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116ème congrès des notaires de France

Publié le 09 octobre 2020 - Mis à jour le 24 février 2023

Discours du garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Seul le prononcé fait foi

 

Monsieur le président du Conseil supérieur du notariat,

Cher Jean-François Humbert, 

Chers Maîtres,

Mesdames et messieurs,

 

Permettez-moi de vous dire le plaisir que j’éprouve, à cet instant précis, à venir ici, au Palais des congrès de Paris, ouvrir ce 116ème congrès des notaires de France.

En dépit des difficultés logistiques liées à la crise sanitaire, et qui se sont encore renforcées en début de semaine, ce congrès peut, malgré tout, se tenir.

Il a pu se tenir par la volonté et la détermination de votre profession, qui a su surmonter les obstacles et in fine vaincre l’adversité en proposant une thématique forte résumée en un mot : « PROTÉGER ».

Ce mot résonne d’autant plus fortement que nous traversons une épreuve exceptionnelle comme la France et l’Europe n’en ont pas connue depuis longtemps.

Je tiens à souligner ici la grande mobilisation des notaires dans cette épreuve, que ce soit dans les territoires, dans les instances locales, ou bien entendu au sein du Conseil supérieur du notariat.

Grâce à cette mobilisation, et au travail constructif engagé avec mes services pour adapter les textes pendant l’état d’urgence sanitaire, le service public du notariat a pu continuer à être rendu sur tout le territoire national, dans l’intérêt de nos concitoyens.

Pendant cette crise, la poursuite de l’activité des offices de notaires a été un objectif prioritaire de la Chancellerie.

C’est ainsi qu’en un temps record, a été écrit et publié le décret du 3 avril 2020 visant à autoriser l'acte notarié à distance.

Ce texte a facilité la poursuite des activités économiques en dépit des contraintes imposées par la propagation du covid-19 et des mesures prises pour la limiter.

Il a écarté temporairement l’exigence d’une présence physique devant le notaire, prévue par le décret du 26 novembre 1971. 

Afin de garantir la sécurité et la confidentialité de l’acte établi à distance, le recours à un système de visioconférence agréé par le CSN a été imposé, ainsi que le recours à la signature électronique qualifiée, c’est-à-dire le niveau de sécurité le plus élevé de la réglementation européenne.

Ce dispositif a permis de préserver toute la spécificité de l’acte authentique notarié, en conciliant l’impératif de sécurité juridique avec les potentialités offertes par le numérique.

Le régime provisoire institué par le décret du 3 avril 2020 a pris fin le 10 août dernier.

L’expérience de ce dispositif en a révélé les avantages et nous a convaincus de la nécessité de travailler à sa pérennisation. 

En effet, l’acte à distance permet non seulement la fluidification des transactions, mais il donne accès, pour nos concitoyens de l’étranger, au service public notarial, dans un contexte de suppression des attributions notariales des agents diplomatiques et consulaires.

Afin de pouvoir apprécier, dans la durée, les impacts juridiques et techniques d’une telle pérennisation, il est toutefois proposé, dans un premier temps, de circonscrire la faculté de dresser des actes notariés à distance aux seules procurations.

Cette ouverture permettra de s'assurer des garanties du système, avant d'étendre le dispositif, le cas échéant, à l’ensemble des actes notariés.

Le projet de décret autorisant la procuration notariée à distance vient d’être transmis au Conseil d’État. Il devrait être publié courant novembre.

 

L’état d’urgence sanitaire nous a également contraints à repousser au mois de septembre les élections des représentants des notaires au sein des chambres départementales et régionales et à ouvrir la possibilité de voter par procuration. 

Le décret du 14 septembre dernier relatif à la représentativité au sein des instances notariales a dans le même temps augmenté le nombre de délégués représentant les notaires au Conseil supérieur du notariat. Il permet ainsi plus de dialogue et plus d’échanges entre le niveau national et les régions. La proximité de l’instance nationale avec les professionnels locaux est en effet essentielle car les problématiques d’une profession s’appréhendent avant tout sur le terrain.

Je suis heureux et satisfait de voir que la Chancellerie et le Conseil supérieur du notariat ont pu mener à bien ce projet important, dans cette période si particulière, et surtout dans des temps très serrés, afin que les élections qui se sont tenues dès la mi-septembre puissent en bénéficier.

À cet égard, je saisis cette occasion pour féliciter ceux d’entre vous qui, en plus de l’exercice de leur mission de service public, ont fait le choix de s’engager pour représenter leur profession au niveau national.

