[Archives] Bicentenaire de la Loi Ventôse

Publié le 17 mars 2003

Discours du garde des Sceaux

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8 minutes

Monsieur le Président de l’Union Internationale du Notariat Latin ;
Monsieur le Président du Conseil Supérieur du Notariat ;
Mesdames, Messieurs les Présidents ;
Mesdames, Messieurs ;

C’est un grand honneur pour moi de présider cette cérémonie commémorant le bicentenaire de la loi du 17 mars 1803, beaucoup plus connue sous le nom de « loi du 25 ventôse an XI ».

Cette loi, votée à la quasi unanimité ( 1999 voix pour, 14 contre), véritable code du notariat, était une loi attendue et concertée si l’on en croit les travaux préparatoires que vous avez rappelés, Monsieur le Président, en citant le conseiller REAL qui en fut le rapporteur devant le Conseil d’Etat.

C’est là que, sans nul doute, réside le secret de la pérennité du notariat qui a vu son statut s’inscrire dans le temps, au point qu’aujourd’hui encore le notaire tient sa définition de la loi de ventôse que l’ordonnance du 2 novembre 1945 n’a fait que reprendre. Je la rappelle : « les notaires sont des officiers publics établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique et pour en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et des expéditions ».

Vous êtes d’abord des officiers publics et cette qualité première, sinon substantielle, fait de vous les juges de la paix contractuelle.

Votre activité de conseil des parties, en constante augmentation, vous place aujourd’hui au coeur de l’élaboration des conventions et met en exergue la confiance qui vous est accordée et qui n’est autre que l’expression d’un principe qui vous est cher : la sécurité juridique.

Cette confiance repose sur le respect de règles déontologiques comme sur la compétence technique et intellectuelle qui s’appuie sur une formation dont le niveau d’exigence est tel dans votre profession qu’elle permet aux jeunes diplômés de répondre aux attentes de plus en plus diversifiées et aux exigence de plus en plus fortes de la clientèle.

La compétence vient renforcer la sécurité juridique que le notaire donne aux actes auxquels il confère l’authenticité.

C’est pour donner aux actes cette force probante particulière que revêt l’authenticité que vous exercez des prérogatives de puissance publique déléguées par l’Etat.

Mais si l’acte authentique est le gage de la sécurité juridique, il ne pouvait rester hors le champ du progrès. C’est pourquoi les mutations technologiques ont conduit le législateur à permettre l’établissement de l’acte authentique sur support électronique.

Il s’agit là d’une opportunité tout à fait intéressante que votre profession, dans un souci d’adaptation constante, ne manquera pas, je le pense, d’utiliser. J’ajoute que cette possibilité nouvelle ne remettra bien évidemment pas en cause les qualités intrinsèques de l’acte authentique. Faut-il le rappeler ? L’authentification fait à la fois l’originalité et la force de votre mission.

Je ne reviendrai pas plus avant sur les principes premiers de la loi de Ventôse. Vous les avez, Monsieur le Président, exposés avec talent et conviction.

Je voudrais, en revanche, puisque l’occasion m’est donnée de m’adresser aujourd’hui au notariat français mais aussi à l’union internationale du notariat de droit latin, centrer mes propos sur l’action de votre profession au niveau international et européen .

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En termes de coopération juridique, il est nécessaire, au sein de l'ensemble de la "famille judiciaire", de développer encore et toujours plus les échanges avec nos partenaires étrangers. Mieux connaître le fonctionnement de leur justice, comprendre les mécanismes juridiques qui les régissent sont des objectifs essentiels pour retirer de chaque système le meilleur qu'il peut offrir. Notre coopération doit être ouverte, curieuse, orientée vers une volonté d'apprendre et de comparer.

Cet objectif me paraît parfaitement compatible avec une stratégie d'influence qu'il faut mener de concert. Pourquoi rechercher à influencer d'autres pays ? Il ne s'agit pas d'exporter purement et simplement des modèles juridiques que nous aurions la prétentieux de croire parfaits. L'efficacité d'une loi ou d'une institution dépend bien évidemment du contexte historique et culturel dans lequel elle intervient. Vouloir "plaquer" le "notariat à la française" n'a pas de sens.

