[Archives] Organisation décentralisée de la République

Publié le 29 octobre 2002

Discours du garde des Sceaux à l'occasion de la discussion au Sénat du projet de loi constitutionnelle

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Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,

M. le Premier Ministre vient de poser les bases du débat refondateur pour la vitalité de notre République, que vous allez ouvrir dans un instant.

Avec ce texte, nous avons en effet pour ambition de bâtir le socle constitutionnel d'une véritable République des proximités. Une République caractérisée par plus de démocratie, plus de libertés, plus de citoyenneté, plus de garanties.
L'unité n'est pas l'uniformité.

La conception uniforme de la République ne rend plus compte des aspirations de nos concitoyens. Selon une récente enquête d'opinion, 74% d'entre eux se prononcent en faveur d'une véritable démocratie de proximité, 73% considèrent qu'elle permettra un meilleur développement économique et 75 % qu'elle améliorera la qualité des services publics locaux.

Il faut désormais trouver un nouvel et un meilleur équilibre entre le principe d'égalité et le respect des libertés locales.

Ce projet, vous le savez, doit beaucoup à la volonté du Président de la République et du Premier ministre. A Rouen, le 16 avril dernier, le Président de la République avait appelé à un élan et à un souffle nouveaux pour notre Démocratie. Rarement révision
constitutionnelle n'aura été autant nourrie par la réflexion des parlementaires et tout particulièrement par la vôtre, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous qui représentez les collectivités territoriales de la République, selon les termes mêmes de l'article 24 de la Constitution.

Vos travaux ont très directement inspiré, en effet, la réflexion du Gouvernement, comme vous le rappeliez, il y a un instant, Monsieur le Premier Ministre. Vous-même vous y avez contribué, lorsque vous siégiez sur ces bancs.

A l'origine de ces réflexions et propositions, il y a un même constat, désormais très largement partagé et que traduit le corps même de notre Constitution : la place des collectivités territoriales y est très modeste ; un seul article scelle, dans le titre relatif aux collectivités territoriales, le sort des collectivités métropolitaines ; trois autres articles concernent les collectivités d'outre-mer et un titre spécifique , la Nouvelle Calédonie.

Pendant tout le siècle dernier, le principe dit de libre administration des collectivités territoriales a donc résumé l'aspect constitutionnel de la question.

Dans ce cadre, la décentralisation a donc été l'œuvre du législateur. Issue de la réflexion du Général de GAULLE, celle-ci a été conçue au début des années 1970 comme un allègement des tutelles de l'Etat, principalement sur les communes. Elle a par la suite emprunté à titre temporaire - faudrait-il dire aujourd'hui expérimental ? - la voie de la déconcentration avec la création en 1972 des régions comme établissements publics.
Je tiens à rappeler ici le rôle précurseur joué par le Sénat qui adoptait dés le 22 Avril 1980 , après 15 mois de travaux , un projet de Loi relatif au développement des responsabilités locales.

La décentralisation s'est alors développée progressivement dans un mouvement de transfert de compétences portant, pour l'essentiel, sur la gestion de services publics.
A sa suite, les lois de décentralisation des 2 mars 1982 et 7 janvier 1983 constituent davantage l'aboutissement d'un mouvement déjà nettement amorcé qu'une rupture.

Les acquis de la décentralisation lancée par Gaston DEFFERRE sont justement appréciés. Vingt ans après les lois de 1982 et 1983, les collectivités locales sont reconnues comme les espaces d'une démocratie de proximité, à même d'assurer la satisfaction de bon nombre des besoins de nos concitoyens.

Mais, vous le savez mieux que quiconque, Monsieur le Président, ce mouvement a aujourd'hui atteint ses limites.

La décentralisation des années passées fut octroyée par l'Etat. Celle que nous vous proposons de mettre en place, est, comme le souligne très justement le rapport de votre commission des lois, portée par l'initiative des élus locaux eux-mêmes.