 

Je viens de parler des territoires. Je voudrais un instant m’adresser aux notaires des départements et collectivités d’outre-mer où la profession notariale est appelée à jouer un rôle central dans l’application de la règle de droit. Mesdames et messieurs les notaires d’outre-mer, votre implication est primordiale pour la mise en œuvre de la loi du 27 décembre 2018 (dite loi « Letchimy ») visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.

Afin de remédier au désordre foncier, aux indivisions non réglées depuis plusieurs générations, le législateur a confié au notaire, dans le cadre des successions ouvertes depuis plus de 10 ans, la mission de rédiger les actes de vente et de partage, à la demande de la majorité des indivisaires, au lieu de l’unanimité qui est requise en droit commun.

Il en fait ainsi un acteur clé du dispositif exceptionnel mis en place pour faciliter la sortie de l’indivision et relancer la politique du logement en outre-mer.

Le décret d’application de la loi, qui va être prochainement publié, charge les chambres des notaires de publier sur leur site internet les extraits des projets d’actes afin d’assurer l’information des indivisaires qui ne sont pas à l’initiative de la vente ou du partage, et leur permettre de faire éventuellement opposition au projet.

Je n’ignore pas que cette loi crée une procédure nouvelle et que, comme toute nouveauté, elle inquiète parfois. Je vous demande toutefois de vous saisir de l’opportunité de cette réforme dans l’intérêt de nos concitoyens d’outre-mer qui sont parfois piégés trop longtemps dans de vieilles indivisions insolubles. C’est aussi une chance pour le développement économique de ces territoires qui en ont grand besoin. Je sais pouvoir compter sur vous.

 

Monsieur le président, vous venez de réclamer des réformes.

Je vous entends. J’entends votre souci d’améliorer toujours les choses.

Vous êtes exigeant, moi aussi.

 

Avant d’aborder les réformes futures, je tiens à souligner la réussite de la mise en œuvre, à ce jour, de la réforme issue de la loi « croissance » de 2015, qui a profondément modifié les conditions de création des nouveaux offices de notaire.

Avec la première carte de nominations 2016-2018, et la deuxième carte toujours en cours d’application et qui devrait s’achever en décembre prochain, ce sont plus de 2100 nouveaux notaires qui auront été nommés.

Si cette vague de nomination a surtout permis un meilleur maillage territorial du notariat, elle permet aussi de donner une autre image de la profession :

  • d’abord par un rajeunissement : l’âge moyen des nouveaux notaires est inférieur à 40 ans,
  •  par une plus grande féminisation : près de 60 % des nouveaux notaires sont des femmes,
  • et, enfin par une plus grande ouverture de la profession : les trois quarts des nouveaux notaires nommés n’étaient pas officiers publics et ministériels avant leur nomination dans un office créé.

Cette réforme posait un défi ambitieux. Il a été relevé, non seulement par la Chancellerie et les candidats, mais aussi par les instances professionnelles tant nationale que départementales.

Si l’installation des nouveaux notaires a pu se faire dans de bonnes conditions, c’est grâce à votre implication sur le terrain ; la solidarité de la profession a joué pleinement. Je ne peux que m’en réjouir et vous en remercier.

S’agissant des réformes futures, vous appelez de vos vœux l’amélioration du dispositif de nomination aux offices créés, prévu par la loi de 2015.

À cet égard, la Chancellerie a pris connaissance avec vif intérêt du rapport du CSN sur l’application de cette loi.

Sachez que mes services travaillent précisément à l’amélioration du dispositif, comme le prouvent les décrets et arrêtés qui sont intervenus pour adapter, corriger, compléter le système.

Pour l’heure, il n’est cependant pas question de revenir sur le principe du tirage au sort : il permet un départage objectif des candidats remplissant déjà toutes les conditions pour être nommés notaires. Le système sera toutefois perfectionné.

D’abord, pour l’application de la prochaine carte, le tirage au sort se fera enfin de manière électronique.

Cela constituera un gain de temps certain, tant pour les personnes qui étaient jusqu’ici mobilisées par le tirage au sort manuel, que pour les candidats, qui connaîtront leur rang de classement très rapidement, et pourront ainsi se projeter dans un avenir proche.

S’agissant des avis sur la liberté d’installation des notaires et des propositions de révision de carte, vous savez que c’est la loi qui prévoit la consultation de l’Autorité de la concurrence (ADLC).

À cette occasion, l’Autorité émet des recommandations quantitatives et qualitatives. Il s’agit bien de propositions. Pour les deux cartes précédentes, le Gouvernement a suivi l’avis de l’Autorité de la concurrence ; ça ne signifie pas qu’il est tenu de le faire.