En revanche, les principes d'organisation du notariat ou la mission d'authentification des actes constituent des valeurs exportables. Leur utilité peut être démontrée. Les grandes caractéristiques du droit continental contribuent fortement à la sécurité juridique des relations entre les individus ou les entreprises et avec la puissance publique. La profession de notaire trouve toute sa place dans cette construction en renforçant la confiance entre les opérateurs, en assurant la fiabilité des actes juridiques et en conférant un caractère certain à leur contenu. Cette démarche concourt au développement économique de tout pays.

L'année prochaine, nous célébrerons le bicentenaire du code civil et ce sera l'occasion non seulement d'apprécier l'utilité de la méthode de codification, mais aussi de comparer les mérites respectifs des différents systèmes juridiques.

A l'égard des pays en voie de consolidation de leur Etat de droit, la codification constitue incontestablement une idée moderne qui attire les demandes de coopération adressées à la France. La structure du droit écrit permet un meilleur accès à sa connaissance et assure une plus grande prévisibilité de la réponse juridique, essentielle pour bâtir un lien de confiance entre les individus ou les personnes morales et leur justice.

Dans ce contexte, je voudrais saluer aujourd'hui l'adhésion de la Chine à l'Union international du notariat latin. Je me réjouis de l'engagement de ce pays dans un système juridique qui repose sur des principes tels que la transparence des règles de droit applicables, la détermination du juge compétent pour trancher un litige, la possibilité de recours contre un acte émanant de l'administration.

Cette adhésion, comme celle, il y a quelques mois, à l’Organisation Mondiale du Commerce, traduit le signe d'une volonté claire de la Chine de s'inscrire pleinement dans un nouveau contexte non seulement économique, mais également juridique. Bien sûr, j'y vois aussi le résultat d'une intense et fructueuse coopération menée par le notariat français, brillamment concrétisé par la Maison sino-française du notariat située à SHANGHAI.

Cet établissement traduit aussi la qualité de notre coordination interne. Le ministère de la justice a créé des outils de concertation entre les juridictions, les professions juridiques et judiciaires et les ministères des affaires étrangères et de la justice.

Les associations ARPEJE et ACOJURIS nous permettent d'échanger et de définir ensemble une stratégie de coopération.

Ainsi, nous pouvons faire converger nos efforts vers des objectifs communs; cette complémentarité est primordiale quand on sait combien nos moyens restent trop faibles au regard de toutes les sollicitations dont nous faisons l'objet.

Directement opérationnels, ces outils permettent aussi de répondre aux appels d'offres de coopération lancés par l'Union européenne ou encore par les grandes organisations internationales.

Cette coopération dite "multi-latérale" ne doit pas être négligée. Elle draine des moyens considérables et laisse de profondes empreintes dans les pays bénéficiaires. Elle représente l'enjeu majeur de la stratégie d'échanges et d'influence que nous pouvons conduire ensemble.

Notre coopération doit sans cette évoluer dans un esprit de concurrence constructive. Pour y répondre, tous les acteurs judiciaires doivent se mobiliser et par l'ancrage profond dans notre tradition juridique qu'elle représente, la profession de notaire doit y prendre toute sa place.

Dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne, la France a développé de fortes coopérations avec les pays candidats; et votre profession y a beaucoup contribué. Alors que ces pays quittaient un système de droit soviétique, il était nécessaire de leur permettre de choisir des institutions juridiques qui garantissent une nouvelle conception de la justice et du rôle des professions qui travaillent au cœur de la justice.

Je crois cependant que nous devons clairement afficher, dans notre vision de l'évolution de l'Europe judiciaire, une volonté de construction pragmatique, destinée à améliorer le fonctionnement de la justice dans la vie quotidienne des citoyens européens. Il ne s’agit pas de concentrer tous nos efforts sur l'objectif d'harmonisation des droits et des procédures européennes. Il faut identifier précisément les cas où cette harmonisation est nécessaire.