Depuis 1998, Monsieur le Président, vous avez pris votre bâton de pèlerin avec un bon nombre de vos collègues sénateurs pour animer, dans presque toutes les régions de métropole et d'outre-mer, les états généraux des élus locaux.

Les conclusions de ce travail de fond ont bien mis en évidence les limites d'une décentralisation qui, si elle fait désormais partie de notre patrimoine républicain, s'apparente à un processus inachevé, au " milieu du gué " qui a même été fragilisé par des tentations recentralisatrices.

D'abord, l'enchevêtrement des compétences, en dépit d'une logique affichée de transfert par bloc, nuit clairement à l'efficacité de l'action publique.

Sur une même question plusieurs collectivités, et l'Etat, peuvent intervenir concomitamment : qu'il faille entretenir ou construire des voies ouvertes à la circulation routière, la compétence en reviendra au maire , mais ses pouvoirs s'arrêteront si la commune est traversée par une route nationale.

78% des Français avouent leur perplexité face à la confusion actuelle. Ne parlons pas des mécanismes de co-financement.....

Ensuite, la rigidité institutionnelle n'a pu être desserrée, en France métropolitaine qu'à Paris ou en Corse. S'agissant des collectivités d'outre-mer, elle aurait continué d'imposer des modifications constitutionnelles successives après celles opérées pour la Nouvelle Calédonie et celle envisagée pour la Polynésie Française.

A ces limites structurelles, s'ajoutent des difficultés fonctionnelles si souvent soulignées. Dans l'exercice de leurs compétences, les collectivités territoriales restent soumises à la législation et à la réglementation nationales. L'Etat a été amené à intervenir de plus en plus au lieu de se recentrer sur ses compétences essentielles, en privant ainsi les collectivités locales de leur liberté d'initiative et de l'exercice de leurs responsabilités.

Ce phénomène s'est doublé d'une perte d'autonomie financière. L'évolution de la structure des ressources des collectivités locales marque un mouvement de " recentralisation financière " qui a été particulièrement mise en évidence par votre Haute Assemblée :

  • la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation,
  • la disparition de la " vignette automobile ",
  • les exonérations et réductions de droit de mutation,
  • le remplacement de ces recettes fiscales par des dotations allouées par l'Etat ont incontestablement conduit à un démantèlement de la fiscalité locale et par, là-même, à un affaiblissement de l'autonomie financière des collectivités territoriales. Faute d'avoir affirmé de façon suffisamment nette ce principe d'autonomie financière, l'Etat a laissé progressivement se tarir une part croissante de la fiscalité locale qu'il n'a pas su réformer.

Nous ne pouvons plus nous résoudre à voir les finances locales dépendre toujours davantage de l'Etat, au fil des législations et des lois de finances.

Avec ces réformes, la part de la fiscalité locale dans les ressources globales hors emprunt a été réduite à moins de 37% pour les régions, 43% pour les départements et 48% pour les communes. Quant au poids des compensations versées aux collectivités par l'Etat, il a été multiplié par 13 depuis 1983.

Il s'agit aujourd'hui de définir le cadre global et cohérent d'une nouvelle architecture des pouvoirs entre l'Etat et les collectivités territoriales.

Surtout, il s'agit de donner des garanties aux collectivités pour qu'en matière normative comme financière, l'Etat ne vienne pas paralyser d'une main, le mouvement qu'il encourage de l'autre.

Enfin, l'approfondissement de la décentralisation doit dépasser le seul cadre représentatif et s'accompagner d'une progression résolue de la démocratie directe locale.

Tels sont, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, les objectifs de la présente révision constitutionnelle.

Ces objectifs ne pourront être atteints qu'en desserrant, chaque fois que cela est nécessaire, l'étau qui bride les initiatives locales.

