[Archives] Cinquantenaire des tribunaux administratifs

Publié le 30 septembre 2003

Discours de Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Monsieur le Vice-Président,
Mesdames, Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,

C’est à la fois un très grand plaisir et un honneur pour moi de clôturer ce colloque placé sous le haut patronage de M. Le Président de la République et célébrant le cinquantième anniversaire de la création des tribunaux administratifs.

L’occasion m’a été donnée à plusieurs reprises depuis ma prise de fonction d’aller à la rencontre des juges administratifs.

Mais cet instant revêt pour moi, une solennité toute particulière.

  • D’abord par le nombre et la qualité des personnes ici rassemblées qui traduisent l’importance que chacun doit attacher à la justice administrative.
  • Ensuite, par le thème choisi pour cette célébration, je veux parler de la protection par le juge des libertés publiques.

Je vois dans ce choix un symbole : celui d’une justice, qu’elle soit judiciaire ou administrative, au service des droits fondamentaux des citoyens.

La mission de protection des libertés publiques ne constitue certes pas une nouveauté pour le juge administratif, qui a su adapter les conditions de son contrôle aux exigences de la sauvegarde des libertés. Il n’est que de rappeler son rôle à l’égard des mesures prises par les autorités publiques en matière de police administrative. Mais la place du juge administratif en matière de protection des libertés publiques ne cesse de grandir. La vie privée, la laïcité, la bioéthique, le droit des étrangers sont des domaines dans lesquels la jurisprudence administrative s’affirme avec force.

La création d’un référé-liberté est à cet égard très parlante puisqu’elle dote le juge administratif d’un instrument spécialement dédié à la protection des libertés fondamentales. Même la protection de la propriété privée, qui selon le Tribunal des Conflits « rentre essentiellement dans les attributions de l’autorité judiciaire », peut maintenant être assurée avec efficacité par le juge administratif sans pour autant que la compétence des juridictions judiciaires soit remise en cause. Loin de se faire au détriment de celles-ci, la progression du juge administratif sur le front de la protection des libertés vient s’ajouter au dispositif existant et c’est l’ensemble des justiciables qui bénéficient d’une protection renforcée de leurs droits les plus fondamentaux.

  • Enfin, on ne saurait célébrer l’anniversaire de la création des tribunaux administratifs sans rappeler que la réforme de 1953 a été la plus importante avancée dans l’histoire de la justice administrative depuis l’arrêt Cadot (1889) qui mit fin à la juridiction des ministres.

Simples « aides de camps » des préfets, les conseils de préfecture sont devenus de véritables juridictions à compétence de principe en première instance.

La réforme de 1953 a été l’acte fondateur d’un ordre juridictionnel administratif, organisé et hiérarchisé comme son équivalent judiciaire. La création des cours administratives d’appel en 1987 est venue parachever l’édifice.

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La célébration de l’anniversaire du décret loi du 30 septembre 1953, qui se veut à juste titre prestigieuse, est aussi l’occasion de faire un bilan. Il serait bien sûr assez vain, après un demi-siècle, de raisonner en termes de comparaison entre hier et aujourd’hui dans un contexte totalement transformé. Je voudrais toutefois revenir rapidement sur les réformes fondamentales que les juridictions administratives et leurs membres ont connues au cours de ces dix dernières années. Elles ont, en effet, doté les juges de dispositifs sans précédent.

Trois dates sont particulièrement parlantes.

La loi du 8 février 1995, d’abord qui a investi les juridictions administratives du pouvoir d’adresser aux administrations des injonctions propres à assurer le plein effet de leurs jugements.

En deuxième lieu, le 1er janvier 2001, est entré en vigueur le code de justice administrative qui réunit pour la première fois toutes les règles applicables en matière de procédure contentieuse administrative s’inscrivant ainsi dans l’objectif constitutionnel d’un droit plus intelligible et plus lisible.

Enfin, la loi du 30 juin 2000 a doté la juridiction administrative d’un bon instrument de gestion de l’urgence à travers la création de nouvelles procédures de référé dont la plus emblématique d’entre elles, le référé-liberté que j’évoquais il y a un instant. Le bilan de deux années d’application de ces nouvelles procédures est, je crois, positif et je tiens aujourd’hui à saluer le travail accompli par les magistrats à cet égard.

Bien sûr ces réformes ne seraient rien sans les moyens propres à les accompagner.

Il y a de cela un an entrait en vigueur la loi d’orientation et de programmation pour la justice, que j’avais défendu au Parlement l’été dernier. Ce fut le premier texte du gouvernement concernant la justice. Ce texte, je l’ai voulu ambitieux afin qu’il traduise la volonté du gouvernement de permettre aux juridictions y compris administratives, de répondre pleinement à l’attente sans cesse croissante des citoyens envers une Justice en laquelle ils ont souvent perdu confiance.
Cette loi constitue une bonne accélération dans la réalisation de l’objectif majeur de donner aux juridictions les moyens de rendre leurs jugements dans un délai raisonnable.

Les juridictions administratives, et principalement les cours administratives, doivent maintenant mobiliser toutes les énergies disponibles pour y parvenir.

L’effort consenti par la loi d’orientation et de programmation pour la justice en faveur des juridictions administratives est sans précédent dans l’histoire de ces juridictions.

Financièrement, les moyens accordés aux juridictions administratives vont permettre la création de trois nouvelles juridictions, dont une Cour administrative d'appel à Versailles puis deux tribunaux administratifs.

Sur le plan des moyens humains, la loi d’orientation et de programmation pour la justice intervient à l’aube d’une profonde mutation des effectifs du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Ces effectifs vont être augmentés de près de 25 % en cinq ans.

