Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Vous examinez aujourd’hui, en première lecture, la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale relative au traitement de la récidive des infractions pénales.
Ce texte traite en effet d’un sujet important et sensible.
Il s’agit d’un sujet important, car lorsqu’une personne ayant commis une infraction pour laquelle une sanction a été prononcée par l’autorité judiciaire commet une nouvelle infraction, on ne peut que constater que l’intervention de l’institution judiciaire a failli.
Toute récidive, en prenant ce terme dans sa signification la plus large, celle du grand public, conduit nécessairement à s’interroger sur l’efficacité de la justice pénale.
Certes, la majorité des personnes condamnées - environ les deux tiers - ne recommence pas et n’a plus jamais à faire aux tribunaux. Certes également, il existe des récidives de nature très différente et certaines ne sont que d’une relative gravité alors que d’autres présentent un caractère dramatique.
Mais qu’il s’agisse du conducteur qui, malgré plusieurs condamnations pour excès de vitesse, continue de ne pas respecter le code de la route ou qu’il s’agisse du violeur ou de l’assassin qui commet un nouveau crime après sa sortie de prison, la récidive est toujours préoccupante et elle est parfois proprement insupportable.
La lutte contre la récidive constitue ainsi une des priorités, voire même la principale priorité, de la justice répressive.
Mais c’est un sujet complexe qui doit concilier l’exigence d’efficacité et le respect des libertés individuelles.
A ce titre, deux voies sont à ce titre possibles :
La première voie consiste à aggraver la répression de la récidive, la plus grande sévérité des sanctions ayant pour objectif de parvenir à une meilleure dissuasion.
Cette aggravation découle tout d’abord du doublement des peines encourues en cas de récidive légale, ainsi que de l’existence d’un régime d’exécution de la peine plus sévère. Elle découle également de l’interdiction de prononcer le sursis simple au profit d’une personne qui en a déjà bénéficié.
La seconde voie consiste à prévenir la récidive, ainsi que toute forme de réitération, lors du prononcé et de l’exécution de la sanction.
Il faut ainsi faire en sorte que cette sanction puisse aboutir au reclassement du condamné ou permettre qu’il fasse l’objet d’une surveillance de nature à le dissuader de commettre d’autres infractions.
Il importe bien évidemment d’assurer un juste équilibre entre ces deux objectifs de répression et prévention.
Le respect des libertés individuelles impose enfin que la volonté légitime d’améliorer l’efficacité de la lutte contre la récidive ne mette pas en cause les principes fondamentaux de notre droit pénal et de notre procédure pénale.
Doivent dès lors être respectés les principes de proportionnalité, et de nécessité, de même que celui de l’individualisation de la sanction par l’autorité judiciaire, dans le cadre de procédures permettant le plein exercice des droits de la défense.
Des réformes récentes sont venues très sensiblement améliorer la lutte contre la récidive, en mettant essentiellement l’accent sur la prévention.
Je pense tout d’abord au placement sous surveillance électronique créé par la loi du 19 décembre 1997, à la suite de la proposition de loi déposée par le sénateur Guy Cabanel.
Je pense également à la création du suivi socio-judiciaire par la loi du 17 juin 1998, applicable aux auteurs d’infractions sexuelles.
Je pense surtout à la loi du 9 mars 2004 qui, à l’initiative du Sénat et du rapporteur de cette loi M. Zocchetto, a créé le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles, dont la date de mise en service est fixée en juin 2005 par son décret d’application, sur lequel la commission nationale informatique et libertés doit donner son avis, le 17 février prochain.
Je pense en outre aux très nombreuses modifications prévues par cette loi, fixant la lutte contre la récidive parmi les principes directeurs de l’application des peines. Elle a aussi institué de nombreuses possibilités d’aménagement des peines destinées notamment à éviter les « sorties sèches » dont on connaît le caractère criminogène.
Enfin, je veux citer quelques modifications de nature réglementaire résultant du décret du 13 décembre 2004 relatif à l’application des peines, qui tire les conséquences de la loi du 9 mars dernier.
Ce décret précise, par exemple, le rôle des services pénitentiaires d’insertion et de probation dans le suivi des personnes faisant l’objet d’un suivi socio-judiciaire.
Il prévoit un régime plus sévère pour l’octroi des permissions de sortir aux récidivistes et clarifie les conditions dans lesquelles pourra être effectué un examen de la dangerosité des détenus et des risques de récidive, avant leur libération.
Il demeure toutefois possible d’améliorer notre droit et nos pratiques judiciaires afin de renforcer l’efficacité de la lutte contre la récidive, comme l’a montré le rapport d’information présenté en juillet dernier par le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Pascal CLEMENT, et son rapporteur, M. Gérard LEONARD, rapport qui a donné lieu à la proposition de loi que vous examinez aujourd’hui.