Bien sûr, affirmer puis décliner l'organisation décentralisée de la République, ce n'est en aucun cas remettre en cause ses principes fondateurs, ni ses grands équilibres. Le Chef de l'Etat a rappelé toute l'importance qu'il attache au respect des principes essentiels que sont l'indivisibilité de la République et de l'égalité des citoyens devant la loi. L'ambition de cette réforme est, selon ses propres termes, de donner à la démocratie " le souffle de l'initiative et l'efficacité de la proximité ". Cette ambition trouve sa source dans l'identité même de la Ve République qui fera, une nouvelle fois, la preuve de sa solidité, de sa maturité, et de son adaptation aux " nécessités de notre temps ".

Mais avant d'en venir en détail au contenu de la réforme, je n'oublie pas, en tant que Garde des Sceaux, les qualités, tant symboliques que juridiques, de la norme constitutionnelle : claire dans ses ambitions et concise dans son expression, ferme sur les principes qu'elle énonce et ouverte quant à leur mise en œuvre. Le projet que le Gouvernement vous soumet répond, je le crois, à la difficile synthèse de ces exigences fondamentales.

Ce texte repose sur quatre piliers : l'organisation décentralisée de la République, la démocratie locale directe, l'autonomie financière des collectivités territoriales et la rénovation du statut des collectivités d'outre-mer. La grande majorité de ces dispositions rénove le titre XII de la Constitution consacré aux collectivités territoriales.

J'ajouterai un cinquième volet qui concerne directement le fonctionnement de l'Etat lui-même.

1- L'organisation décentralisée de la République

L'article premier de notre loi fondamentale est des plus symboliques. Il exprime la quintessence des principes fondateurs de notre République : (je cite)

" La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ".

Nous vous proposons d'y ajouter le nouveau principe de l'organisation décentralisée de la République.

Il ne s'agit pas d'une simple règle d'organisation administrative. C'est un véritable engagement politique du Constituant. Toutes les autres dispositions du projet de révision constitutionnelle en découlent. L'insérer dans l'article 1er, à côté du caractère un et indivisible de la République, c'est bien mettre en avant cette complémentarité.

Votre commission des lois vous propose un autre choix. J'en comprends la logique. Mais il me paraît réduire quelque peu la portée de la réforme.

Le Gouvernement vous propose de poser le principe de l'organisation décentralisée de la République dès l'article1er. Ce principe est ensuite décliné au nouvel article 72.

A - La région est enfin consacrée par la constitution à côté du département et de la commune.

Apparue discrètement dans notre paysage législatif il y a trente ans comme simple établissement public, devenue collectivité territoriale de plein exercice 15 ans plus tard, la région peut aujourd'hui faire son entrée dans la constitution.

Le champ de ses compétences n'a cessé de s'élargir à l'aménagement du territoire, au développement économique et social, à la formation professionnelle et plus récemment aux transports ferroviaires.

Trente années après sa création à l'initiative de Georges Pompidou, la région ne peut plus se contenter d'une place qui demeurerait en quelque sorte expérimentale dans notre République. Nous voyons bien que l'avenir économique de la France en Europe dépend en grande partie de la vitalité de ses régions.

Il est temps de consacrer leur existence et de consolider leur dynamisme en leur faisant une place dans notre loi fondamentale à côté des départements et des communes.

B - Une autre modification d'organisation vous est proposée .

Parce qu'il n'y a pas d'organisation territoriale idéale, et parce que notre pays est heureusement marqué par sa diversité, des formes d'organisation différentes doivent pouvoir coexister. Pour adapter les structures territoriales à l'extrême diversité des situations locales, nous vous proposons donc de reconnaître la faculté de créer par la loi une collectivité " à statut particulier ", en lieu et place , le cas échéant, des collectivités de droit commun.

Les " collectivités d'outre-mer " succèderont quant à elles, aux "territoires d'outre-mer". Les possibilités d'organisation particulière offertes à ces collectivités seront revues. J'y reviendrai tout à l'heure.

C- Troisième aspect fondamental de la décentralisation : les compétences dévolues à l'ensemble de ces collectivités devront répondre à un objectif inspiré du principe de subsidiarité. Désormais " Les collectivités territoriales auront vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à l'échelle de leur ressort ".

