[Archives] Forum des huissiers de justice

Publié le 12 décembre 2002

Discours du garde des Sceaux

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8 minutes

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs.

C’est avec un très grand plaisir que, pour la première fois, je viens à la rencontre de votre profession.

Je suis très heureux, Monsieur le Président, de m’adresser à tous vos confrères ici présents ainsi qu’à tous ceux qui suivent vos travaux sur le réseau.

Vous démontrez le dynamisme de votre profession qui est rompue à l’usage quotidien des technologies de l’information et de la communication.

Forts des expériences que vous avez menées depuis des années et des projets que vous nourrissez dans ce domaine, vous avez choisi de consacrer votre forum aux enjeux de ces nouvelles technologies qui font désormais partie intégrante du paysage juridique.

J’ai demandé à mes services de suivre avec attention vos débats et de m’en rendre compte.

J’en viens, Monsieur le Président, aux sujets de fond que je voudrais aborder aujourd’hui avec vous.

Parmi eux, je privilégierai certains aspects concrets des avancées que nous avons récemment réalisées ensemble.

S'agissant tout d'abord de la mission des huissiers-audienciers, j'observerai simplement, en écho à votre propos, que l'augmentation du tarif pénal réalisée cette année a été concentrée sur la rémunération des notifications d'actes, à la suite du choix effectué par votre chambre nationale.
Je crois profondément que ce choix a été réfléchi et sage. Aussi, il m’apparaît difficile de le remettre en cause aujourd'hui.

En revanche, il convient de s'interroger sur les modalités selon lesquelles est assuré le service des audiences pénales.

Une réflexion doit être engagée. Je vous en donne acte bien volontiers et j'y suis prêt. Elle doit permettre de redéfinir l’objet précis de la mission qui vous est assignée, d'en préciser les contours, de telle sorte qu'elle puisse être assumée dans les meilleures conditions possibles.

Vous avez également exprimé votre inquiétude sur de possibles évolutions des modalités de recouvrement des créances sociales.

Vous vous faites l’écho de projets qui tendraient à autoriser des organismes sociaux de droit privé à notifier directement aux débiteurs des états de recouvrement après les avoir rendus exécutoires par eux-mêmes, en leur conférant la force d'une décision de justice.
Ces hypothèses de travail ne se sont pas concrétisées . Mais j’ai demandé à mes services de se tenir très étroitement informés d’éventuels projets en ce sens au Ministère des Affaires Sociales, du travail et de la solidarité.

En tout état de cause, je puis vous assurer que la Chancellerie continuera, comme elle l’a fait par le passé, à s’opposer à toute initiative de ce type.

Il est clair que votre intervention est seule à même d’assurer l’indispensable sécurité juridique que requièrent les procédures de recouvrement forcé.

Cette intervention ne doit pas être sacrifiée à des simplifications apparentes dont les effets pervers sont incontestables, pour les débiteurs comme pour les créanciers.

De manière générale, aujourd'hui comme hier, la Chancellerie a naturellement vocation à promouvoir l'intervention de l'huissier de justice comme gage de la fiabilité des procédures.
Je voudrais illustrer cette affirmation par deux exemples qui constituent des avancées fondamentales pour votre profession.

Je veux parler d’une part, de la conclusion prochaine d’une convention avec le Trésor sur le recouvrement des créances publiques et d’autre part, de l'accès des huissiers de justice au fichier FICOBA.

Le recouvrement des créances publiques
L'action menée au cours de ces derniers mois constitue un exemple particulièrement significatif de ce que peut produire la concertation.

Grâce à une action coordonnée entre la Chambre nationale et la Chancellerie, des solutions que je crois satisfaisantes, ont été dégagées sur ce sujet délicat.

Comme vous le savez, les services départementaux ont cessé, il y a un an, d'alimenter le flux régulier des missions habituellement confiées aux huissiers de justice en matière de recouvrement des amendes, taxes et redevances. Une telle décision ne pouvait manquer de déséquilibrer brutalement la trésorerie d'un grand nombre d'offices.

