît s’opposer à l’enregistrement sonore, ou audiovisuel, des auditions pendant la garde à vue. Je suis en tout cas prêt à en examiner la possibilité technique, budgétaire, et procédurale.

Je m’interroge sur la systématisation de l’intervention de l’avocat dès le début de la garde à vue, quel que soit le type de contentieux. La question est ouverte, notamment sur les modalités (avocat d’office ou choisi) d’une telle présence.

En revanche, le fait de permettre à l’avocat d’avoir accès au dossier de l’enquête pendant la garde à vue et a fortiori celui de prévoir qu’il pourrait assister son client à ce moment de la procédure me paraîtrait constituer un changement de nature de la garde à vue.

  • S’agissant maintenant du déroulement de l’instruction, je suis pour ce qui me concerne très favorable à ce que l’expertise pénale ait désormais un caractère plus contradictoire. Je ne vois pas ce qui s’y oppose.

Je suis notamment convaincu qu’une expertise qui répondrait à toutes les questions posées par les parties et, dans les matières les plus techniques, qui serait réalisée par un collège d’experts au sein duquel certains pourraient être désignés par les parties serait de nature à mieux permettre la manifestation de la vérité et à accélérer le cours des instructions en évitant de nombreuses demandes de contre-expertise ou de compléments d’expertises.

Je suis également favorable, sous réserve de votre propre analyse, à ce qu’en cours d’information les parties puissent contester plus facilement leur mise en examen.

Il est des mises en examen qui durent longtemps, trop longtemps, sans que le fondement juridique en soit évident. Elles créent toujours un préjudice pour ceux qui en sont l’objet. La mise en examen n’est jamais un acte neutre. Il est bon que celui qui en fait l’objet dispose de moyens juridiques renforcés pour la contester.

*

*   *

Les questions de procédure pénale sont importantes ; Il est nécessaire d’y répondre mais ces réponses n’épuiseront toutefois pas le débat.

J’ai, en effet, entendu, comme vous, beaucoup de questions sur le magistrat, son recrutement, sa formation, sa déontologie, sa responsabilité, etc…

Sur ces sujets aussi je voudrais très rapidement ouvrir quelques pistes.

La formation des magistrats

L’école nationale de la magistrature est une grande école. Depuis près de 40 ans elle a formé des générations de magistrats qui ont servi la justice avec loyauté et compétence. Vous avez pu, vous-même, apprécier la qualité de la formation qui y est dispensée lorsque vous vous êtes déplacés à Bordeaux.
L’affaire Outreau doit néanmoins nous conduire à repenser pour partie son fonctionnement de façon à l’ouvrir d’avantage vers l’extérieur.

Je puis ainsi vous indiquer que dès cette année l’école nationale de la magistrature va :

  • accueillir une quarantaine d’élèves-avocats dans ses directions d’étude ;
  • Créer une direction d’étude spécifiquement dédiée aux droits de la défense dans le cadre de laquelle interviendront plusieurs avocats ;
  • Intégrer également dans l’équipe enseignante un magistrat de common law, sans doute un magistrat américain ;
  • Créer un programme spécifique d’enseignement de psychologie ;
  • Ouvrir le corps des chargés d’enseignement de façon à mieux y associer les magistrats qui exercent en juridiction.

Ce mouvement se poursuivra au cours des prochaines années. C’est la mission que j’ai confiée au nouveau directeur de l’ENM.

La responsabilité des magistrats

Ainsi que vous le savez, le chef de l’Etat m’avait demandé au mois de juillet dernier de réfléchir à la question de la responsabilité des magistrats.

Cette demande n’était pas liée à l’affaire Outreau, et je vais très bientôt lui présenter le résultat du travail que j’ai conduit avec mes collaborateurs.

Contrairement à une idée répandue, les magistrats connaissent un régime de responsabilité très complet, cette responsabilité se décline dans les trois registres habituels : pénal, civil et disciplinaire.

A mon sens, une réforme dans ce domaine devra donc moins porter sur le régime de sanctions, même si des ajustements peuvent être faits, que sur la prévention et la détection des comportements à risque qui m’apparaissent trop souvent laisser à désirer.

Vous comprendrez que je réserve au Chef de l’Etat la primeur de ces réflexions.

Il y a toutefois un point que je souhaite aborder avec vous sous forme de question, c’est celui de l’erreur grossière et manifeste d’appréciation.

Vous savez que la responsabilité d’un magistrat ne peut pas être recherchée pour son activité juridictionnelle. Cette règle existe dans tous les pays démocratiques et c’est une règle sans laquelle la justice ne pourrait fonctionner. Mais il est, toutefois, des cas où les décisions d’un magistrat sont tellement aberrantes qu’elles ne peuvent laisser sans réaction et les voies de recours ne sont pas toujours suffisantes.