Il ne s'agit pas de privilégier par dogmatisme, une collectivité sur une autre, la commune sur le département, le département sur la région.. Il ne s'agit pas davantage de recopier une subsidiarité d'inspiration communautaire.

Loin des constructions abstraites, cet objectif exprime l'idée, de bon sens, selon laquelle il appartient au législateur, lorsqu'il intervient dans la répartition des compétences, de rechercher le meilleur échelon pour l'efficacité de l'action au service de la démocratie.

Les collectivités nous ont déjà montré l'exemple : les conseils régionaux ont remarquablement développé la formation professionnelle, les départements jouent un rôle essentiel en matière d'action sociale et les maires se mobilisent en faveur de la sécurité de leurs administrés.

D- Bien sûr, pour pouvoir œuvrer efficacement, les collectivités territoriales doivent disposer d'un certain pouvoir normatif. Le projet de loi constitutionnelle consacre explicitement leur pouvoir réglementaire. Celui-ci s'inscrit dans la logique des jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat. Ce pouvoir s'exercera dans la mesure où le législateur l'a prévu, afin de mettre en œuvre des compétences que ces collectivités tiennent de la loi, dans le respect du pouvoir réglementaire national.

Votre commission des lois estime que le projet de révision ne garantit pas suffisamment l'exercice effectif du pouvoir réglementaire des collectivités. J'aurai l'occasion de revenir sur ce point au cours des débats.

E- Surtout, le projet a pour ambition d'ouvrir aux collectivités territoriales une capacité d'expérimentation qui leur permettra, dans le cadre de leurs compétences et sur une habilitation ad hoc, de déroger aux dispositions législatives ou réglementaires existantes.

Il s'agit de leur offrir la possibilité d'éprouver, pendant une durée déterminée, soit de nouvelles règles d'exercice de leurs compétences, soit le transfert de nouvelles compétences. Au terme de l'expérience, le législateur appréciera si celle-ci a vocation à être généralisée sur l'ensemble du territoire, éventuellement avec des aménagements, ou simplement abandonnée.

A l'heure actuelle, le Conseil Constitutionnel a exclu toute dérogation législative, fût-elle expérimentale, pour une collectivité.

Or, dans l'exercice de leurs compétences, les collectivités territoriales sont particulièrement bien placées pour apprécier l'adéquation des lois et règlements à un objectif poursuivi, identifier leurs éventuelles imperfections et éprouver les réformes dont ces textes pourraient faire l'objet.

Les craintes, exprimées ici ou là, d'une atteinte excessive au principe d'égalité ne m'apparaissent pas fondées.

Bien sûr, ces expérimentations ne pourront nullement porter atteinte à nos droits fondamentaux, aux valeurs essentielles qui sont les nôtres.

F- Je terminerai sur ce premier pilier en soulignant une dernière innovation : la possibilité pour une collectivité territoriale d'être désignée comme " chef de file " pour coordonner l'action d'autres collectivités.

Il s'agit de favoriser la coopération sur des sujets transversaux, en désignant non pas un tuteur, mais un pilote de projet. Votre commission des lois propose d'ailleurs d'inscrire expressément dans notre Constitution le principe d'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. J'observe que ce principe est déjà reconnu par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.

2- J'en viens maintenant à la démocratie locale directe.

Le projet de loi Constitutionnelle, qui vous est soumis, propose trois nouveaux instruments d'expression populaire pour favoriser le dialogue avec nos concitoyens:

  • le droit de pétition permettra à un ensemble d'électeurs d'obtenir l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante d'une question relevant de sa compétence.
    Votre commission des lois n'entend reconnaître qu'une simple faculté de demander cette inscription. Cela réduit considérablement la portée de cette nouvelle liberté. J'aurai l'occasion de m'en expliquer dans la suite des débats.
  • le référendum local offrira aux électeurs d'une collectivité territoriale, mais à la seule initiative de celle-ci, la faculté de décider eux-mêmes de l'adoption de mesures relevant de sa compétence ;
  • enfin, le projet ouvrira la possibilité d'une consultation locale sur les questions tenant à l'organisation institutionnelle des collectivités territoriales : changement ou modification de leur statut, variation de leurs contours territoriaux. Cette consultation sera décidée par la loi.

