[Archives] Remise du rapport «Eriger l’inceste en infraction spécifique»

Publié le 27 juillet 2005

Allocution de Pascal Clément à l'occasion de la remise du rapport de Christian ESTROSI

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Monsieur le Ministre délégué à l’Aménagement du Territoire,
Mesdames et Messieurs,

Avant toute chose, je voudrais remercier très sincèrement mon collègue et ami Christian ESTROSI pour le remarquable travail qu’il a accompli. Il a mené cette mission difficile avec assiduité et surtout en conciliant humanité et réalisme.

Je tiens également à dire ma reconnaissance aux associations de victimes qui nous ont fait prendre conscience du caractère perfectible de nos textes comme de nos pratiques.

C’est pourquoi ce rapport était attendu pour beaucoup.

Car, il faut reconnaître que la législation actuelle ne distingue pas très clairement l’inceste des autres infractions à caractère sexuel. Pourtant, le rapport le démontre : la problématique de l’inceste est, d’une part, malheureusement très présente dans nos enceintes judiciaires et, d’autre part, est très spécifique.

D’abord, il faut avouer que de nombreuses affaires n’arrivent jamais au stade judiciaire. Même si 20 % des procès d’assises concernent des infractions de type incestueux commises sur des victimes principalement mineures, la difficulté de porter plainte contre un proche enferme la victime dans « une prison du silence ».

Devant cette prison morale trône le pire des gardiens : le sentiment de culpabilité, et son complice, l’angoisse de ne pas être cru, car la parole de l’enfant peut être confrontée au plus humiliant scepticisme.
Les affaires criminelles pendantes ou en cours ne sont pas sans incidence sur ce débat. Les chroniques judiciaires n’épargnent pas la Justice. J’ai la volonté de remédier à certains dysfonctionnements de la Justice pénale en ce domaine. L’équilibre doit être respecté entre la défense des victimes et notre souhait d’éviter à tout prix l’erreur judiciaire.

Le rapport rendu par la chancellerie sur l’affaire d’Outreau contribue déjà aux efforts d’améliorations du système judiciaire. Le rapport de Christian ESTROSI marquera à cet égard une étape supplémentaire dans cette voie.

En effet, les particularités de l’inceste étaient jusqu’ici mal prises en compte par nos lois, tant civiles que pénales. Ainsi, l’inceste ne figure pas en tant que tel dans le code pénal. Les juridictions avaient parfois du mal à cerner cette notion, pourtant perçue par tous comme une menace à l’ordre social et à la structure familiale.
Cette difficulté est d’autant plus forte aujourd’hui que la composition des familles a évolué et que les instruments de la répression n’ont pas changé. Or, je crois que la justice se doit de répondre à tous les cas de figure de façon adaptée.

Il faut, d’une part, bien appréhender le crime ou le délit qui est commis sans oublier le contexte dans lequel il est commis et, d’autre part, éviter qu’il se renouvelle.

La philosophe Simone Weil a écrit un jour que « rien ne peut compenser une seule larme d'un seul enfant ». Ce rapport ne compensera ni les souffrances, ni les traumatismes. Si, par contre, il contribue à en éviter, ne serait-ce qu’un seul, il aura atteint son objectif.

Je me félicite qu’il réponde aux attentes des associations de victimes en termes de définition de cette infraction et qu’il nous fixe des pistes utiles pour la répression des actes incestueux.

Il apparaît en effet que ceux-ci ne sont pas pris en compte assez précisément dans notre droit et que le contexte dans lesquels ils sont commis soit occulté.

Je retiens donc la recommandation de votre rapport, qui vise à faire apparaître dans notre droit la notion de « viol, agression ou atteinte sexuelles incestueuses ».

Cette définition précisera le périmètre familial des personnes pouvant se rendre coupables de cette circonstance aggravante.

Vous ajoutez que le concept d’autorité des auteurs sur la personne de la victime devra continuer à être défini par la jurisprudence. Je vous suivrai dans votre recommandation.