Par ailleurs, les échanges et travaux du ministère de la Justice, menés avec l’autorité de la concurrence et la DGCCRF, s’inscrivent dans une démarche de collaboration organisée et effective, en amont de ces avis.

L’ADLC, conformément aux prérogatives qui lui sont conférées par la loi « Croissance », a lancé, en juin dernier, une consultation publique en vue de préparer le nouvel avis sur la liberté d’installation des notaires et de proposer une révision de la carte arrêtée en décembre 2018.

Elle s’est d’ailleurs engagée à ce que ses recommandations pour la période 2020-2022 tiennent compte de l’impact, à court, moyen et long terme, de la pandémie de Covid-19 sur l’activité notariale.

Dans le cadre des travaux de révision biennale de la carte relative à la liberté d’installation des notaires, le ministère de la Justice a, quant à lui, tenu à lancer une vaste enquête-bilan du parcours des candidats nommés à l’occasion de la première carte (c’est-à-dire ceux qui ont été nommés de septembre 2016 à septembre 2018). Cette enquête a été complétée en tenant compte du contexte particulier de la pandémie de Covid-19.

Il s’est agi d’interroger les notaires nommés dans le cadre de cette première carte afin de bénéficier d’un véritable retour d’expérience d’officiers publics et ministériels nouvellement installés et qui disposent du recul pour apporter un témoignage éclairant sur leurs conditions d’installation et leurs premières années d’exercice.

Sur les 1925 notaires interrogés, plus de 1100 ont pris le temps de répondre à cette enquête et je tiens à les en remercier.

Je vais très prochainement rendre publics les résultats de cette enquête qui a nécessité un gros travail d’analyse. Elle permet de disposer d’un état des lieux précis de la situation économique de ces notaires et d’apprécier comment ils envisagent leurs perspectives d’évolution dans les mois et les années à venir.

Ces éléments d’information nous paraissent l’indispensable vecteur nous permettant d’engager une réflexion constructive sur l’évolution des cartes à venir.

Monsieur le président, vous souhaitez également une réforme de la discipline. Vous avez engagé avec mes services, depuis plusieurs mois, un dialogue constructif pour repenser le cadre de la discipline de votre profession qui, il faut le reconnaître, n’est plus adapté.

Je partage pleinement votre volonté de réformer un système disciplinaire devenu assez peu efficace et trop complexe. Une telle réforme est d’autant plus nécessaire qu’elle répond à l’évolution démographique de votre profession, avec l’arrivée massive depuis 2015 de nouveaux notaires. 

Ainsi, comme vous, je souhaite, à la lumière des conclusions que l’Inspection générale de la Justice me remettra dans les prochains jours, proposer une refonte de l’ordonnance du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.

Je partage pleinement avec vous cette évidence qu’il faut rappeler : les officiers publics et ministériels, parce qu’ils sont investis de prérogatives de puissance publique, doivent se montrer exemplaires dans leur pratique professionnelle.

Comme vous, je suis convaincu que les dérives déontologiques, qui ternissent l’image de votre belle profession, ne doivent pas rester sans réponse.

La discipline doit donc gagner en lisibilité et en efficacité, dans l’intérêt du notariat, mais surtout dans l’intérêt de nos concitoyens qui peinent trop souvent à faire entendre leur plainte.

Je souhaite ainsi lancer dans les prochaines semaines le chantier de la réforme de la discipline. Vous avez salué tout à l’heure la qualité et l’efficacité du dialogue avec la Chancellerie.

Le notariat sera bien entendu associé à l’ensemble de ces travaux, comme il l’est pour toutes les réformes qui concernent la profession. Ce dialogue se poursuivra de façon continue, constructive et en toute confiance.

Enfin, je vous précise que la Chancellerie est ouverte aux échanges sur une réforme de la formation, qui vous tient à cœur. Celle-ci devra toutefois être approfondie avec la ministre de l’Enseignement supérieur dont les prérogatives en la matière sont essentielles.

Un autre sujet vous préoccupe : les tarifs.

La loi « Croissance » de 2015, s’agissant de la fixation des tarifs des professions réglementées, a choisi de consacrer le principe d’un calcul lié aux coûts pertinents du service rendu et à une rémunération raisonnable. Le premier décret et les arrêtés afférents ont été pris le 26 février 2016.

Depuis 2016, les révisions tarifaires ont effectivement entraîné une baisse régulière des tarifs des notaires au bénéfice des clients.

Depuis la loi « Croissance », la loi de programmation de la justice du 23 mars 2019 a introduit un nouveau mode de calcul des tarifs réglementés de certaines professions, dont la profession notariale.