Votre commission des lois souhaite n'autoriser la consultation qu'en cas de création d'une collectivité se substituant à d'autres. Nous en reparlerons.

D'une manière générale, il est certain que l'expression de la démocratie directe doit être encadrée pour parer aux abus, pour éviter que soient imposés des choix minoritaires à la population, voire pour empêcher la paralysie des institutions par des groupes de pression. Le texte que nous vous proposons permettra précisément cet encadrement.

La loi, simple ou organique selon les cas, déterminera les conditions, les modalités et la périodicité des recours à ces nouveaux outils du suffrage populaire.

Elle veillera notamment à assurer les conditions d'une juste représentativité, en termes de participation, ainsi que le contrôle du déroulement de ces opérations et de la validation des résultats.

3- Pour que la démocratie de proximité puisse vivre, nous devons aussi donner une véritable autonomie financière aux collectivités territoriales.

On trouve dans les comptes rendus du Comité consultatif constitutionnel cette réplique d'un commissaire du gouvernement, dans la nuit du 12 au 13 août 1958 : " vous savez très bien, comme moi, que la véritable limite à la décentralisation ce n'est pas le pouvoir de tutelle mais l'inexistence d'une réforme de la fiscalité locale ".

Aujourd'hui, ce constat résonne encore ici comme un aveu d'échec. Aucune disposition ne consacre explicitement dans la Constitution, l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Le Conseil constitutionnel a, certes, développé une jurisprudence en ce sens, fondée sur le principe de libre administration. Mais, à défaut d'une base plus précise, celle-ci est demeurée limitée.

L'autonomie financière des collectivités territoriales sera désormais constitutionnellement garantie. Le projet de loi reconnaît leur capacité fiscale qui leur permettra, dans les limites prévues par la loi, de fixer aussi bien le taux que l'assiette des impôts locaux.

Nous vous proposons, de surcroît, de consacrer le principe selon lequel les ressources propres des collectivités territoriales constituent une part " déterminante " de l'ensemble de leurs ressources dans des conditions qui seront précisées par une loi organique.

Je n'ignore pas que cet alinéa sera ardemment débattu et que tous ses mots en seront soigneusement pesés.

Nous savons tous que la part actuelle des ressources fiscales des collectivités territoriales est insuffisante. Pour certaines d'entre elles, l'objectif d'un seuil de 50 % apparaît encore comme un lointain mirage.

Fallait-il renoncer à inscrire dans la Constitution des principes relatifs à l'autonomie financière des collectivités locales au motif qu'il faudrait auparavant une réforme globale de la fiscalité locale, toujours invoquée, souvent évoquée, mais jamais réalisée depuis 1958 ? Certainement pas.

Conscient de la difficulté, le Gouvernement a fait le choix d'une construction dynamique. Celle-ci n'empêche pas les nécessaires évolutions, tant de la fiscalité de l'Etat que de la fiscalité locale. Elle ne met pas en péril la structure et l'équilibre des finances locales. Le gouvernement a cherché à définir un principe opérationnel, qui puisse être décliné, selon un échéancier tout à la fois ambitieux et réaliste. Tel sera l'objet de la loi organique.

Par ailleurs, la nécessité de garantir l'autonomie financière des collectivités territoriales ne doit pas rendre impossible tout futur transfert de compétences en faisant d'une réforme fiscale un préalable absolue.

Votre commission des lois a préféré poser d'ores et déjà, le principe d'une part "prépondérante" des ressources propres c'est-à-dire de plus de 50 %. Je crains que le gouvernement ne puisse adhérer à cette proposition. Nous y reviendrons dans le cours des débats.

Le projet de loi vous propose également d'ériger au rang constitutionnel le principe de compensation des transferts de charges correspondant aux transferts de compétences.