La Direction des affaires civiles et du Sceau a rencontré les représentants de la Direction générale de la comptabilité publique afin de mesurer les conséquences de ce changement de politique, présenté, comme vous l'avez indiqué, comme la conséquence d’une rationalisation de la dépense budgétaire.

A la suite de cette rencontre, le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a exprimé le désir de renouer rapidement le dialogue avec la profession au niveau central.

C’est dans ces conditions que la Chancellerie a décidé de mettre en place un groupe de travail pour développer un partenariat rénové, sur la base d'une convention-cadre régissant les relations entre les huissiers de justice et le réseau des comptables du Trésor.

Dans ce contexte, la Chancellerie a poursuivi un double objectif :

  • d'une part, veiller à l'orthodoxie de la convention-cadre au regard des dispositions, notamment tarifaires, régissant l'activité des huissiers de justice ;
  • d'autre part, faire en sorte que soient assurées une relative prévisibilité et une constance des volumes de recouvrement.

Les discussions ont montré qu'il était possible de travailler mieux, de gagner en efficacité, tout en gardant le haut niveau de qualité garanti par votre compétence et votre savoir-faire d’officiers publics et ministériels.

Cela suppose, bien entendu, qu'une part d'initiative soit laissée au professionnel qui, mieux que personne, est en mesure d'apprécier les perspectives de recouvrement qu'offre, pour chaque type de créances, l’éventail des interventions qui sont à sa disposition.

Le processus de recouvrement prévu par le groupe de travail, se décompose en deux phases répondant à cette logique :

  • Il institue une première période au cours de laquelle sont mises en oeuvre des mesures de recouvrement non coercitives, qui sont largement laissées à l'appréciation du professionnel. Aucune créance, qu’elle que soit son montant, n’en sera cependant exclue par principe ;
  • Ensuite, et à défaut de recouvrement intégral, il sera recouru aux mesures de recouvrement forcé prévues par les textes.

A partir des principes ainsi dégagés, la concertation a permis d’arrêter des solutions détaillées quant aux bases de rémunération des différentes prestations.

En outre, la nécessité est apparue de prévoir une clause de bilan d'application à l'issue d'une période d'observation qu’il a été convenu de fixer à dix mois. Les enseignements résultant de l'analyse de ces résultats permettront donc de progresser encore, dans la définition d'un partenariat équilibré.

Je suis heureux d'annoncer ici que la signature de la convention-cadre interviendra solennellement le 8 janvier prochain en présence du Directeur des Affaires Civiles et du Sceau et du Directeur de la Comptabilité publique.

Elle marquera le signal tant attendu de la reprise des relations entre les trésoreries départementales et les huissiers de justice.

Vous vous êtes battu pour cela, Monsieur le Président. Je vous ai accompagné dans ce combat et j’ai la satisfaction de voir que nos efforts conjugués ont abouti.

L'accès au fichier FICOBA
Vous avez évoqué un deuxième sujet sur lequel vos confrères ont tout lieu, je crois, d'apprécier également le chemin parcouru au cours des derniers mois.

Vous aviez, en effet, exprimé le souhait que les huissiers de justice puissent, lorsqu’ils ont à rechercher un débiteur défaillant, accéder directement au fichier des comptes bancaires FICOBA.

Le renforcement de l'efficacité de la justice est une priorité de mon action. Tout doit être mis en oeuvre, dans le respect des droits fondamentaux, pour assurer la pleine exécution des décisions judiciaires.

C'est aux huissiers de justice que la loi a confié cette mission en matière civile. C'est donc bien à vous qu'il revient de mettre en oeuvre cette exécution par des moyens rapides et efficaces.

Nous savons que les conditions actuelles ne permettent pas d’atteindre cet objectif. Je n’hésiterai pas à dire qu’il y a là une forme de déni de justice.

Le Gouvernement est déterminé à améliorer et à renforcer les moyens d’exécution des décisions judiciaires en matière civile et pénale.