Mais, au-delà de cet aspect quantitatif, la sociologie de ce corps va connaître, dans les prochaines années, une profonde transformation qui se caractérise par un important rajeunissement. Celui-ci résultera des effets combinés d’un grand nombre de départs à la retraite et de l’abaissement moyen de l’âge d’entrée dans le corps qui devrait résulter du passage de 28 à 25 ans de l’âge minimum pour se présenter aux épreuves du concours de recrutement complémentaire.

Je pense utile la diversification des modes de recrutement. La variété des expériences personnelles antérieures des magistrats est une source de richesse intellectuelle et de savoir-faire.

Je tiens également à souligner l’effort important de revalorisation du régime indemnitaire des magistrats administratifs, qui s’inscrit dans une politique globale d’une meilleure reconnaissance du rôle de tous les magistrats, judiciaires, administratifs et financiers qui doivent répondre, aujourd’hui encore plus qu’hier, aux nouveaux défis de la justice. Je souhaite que ces magistrats bénéficient du même régime qui permette un juste équilibre entre le travail accompli et l’investissement personnel.

Mais, les moyens humains, ce sont aussi les assistants de justice qui pour partie ont déjà été recrutés. Leur présence permettra aux magistrats de concentrer leurs efforts sur les aspects les plus techniques et les plus difficiles de leur métier tout en assurant une formation efficace de jeunes juristes qui viendront alimenter le vivier du concours de recrutement complémentaire des magistrats.

Enfin, les greffiers, qui jouent un rôle important dans le bon fonctionnement des juridictions verront aussi leurs effectifs augmenter sensiblement au cours des cinq prochaines années.

Cette augmentation sera accompagnée d’une réforme de la gestion statutaire de ces agents. La réflexion menée récemment et qui a abouti à la rédaction du rapport d’Anicet Le Pors, devrait conduire à la formulation de propositions au cours des prochains mois, à l’égard des agents concernés. Je crois qu’il y a un assez large consensus sur ces propositions.

J’ai souhaité que les conditions de la mobilisation de ces moyens considérables soient définies par des contrats d’objectifs signés avec l’ensemble des cours administratives d’appel afin d’en assurer une utilisation optimale.

Je tiens, à cet égard, à saluer l’engagement du Conseil d’Etat et des cours administratives d’appel dans cette démarche et la bonne compréhension par leurs présidents et leurs membres de l’enjeu que constitue la mise en œuvre de ces contrats puisqu’il s’agit de réduire considérablement les délais de traitement des dossiers relevant de vos juridictions.

Bien utiliser les moyens supplémentaires dans une logique contractuelle au service de nos concitoyens, voilà l’enjeu de ces contrats d’objectifs dont je sais que vous suivez régulièrement l’exécution.

L’accélération des délais de traitement des dossiers sera aussi facilitée par les réformes procédurales, annoncées par la loi d’orientation et de programmation pour la justice, qui ont déjà commencé à se mettre en place.

Ainsi, un certain nombre de contentieux de faible importance, généralement traités par un magistrat statuant seul, ne peuvent plus faire l’objet d’un recours en appel mais seulement d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat, à l’instar de la pratique des juridictions civiles.

C’est également pour permettre au juge d’appel d’exercer sa mission dans de meilleures conditions que le Gouvernement a rendu obligatoire le recours au ministère d’avocat devant les cours administratives d’appel, tout en ménageant l’exception traditionnelle concernant les agents publics.

Parallèlement l’accessibilité au juge administratif sera bientôt renforcée par la suppression de l’obligation du timbre fiscal instituée en 1993, assurant ainsi la totale gratuité de l’accès à la justice administrative.

Je tiens également à évoquer les réflexions actuellement en cours afin de décharger autant que faire se peut les magistrats administratifs, comme d’ailleurs les magistrats judiciaires, des trop nombreuses commissions administratives au sein desquelles ils doivent siéger. Ils pourront ainsi se recentrer sur leur mission proprement juridictionnelle. Je souhaite que nous avancions réellement sur ce sujet.

Toutes ces réformes, toutes ces mutations sont le signe de la formidable vitalité de la juridiction administrative dans notre pays. Chacun sait comment, par ses décisions de 1980 et 1987, le Conseil constitutionnel a consacré l’existence, l’indépendance et la compétence de cette juridiction.

Mais pour renforcer le lien de confiance entre elle et les citoyens, la justice administrative doit faire des efforts toujours renouvelés pour se faire connaître et pour se faire mieux comprendre.

Il faut également maintenir ce lien indispensable entre les juridictions administratives et les administrations, afin que les magistrats administratifs, qui demeurent des fonctionnaires de l’Etat, aient une connaissance personnelle et pratique du fonctionnement des services dont ils jugent l’action.

Je suis conscient de l’ampleur de la tâche. Mais les raisons d’être optimiste ne manquent pas. Pour la première fois, en 2002, le stock d’affaires à juger devant les tribunaux administratifs a baissé. Il faut confirmer cette tendance et parvenir au même résultat dans les cours administratives d’appel.

Au vu des efforts accomplis pour relever les défis du passé, je ne doute pas que ceux qui vous attendent soient également surmontés.

C’est un message de confiance dans l’institution des juridictions administratives et d’estime pour chacun de ses membres que je souhaitais aujourd’hui formuler.

Et puisque les anniversaires sont propices aux vœux, permettez-moi de formuler le souhait d’un rendez-vous prochain où magistrats et justiciables pourront se féliciter ensemble d’une justice qui répond pleinement aux aspirations des uns et aux attentes des autres.

Je vous remercie.