Si vous le voulez bien, j’examinerai le contenu de cette proposition au vu de la position de votre commission des lois et de son rapporteur, M. ZOCCHETTO.
D’une manière générale, je voudrais, à titre liminaire, souligner la qualité du travail de votre commission et la clarté de ce rapport, qui approfondit de façon très significative la réflexion initiée par l’Assemblée nationale.
Je voudrais, également, mettre en évidence les nombreux points de convergences existant entre l’Assemblé nationale et votre commission quant aux solutions législatives devant être apportées au problème de la récidive, même s’il existe sur certaines questions des différences d’appréciation.
J’en viens donc maintenant au contenu de la proposition de loi qui comprend trois séries de dispositions.
I. Dispositions sur la récidive, la réitération et le sursis
Les premiers articles de la proposition de loi sont relatifs à la récidive, à la réitération et au sursis.
La deuxième série des dispositions de la proposition de lois concerne la création du placement sous surveillance électronique mobile.
Réservé aux infractions les plus graves et devant être spécialement prononcé par les juridictions, ce placement paraît sans doute répondre à un besoin.
Il s’agit toutefois là de dispositions particulièrement complexes et novatrices, dont j’avais indiqué devant l’assemblée nationale qu’elles devraient être améliorées au cours des navettes afin de renforcer à la fois la cohérence juridique et l’efficacité du dispositif.
C’est dans cet esprit que le Premier ministre a, à ma demande, confié à Monsieur le Député Georges FENECH une mission d’information sur le placement sous surveillance électronique mobile, mission qui devra donner lieu au dépôt d’un rapport en mars prochain.
Votre commission propose de supprimer les articles de la proposition de loi créant ce placement au motif qu’ils lui apparaissent prématurés.
La position de votre commission des lois doit évidemment être appréciée au vu de l’existence de cette mission, qui permettra je pense au Parlement d’être mieux éclairé dans les prochains mois.
Ces réticences doivent être au demeurant relativisées, puisque votre commission propose que le placement sous surveillance électronique mobile puisse intervenir dans le cadre de la libération conditionnelle.
C’est pourquoi je m’en remettrai sur ces amendements à la sagesse de la haute assemblée.
La troisième série des dispositions de la proposition de loi concerne le suivi socio-judiciaire et les irresponsables pénaux.
Nul ne conteste la nécessité d’améliorer les dispositions sur le suivi socio-judiciaire, qui est encore insuffisamment mis en œuvre, alors qu’il constitue un outil particulièrement utile pour lutter contre la récidive des criminels sexuels.
Il est notamment justifié, comme le prévoit l’article 13 de la proposition de loi, de permettre à des psychologues de participer au traitement des condamnés.
Je suis par ailleurs favorable aux deux propositions de votre commission en la matière.
La première tend à étendre le champ du suivi socio-judiciaire aux actes de tortures ou de barbarie, ce qui est opportun.
La seconde prévoit de donner une base légale et réglementaire aux traitements inhibiteurs de la libido dont l’efficacité aura été démontrée, ce qui permettra de prendre en compte les résultats d’une prochaine expérimentation en la matière.
J’en termine enfin par la question complexe des personnes déclarées pénalement irresponsables, en raison d’un trouble mental, alors qu’elles ont commis un crime ou un délit, et qu’elles peuvent présenter une dangerosité potentielle très importante, comme nous le rappelle malheureusement l’actualité la plus récente.
Faut-il inscrire ces personnes dans un fichier, et spécialement dans le fichier des auteurs d’infractions sexuelles ?
L’Assemblée nationale a répondu positivement à ces questions. Votre commission a un avis différent.
Je crois quant à moi que la réflexion doit se poursuivre, au vu notamment des conclusions du groupe de travail interministériel présidé par l’ancien procureur général de la Cour de cassation, M. Burgelin.
*
* *
La proposition de loi qui vous est soumise est pragmatique et équilibrée. Elle accroît la sévérité de notre droit dans les situations qui le justifient, tout en respectant les principes et traditions juridiques qui sont les nôtres.
Le message, adressé par le législateur aux juridictions, en matière de lutte contre la récidive gagne en clarté.
Il n’est plus uniquement que le récidiviste peut être sanctionné plus sévèrement, mais que le récidiviste doit être sanctionné avec une plus grande fermeté.
Mais c’est au seul juge, en fonction des circonstances de l’espèce d’apprécier, dans des limites à la fois plus précises et suffisamment souples qui sont fixées par la loi, la peine la plus adaptée pour réprimer plus fermement le récidiviste dans les conditions les mieux à même d’éviter une nouvelle récidive.
Il me semble que tous ici ne peuvent que partager cet objectif et les moyens proposés pour y parvenir.
C’est pourquoi le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi, ainsi qu’à beaucoup des amendements de votre commission des lois.