Là encore, il s'agit d'établir un principe opérationnel, susceptible de donner prise à un réel contrôle. Il n'est possible d'engager l'Etat à transférer aux collectivités que ce dont il dispose effectivement, c'est-à-dire les ressources réelles qu'il consacrait aux compétences et aux charges transférées.

Reste un dernier aspect du volet de l'autonomie financière : la nécessaire solidarité entre les collectivités, qu'elles soient riches ou pauvres.

Des craintes se sont exprimées à ce sujet. Le transfert de compétences créerait entre les collectivités une inégalité de ressources et de charges insupportable. Une telle crainte est pour le moins paradoxale : la réalité actuelle, c'est précisément l'inégalité entre collectivités. La révision constitutionnelle se propose d'y remédier. Comme le Premier Ministre l'a souligné, l'égalité républicaine sera respectée par des mécanismes de péréquation.

4. J'en viens aux dispositions intéressant l'Etat

Cette révision constitutionnelle est aussi un vrai levier de la réforme de l'Etat. Il est donc vain de tenter d'opposer l'une et l'autre.
C'est aussi parce que l'Etat doit se réformer que cette révision constitutionnelle vous est proposée. Et c'est parce qu'elle vous est proposée que l'Etat pourra le faire.

Le Président de la République l'a rappelé dans son discours de Rouen :

" L'affirmation d'une démocratie des territoires, démocratie de proximité, d'engagement et d'action, constitue une chance historique de faire accomplir par l'Etat l'effort de transformation radicale de ses structures et de ses méthodes qui créera les conditions d'une bonne gouvernance pour le XXIème siècle ".

Le projet de révision contient à cet égard deux mesures importantes :

  • en premier lieu, il renforce ce que vous appelez, Monsieur le Président, le "bonus constitutionnel " du Sénat. Le rôle spécifique de représentation des collectivités territoriales de votre Haute Assemblée, défini à l'article 24 de la Constitution, est conforté. Les projets de loi ayant pour objet principal la libre administration des collectivités territoriales seront soumis en premier lieu au Sénat.

Les Français sont attachés au Sénat. Ils reconnaissent la compétence irremplaçable de cette Assemblée en matière de collectivités locales. Dans le respect d'un bicamérisme équilibré, conforme à l'esprit des institutions, cette disposition renforcera la "valeur ajoutée" du Sénat.

  • L'expérimentation sera un facteur essentiel de stimulation des initiatives locales. Il eût été paradoxal de priver l'Etat, dans le champ de ses compétences, de ce formidable outil pour un meilleur service rendu aux citoyens.

Le projet qui vous est présenté autorise la loi et le règlement à comporter, pour une période limitée, des dispositions à caractère expérimental. Là encore, il s'agit d'éprouver, pendant une durée déterminée, la mise en œuvre d'une réforme sur un champ d'application territorial ou matériel restreint. L'autorité compétente pourra ainsi apprécier le bien-fondé de la généralisation de l'expérience.

Votre commission des lois propose d'inscrire expressément dans la Constitution le caractère limité de l'objet et de la durée de l'expérimentation. Cette précision m'apparaît particulièrement heureuse.

Formons ici le vœu que l'Etat saura saisir cette chance de démontrer, face au dynamisme des collectivités territoriales, sa capacité d'innovation et de transformation.

Votre commission des lois propose néanmoins de restreindre le champ d'application de l'expérimentation à la matière législative. Le gouvernement ne partage pas ce point de vue. Je pense notamment aux expérimentations qui pourraient être faites en procédure civile, matière qui relève du niveau réglementaire.

5- Je terminerai par le statut des collectivités d'outre-mer

Conformément aux engagements du Président de la République, ce projet de révision dote notre Constitution de règles démocratiques nouvelles pour nos collectivités d'outre-mer.
Il fallait assouplir et clarifier un cadre constitutionnel devenu inadapté à leurs spécificités et aux aspirations de leurs habitants.

Ce texte refonde le statut des collectivités d'outre-mer, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie qui demeure régie par les dispositions transitoires figurant au titre XIII.