S’agissant du recouvrement des créances, une interrogation directe du Fichier des Comptes Bancaires (FICOBA) pour connaître l'adresse des banques où le débiteur a ouvert un compte constitue un moyen très efficace.

L'exécution d'une décision de condamnation pécuniaire requiert en effet une localisation rapide et simple du patrimoine du débiteur.
Aujourd'hui, l'huissier de justice qui souhaite interroger un fichier détenu par une administration soumise au secret professionnel, doit, comme vous l'avez souligné, saisir au préalable le Procureur de la République qui interrogera le service compétent.

Je suis conscient de l’exigence du respect l’intimité de la vie de nos concitoyens.

Mais cette préoccupation, ô combien légitime, doit-elle permettre de dissimuler des actifs ?

En tout cas, les procédures actuelles sont lourdes, les délais qu'elles imposent sont longs. Les unes et les autres sont clairement inadaptés à la rapidité de circulation des actifs dans le monde d’aujourd’hui.

Les avoirs bancaires sont les plus mobiles. C'est donc en cette matière que l'information doit être obtenue le plus rapidement.

Par ailleurs, comme vous le savez, la réforme des procédures civiles d'exécution de 1991, a créé la saisie-attribution, qui se distingue par son efficacité particulière. Cette réforme a conféré à la saisie des avoirs bancaires une place prépondérante parmi les voies d'exécution. Elle est en effet moins traumatisante que la saisie-vente ou la saisie immobilière.

L'accès direct des huissiers de justice au fichier FICOBA est donc souhaitable. J’ai saisi de cette proposition le ministère de l’Economie, des finances et de l’industrie qui s’est montré ouvert. J’ai également demandé à mes services de consulter la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

En revanche, je crois difficile d’aller plus avant dans l’accès direct aux informations personnelles concernant le débiteur.

Cette extension créerait un déséquilibre entre les droits des créanciers et des débiteurs contraire aux principes sur lesquels repose notre législation en matière d’exécution. En outre, elle pourrait apparaître comme trop intrusive dans la vie privée de nos concitoyens.

Par ailleurs, le but recherché, ne l’oublions pas, est d’améliorer l'identification du patrimoine.

L’accès au fichier FICOBA n’en reste pas moins une réforme majeure qui manifeste, tant par son objet que par ses effets attendus, la confiance que l'Etat place dans votre profession.

Les dispositions sur l’accès au fichier trouveront leur place dans le projet de loi sur les professions juridiques que j’entends déposer au Parlement, au premier trimestre 2003.

Cette réforme renforcera l'efficacité des titres exécutoires. Elle consacrera aussi la place de l'huissier de justice dans le processus d'exécution.

Le développement anarchique des méthodes d'enquêtes ou de recouvrement parallèles, sans aucune garantie, pourra ainsi être enrayé.

J’ai comme vous, Monsieur le Président, été alerté sur certaines pratiques scandaleuses que je suis déterminé à faire cesser. J’observe que dans certains cas, une réponse peut d'ores et déjà être apportée sur le plan pénal.

Enfin, la création d’un espace européen de justice et de sécurité est une priorité. Vous y trouvez pleinement votre place.

Vous avez évoqué, Monsieur le Président, l'avenir européen du droit de l'exécution.

En novembre 2000, l'Union européenne, alors présidée par la France, a fait sienne l’objectif de faciliter l’information sur la situation financière des débiteurs, et d’améliorer la saisie bancaire.

Comme vous le savez, le règlement concernant le titre exécutoire européen, destiné à faciliter la circulation des titres, est en cours de négociation.

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Voilà, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire en cette fin de matinée.

Comme vous le constatez, nous avons beaucoup avancé ensemble au cours de ces tout derniers mois. Je crois qu’il s’agit là d’une bonne méthode de travail.

Le service public de la justice a besoin de ses huissiers et les huissiers peuvent compter sur leur ministre. Nous continuerons à prendre ensemble les mesures nécessaires pour que votre mission puisse être exercée dans les meilleures conditions, au service de la collectivité, au service de la Justice.

Je vous en remercie.