Cette nouvelle méthode apprécie globalement les coûts pertinents et la rémunération raisonnable. Le décret du 28 février 2020 et les arrêtés qui en découlent n’ont fait que tirer les conséquences de cette modification législative.

Certes, ces textes ont entraîné une diminution globale des émoluments de 1,9 % ; mais une concertation a pu être engagée par les services de la Chancellerie et de la DGCCRF avec votre profession, qui a permis d’aboutir à des diminutions tarifaires plus ciblées sur certains actes.

Le dialogue entre les services de l’État et les instances représentatives du notariat a également conduit les ministres de la Justice et de l’Économie à prendre un arrêté conjoint pour reporter l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs du 1er mai 2020 au 1er janvier 2021.

Ces dispositions ont, je l’espère, permis aux notaires d’envisager la sortie du confinement de façon plus sereine, et favorisé la reprise économique des offices. 

 

Je voudrais terminer mon propos, monsieur le président, par la convention d’objectifs qui devrait très bientôt être signée. Vous avez effectivement manifesté votre souhait, il y a un an, de formaliser les relations entre l’État et la profession que vous représentez, par la signature d’un texte conventionnel.

Cette initiative vous honore.

Avec Bruno Lemaire et Olivier Dussopt, qui apposeront aussi leur signature au bas de cette convention d’objectifs, je souscris à l’ambition de réaffirmer l’intensité du lien qui unit depuis l’origine l’État aux notaires.

Cette convention est une initiative inédite, à mettre à votre crédit monsieur le président.

 

À ma connaissance, aucune autre profession réglementée du droit n’a déjà souhaité, et concrétisé, la signature d’une convention avec l’État.

Cette convention porte de très nombreux engagements. Il y est question de qualité du service public notarial, de qualité des normes du droit, d’action au service des territoires.

Bien qu’il ne me revienne pas d’énumérer l’ensemble de ces dispositions dans le cadre de ces propos, je souhaite cependant souligner une action, parmi d’autres, qui me paraît primordiale : il s’agit de l’engagement du notariat à participer activement aux permanences des professionnels du droit, permanences assurées dans des structures d’accès au droit, notamment les France Services, en partenariat avec les conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD).

Cette proposition ne représente certes que quelques lignes dans la convention, mais elle a, et aura, un impact fort auprès des Français, car elle est la manifestation concrète de la proximité à laquelle je crois profondément. Une proximité que recherchent nos concitoyens, à travers des conseils avisés et pertinents. 

Votre action est en effet le moyen indispensable de rapprocher les Françaises et les Français, en d’autres termes les justiciables, du droit, et plus précisément de l’institution judiciaire.

Vous participez ainsi à rassurer nos concitoyens qui, renseignés par vos conseils dans le cadre de ces permanences, seront mieux à même de faire des choix éclairés.

Soyez-en sincèrement remerciés. Je suis convaincu que c’est aussi à travers ce type d’actions que les notaires remplissent de façon pleine et entière la mission que leur confère leur statut d’officier public et ministériel. 

Bien évidemment, si la convention est déjà riche de perspectives, ce texte ne saurait freiner les initiatives de la profession ou des services de la Chancellerie qui ne seraient pas référencées dans ce document.

Comme vous l’avez rappelé, ce document est une œuvre collective puisqu’il est le fruit d’une écriture conjointe avec d’autres ministères.

Je me réjouis que ce soit en cette année si troublée pour le monde et pour la France, que nous scellions, par cette convention, une union vouée à faciliter nos échanges et la vie de nos concitoyens.

 

J’en viens maintenant au thème de votre congrès : la protection.

Cette protection a pris en 2020 un sens particulier au regard des préconisations sanitaires, qui ne font d’ailleurs que se renforcer.

En somme, les mesures sanitaires nous l’ont singulièrement rappelé, la protection est l’affaire de tous, quels que soient l’origine, la profession, ou l’âge.

Votre profession porte une part non négligeable de cette protection et je sais pouvoir compter sur votre expérience, votre expertise et votre professionnalisme pour que ce souci de l’autre, qui est une réalité dans vos offices, soit encore renforcé.

Je suis en effet convaincu que, dans ces temps troublés, la proximité avec le justiciable doit être plus étroite encore. Nous ne devons jamais oublier, moins encore aujourd’hui qu’hier, comme le disait Saint-Exupéry, que « si tu diffères de moi mon frère, loin de me léser tu m’enrichis. » 

Que cette proximité, cette exigence envers l’autre, cette protection que la profession notariale décline quotidiennement, soit le vecteur de ce congrès et irradie ensuite, dans une dynamique renouvelée, les 6 200 offices de France. 

Je vous remercie.