Bien sûr, cette réforme devra se faire en harmonie avec les dernières réformes du droit civil concernant les liens de filiation, notamment avec la suppression de la distinction entre filiation naturelle et filiation légitime.
Je retiens enfin comme autre idée force votre proposition d’introduire dans le code pénal la notion de contrainte liée à la fois à la qualité de l’auteur de l’infraction et à l’âge de la victime. Ainsi, il y aura une présomption d’absence de consentement en fonction de la qualité des personnes en cause et de la nature des liens qui les unissent.

Je souhaite que ces progrès soient bientôt intégrés dans notre droit pénal, le cas échéant par l’intermédiaire d’une proposition de loi qui aurait tout mon soutien.

Cette meilleure définition de l’inceste aura en effet une valeur pédagogique, en rappelant que ces actes sont inacceptables et doivent être réprimés. Elle devra s’accompagner d’actions de sensibilisation pour être efficace.

Je tiens à signaler à cet égard que la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces a, d’ores et déjà, élaboré un guide méthodologique de signalement des enfants victimes des infractions pénales permettant une meilleure prise en charge des mineurs en danger.

En outre, je m’appuierai sur vos travaux pour accentuer l’effort répressif à l’encontre des auteurs d’actes incestueux.
Cet effort ne doit pas forcément se traduire, comme vous le soulignez à juste titre, par une réforme législative d’ampleur.

Néanmoins, afin de répondre aux attentes des victimes et de lutter plus efficacement encore contre la récidive, j’ai pris quatre décisions.

Tout d’abord, j’estime que notre droit actuel ne protège pas assez nos adolescents qui souvent sont fragiles et sont trop souvent victimes d’atteintes sexuelles soit incestueuse soit par des personnes qui exercent une autorité sur elles. C’est pourquoi il me semble quel l’augmentation de la pénalité que vous suggérer, à savoir de deux ans à cinq ans se justifie tout à fait.

Ensuite, je demanderai aux parquets de ne pas hésiter à requérir, chaque fois que la situation paraît l’imposer, la privation de l’autorité parentale des parents condamnés pour inceste. En effet, le retour en famille, dans les mêmes conditions, après une telle condamnation, comme si rien ne s’était passé, n’est pas acceptable.

En troisième lieu, il me semble que des réquisitions portant sur l’interdiction d’exercer une profession en lien avec les mineurs, en cas de condamnation intervenue à la suite de la commission d’une infraction incestueuse, devront être prises le plus souvent possible.

Enfin, vous avez proposé que soit interdit de plein droit à toute personne ayant fait l’objet d’une condamnation pour viol ou agression sexuelle d’entrer en contact, quel que soit le moyen, avec la victime.
La proposition de créer une telle interdiction dont le non respect constituerait une nouvelle infraction autonome est intéressante.
Elle rejoint une proposition identique faite par le Procureur Général BURGELIN dans le rapport qu’il m’a remis au nom de la commission SANTE-JUSTICE .

Je suis donc prêt à l’étudier favorablement tout en indiquant qu’il me semble nécessaire de laisser aux juridictions la liberté de prononcer ou non cette interdiction de rencontrer les victimes.
Je suis en effet persuadé que dans certains cas bien spécifiques des victimes peuvent vouloir se reconstruire, le moment venu, en revoyant les personnes qui les ont fait souffrir. C’est souvent par la compréhension et le pardon que s’éloignent les souvenirs douloureux.

Mesdames et Messieurs,

Fidèle à la démarche que je m’étais fixé lors de la remise du rapport Burgelin, ce rapport éclairera ma réflexion personnelle et celle des magistrats à qui il va être communiqué. Ses conclusions seront mises en œuvre le plus rapidement possible afin de permettre de rendre une meilleure justice aux victimes d’inceste et d’éviter que ces faits douloureux se reproduisent.

Je vous remercie de votre attention.