Prenons un exemple, bien sûr construit de toute pièce. Imaginons qu’un juge des enfants soit saisi de la situation d’un très jeune enfant présentant de graves signes de maltraitance et qui a été provisoirement retiré à ses parents.

Imaginons que tous les examens, toutes les investigations demandées par ce juge conduisent effectivement à confirmer la réalité de cette maltraitance.

Imaginons qu’en dépit de tout cela le juge restitue l’enfant à ses parents. Imaginons pour les nécessités de l’exemple, que le juge oublie de notifier sa décision de restitution au parquet et donc que celui-ci ne soit pas en mesure d’en faire appel.

Et imaginons enfin que quelques jours plus tard, cet enfant, restitué à ses parents dans ces conditions, soit victime de nouvelles et graves violences et décède ou reste durablement diminué.

On peut effectivement se dire : c’est une décision juridictionnelle. Le juge qui l’a rendue bénéficie d’une immunité. On peut donc ne rien faire. On peut aussi se demander s’il n’est pas de notre responsabilité à tous de constater que ce magistrat n’est pas fait pour ces fonctions et qu’il faut, surtout, éviter que des faits aussi graves ne se reproduisent.

Je ne dis pas qu’il faut engager des poursuites disciplinaires contre un tel magistrat.
Je me demande en revanche s’il ne serait pas souhaitable que l’autorité de nomination, c’est-à-dire le Conseil Supérieur de la Magistrature en tire toutes les conséquences et par exemple l’oriente vers d’autres fonctions. Je serais heureux d’avoir sur cette très importante question l’avis de votre commission d’enquête.

Le Conseil Supérieur de la Magistrature

S’agissant du CSM je voudrais vous faire partager mes interrogations.

Je crois qu’il y a, en ce qui le concerne, deux questions principales dans le débat : celle de sa composition et celle de sa saisine en matière disciplinaire.

  • J’ai compris que beaucoup parmi les magistrats ne souhaitent pas que l’on touche à son actuelle composition. C’est-à-dire qu’ils souhaitent que les magistrats y demeurent majoritaires.

Je voudrais livrer deux réflexions qui m’apparaissent de nature à nourrir le débat :

  • le métier de juge est l’un des plus difficile et l’un des plus importants, par les conséquences de ses décisions, qui se puisse imaginer.

Il ne m’apparaît pas nécessairement scandaleux dans ces conditions qu’il obéisse à un régime différent des autres, et notamment des autres corps de la fonction publique. La nomination des magistrats, leur régime disciplinaire sont des questions qui intéressent tous les citoyens. Est-il anormal qu’elles ressortissent de la compétence d’un organisme dans lequel leurs pairs ne seraient pas majoritaires, à la différence de ce qui se passe ailleurs ?

La question m’apparaît en tout cas mériter d’être posée.

  • Je pense en outre que ce serait l’intérêt bien compris des magistrats, notamment en matière disciplinaire. Le corps judiciaire est composé d’hommes et de femmes de grande valeur. Très peu d’entre eux, mais vraiment très peu, et sans doute beaucoup moins que dans d’autres corps, commettent des fautes méritant sanction. Mais les Français n’en sont pas convaincus. Ils croient au contraire que les juges se protègent entre eux.

Je me demande si l’organisation actuelle du CSM n’alimente pas le soupçon, même si cela peut apparaître très injuste.

*

*   *

C’est un peu la même réflexion que m’inspirent les conditions actuelles de saisine du CSM en matière disciplinaire. Je crois qu’à côté du Garde des Sceaux et des chefs de cour qui font tous l’objet des mêmes soupçons, il faudrait envisager une possibilité de saisine par les citoyens après filtrage par un organisme tiers.

Je suis toujours très réticent en ce qui me concerne sur la création de nouveaux organismes qui s’apparentent souvent à des comités Théodule. Je crois que la raison voudrait donc que ce travail de filtre puisse être fait par le Médiateur de la République.

*

*   *

Mesdames et Messieurs les Députés vous me direz : quels moyens pour ces réformes ? Notre majorité a augmenté en 4 ans de 25 % le budget de la justice. Ce n’est pas encore assez mais c’est un effort important et d’autant plus important qu’il a été régulier et continu.

C’est un effort qu’il faut poursuivre.

Il a été rendu possible grâce à la loi de programmation que vous avez votée en 2002. Je suis favorable à ce que dès 2007 soit adoptée une nouvelle loi de programmation qui tienne très exactement compte des réformes qui auront été décidées par le Parlement.