Il confirme la différence de statut entre les régions et départements d'outre-mer, d'une part, et les collectivités d'outre-mer (ex territoires d'outre-mer), d'autre part. Les premiers sont régis selon le nouvel article 73 par le principe d'assimilation législative adaptée. Les secondes par le principe de spécialité législative modulée, selon l'article 74.

La désignation nominative de chacune de ces collectivités dans la Constitution marque solennellement leur appartenance à la République. Elle aura pour effet d'empêcher toute sortie de la communauté nationale sans révision préalable de la Constitution. C'est un symbole fort, notamment pour Mayotte, dont le nom ne figure, à l'heure actuelle, que dans la Constitution de l'Etat étranger qui la revendique.

Le projet institue également des garanties démocratiques nouvelles, dont le texte constitutionnel était jusqu'alors dépourvu, s'agissant de la possibilité ouverte au législateur de modifier l'organisation et le régime législatif des collectivités d'Outre-mer. Les électeurs de ces dernières disposeront désormais d'un véritable " droit de veto " sur tout changement du régime de l'article 73 vers celui de l'article 74, ou inversement. L'expérience montre que cette garantie est nécessaire, car un choix aussi fondamental que le passage de l'assimilation adaptée vers la spécialité législative ne saurait être imposé à une population qui n'en voudrait pas. Le texte donne ainsi toute sa portée au droit pour les électeurs d'Outre-mer de choisir sous lequel des deux grands régimes ils entendent vivre.

La situation actuelle des collectivités d'outre-mer n'est donc en rien modifiée : une collectivité qui ne souhaiterait pas évoluer ne sera pas contrainte à engager un quelconque processus de modification statutaire.

La décision finale en la matière continuera de relever du Parlement . A supposer même qu'une consultation locale aboutisse à un résultat peu lisible, avec un taux de participation limité, le Parlement restera libre de ne pas donner suite à une demande d'évolution. Il ne sera pleinement lié par les résultats de la consultation que dans le cas d'une réponse négative des électeurs ; ce refus n'emportera d'ailleurs que l'obligation de respecter le statu quo.

Par ailleurs, le régime normatif des départements et régions d'outre-mer est assoupli, en considération de leurs caractéristiques et contraintes particulières. Il leur sera permis dans leur domaine de compétences, d'avoir eux-mêmes la capacité d'adaptation des lois et règlements voire, en certaines matières, de les modifier, moyennant une exception limitée au principe d'assimilation législative. Ce principe est réaffirmé avec force par le nouvel article 73.

S'agissant des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74, chacune d'entre elles aura un statut particulier, défini par la loi organique, selon ses intérêts propres, qui leur reconnaîtra des compétences susceptibles de relever du domaine de la loi voire, pour certaines d'entre elles, une véritable autonomie. La nouvelle rédaction de l'article 74, très souple, permettra de régler des situations aussi différentes que celles de Saint-Pierre et Miquelon, de Mayotte, de Wallis et Futuna et de la Polynésie française.

Cette dernière a naturellement une vocation particulière à bénéficier de ces nouvelles dispositions sur " l'autonomie ". Ce terme qui figurait dans l'article 77 d'origine de la Constitution pour les Etats de la Communauté, y retrouve donc sa place. Il ne figurait jusqu'ici que dans la loi organique statutaire de 1996. Seront ainsi reconnus à la une marge de manœuvre et d'appréciation ainsi qu'un espace de décision beaucoup plus importants que ceux d'une simple autorité administrative.

S'agissant des actes pris par la collectivité dans le domaine de la loi, l'article 74 prévoira un contrôle juridictionnel " spécifique ". Intervenant dans des matières qui sont, en métropole, de la compétence du législateur, ils ne se verront opposer que les normes elles mêmes opposables au Parlement c'est à dire le " bloc " de constitutionnalité et les engagements internationaux. Les délibérations de la collectivité auront donc, dans le domaine de sa compétence ,une force juridique supérieure aux règlements ordinaires.. La loi organique précisera les modalités de ce contrôle juridictionnel, qui relèvera en premier et dernier ressort du Conseil d'Etat.