Mais pour nombre de sujets, le droit fait partie intégrante du patrimoine et de l'identité culturelle d'un Etat. C'est particulièrement le cas par exemple de la procédure pénale où les conceptions des modèles accusatoire et inquisitoire, restent difficilement compatibles. C'est aussi le cas en matière de modalités d'authentification des actes juridiques.

Dans ces hypothèses, l'objectif d'unification des droits risque de constituer une entrave à la construction européenne. Les discussions se perdent dans les méandres des négociations sans fin entre partenaires qui ne peuvent abandonner des éléments forts de leur identité.

C'est pourquoi, depuis le Conseil Européen de Tampere de 1999, les efforts portent sur le développement du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, mais aussi des actes authentiques, dans les différents pays de l'Union, en allégeant et à terme en supprimant les procédures intermédiaires.

Tout ceci repose sur une confiance réciproque élevée. Un juge ou un notaire français doit reconnaître et conférer à une décision ou un acte toute sa force juridique sans pouvoir le réexaminer sur le fond.

Cette dynamique a permis l’adoption du règlement du 22 décembre 2000, dit “BRUXELLES I” entré en vigueur le 1er mars 2002. Ce règlement, qui consacre un chapitre entier aux actes authentiques, assure leur circulation au moyen d’une procédure simplifiée. Vous en connaissez le fonctionnement : les actes authentiques établis ou reçus dans un Etat membre sont déclarés exécutoires dans un autre Etat membre par une juridiction ou une autorité compétente qui est saisie sur simple requête accompagnée de l’acte et d’un certificat délivré par l’autorité compétente de l ‘Etat d’origine attestant de son authenticité.

J’ai souhaité donner suite à la demande du notariat français de voir désigner le Président de la Chambre des Notaires, comme autorité compétente, tant pour constater la forme exécutoire d’un acte étranger que pour certifier l’authenticité d’un acte français. En effet, outre leurs compétences particulière de praticiens dans ce domaine, les notaires connaissent déjà la coopération professionnelle au sein de l’Europe et disposent d’un réseau qui garantira l’efficacité et la rapidité de la circulation des actes notariés.

Le dispositif nouveau nécessitera la création d’un “service continu” pour répondre aux requêtes aux fins de certificat et de demandes de reconnaissance. A cet égard, les services de la Chancellerie travaillent en étroite collaboration avec le Conseil Supérieur du Notariat pour la préparation de ce texte d’application. Je souhaite que cette réforme aboutisse cet été.

Pour les acteurs de la vie économique, qui attendent cette meilleure circulation des actes authentiques comme un gage d’une sécurité accrue des transactions, le bénéfice attendu de la réforme est triple : une économie de temps, une réduction des coûts, une simplification des formalités.

Dans la constitution de cet espace juridique européen, nous franchirons bientôt l’étape suivante qui est décisive : la suppression de toute formalité de reconnaissance des titres exécutoires. Vous savez qu’un projet de règlement sur le Titre Exécutoire Européen pour les créances incontestées est en cours de d’élaboration. Les actes notariés sont intégrés dans ce projet qui permettra leur reconnaissance immédiate dans tous les Etats membres.

Je dois vous avouer que si ce projet de règlement ne portait que sur les actes authentiques, il serait déjà adopté. Ce qui retarde l’adoption du règlement, ce sont les différences culturelles qui séparent les systèmes juridiques des Etats membres en matière de procédure contentieuse. Pour les actes authentiques, il n’y a pas de difficulté, et l’issue est connue : c’est la suppression de tous les obstacles à la circulation. Un simple certificat, délivré dans l’Etat membre d’origine, servira de passeport pour l’exécution dans toute l’Union. Les négociations sont en cours à Bruxelles et une fois de plus le notariat sera associé à ces travaux.

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Voilà les quelques propos que je souhaitais tenir devant vous sur le bicentenaire de la loi de ventôse et les perspectives européennes et internationales de l’action du notariat.

Aborder ces deux aspects, c’est mettre en avant toute la richesse et la diversité de vos missions, la dynamique de votre profession et sa faculté d’adaptation.

J’ai souhaité pouvoir vous redire ainsi toute l’estime que je lui porte et saluer, au-delà des frontières, la grande famille du notariat.

Je vous remercie.