Dans le domaine de l'emploi, du droit d'établissement et de la protection du patrimoine foncier, la collectivité pourra prendre des mesures en faveur des populations locales, pour autant que les " nécessités locales " - le terme est repris de l'article 56 de la Convention européenne des droits de l'Homme - l'exigent.

La loi organique pourra ainsi fixer, pour l'accession aux emplois publics ou privés et pour le droit d'établissement, une certaine durée de résidence qui devra être raisonnable.

Dans un but de protection du patrimoine foncier intimement liée à l'identité polynésienne , une procédure d'autorisation préalable pourra concerner certains transferts de propriété à vocation spéculative.

Les collectivités dotées d'un statut d'autonomie pourront également être associées à l'exercice par l'Etat de ses propres compétences .

Ainsi puisque l'Etat conservera la compétence en matière de libertés, d'ordre et de sécurité publics et de procédure pénale la collectivité pourra lui proposer de prendre des mesures dans ces domaines. Elle pourra aussi exercer, par délégation de l'Etat, une compétence normative dans ces matières.
S'agissant de compétences régaliennes, l'Etat conservera toujours le droit de s'opposer à un acte intervenu dans ce champ de compétence ou de le réformer, pour des motifs de légalité comme de pure opportunité.

Le statut de Mayotte et de Saint-Pierre et Miquelon est naturellement pris en compte par la révision. Il est aujourd'hui juridiquement fragile, car aucune disposition constitutionnelle n'autorise une collectivité qui n'est pas un territoire d'outre-mer à réglementer dans le domaine de la loi : la révision constitutionnelle met fin à cette incertitude. En soumettant ces deux collectivités au régime de l'article 74, certaines des composantes de leur statut actuel relèveront de la Loi organique.

Mais les deux lois statutaires, des 11 juin 1985 et 11 juillet 2001, n'auront pas à être complétées, sinon de manière marginale, pour être mises en conformité avec le nouvel article 74 : elles contiennent en effet déjà tous les éléments nécessaires à l'application de cet article.

Enfin, un mécanisme d'habilitation permanente permettra au Gouvernement, d'actualiser, par voie d'ordonnance, le droit applicable aux collectivités d'outre-mer, dans les matières qui restent du domaine de la loi et qui relèvent des compétences de l'Etat.

Il s'agit de mettre fin à une situation préoccupante de " droit à double vitesse " qui perdure malgré les efforts du Gouvernement comme du Parlement.

Je salue ici l'intérêt que votre Haute Assemblée a régulièrement manifesté sur cette question. Le Parlement pourra toujours maîtriser l'application de cette procédure, soit en s'y opposant expressément par une disposition ad hoc, soit en procédant lui-même à l'extension souhaitable.

Votre commission propose d'apporter à ce dispositif des aménagements sur lesquels je m'expliquerai dans la suite de vos travaux.

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Voilà Mesdames et Messieurs les Sénateurs, ce que je souhaitais vous dire après Monsieur le Premier Ministre, au seuil de ce débat essentiel qui nous rassemble aujourd'hui.

Je tiens à rendre hommage à la richesse et à la qualité du travail que vous avez effectué sur ce texte qui, je le sais, vous tient particulièrement à cœur. Car vous êtes, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, par votre expérience d'élus locaux et de parlementaires, au centre de la République territoriale que vous voulons aujourd'hui consacrer dans notre loi fondamentale.

Je sais que dans le débat qui s'ouvre nous partageons la volonté de permettre à la République, en se ressourçant dans les énergies locales, de se fortifier elle-même.

En révisant la Constitution, vous contribuerez à construire une République qui réponde davantage aux attentes des citoyens. Une République qui permette à l'Etat et aux collectivités territoriales de mieux vivre ensemble

Une République plus efficace et plus humaine. C'est de l'avenir et du renouveau de la démocratie dont il s'agit. Je ne doute pas de votre engagement et de votre détermination.

Je vous remercie.