[Archives] Rapport sur la responsabilité environnementale

Publié le 17 septembre 2013

Discours de Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Merci pour la qualité du travail que vous avez fourni. J’ai commencé à parcourir le rapport. Il a suscité ma curiosité, donc je sais que dans les tout prochains jours je trouverai du temps pour l’étudier page par page, méticuleusement, d’autant que le cabinet m’en a fait un résumé qui montre à quel point vous avez fait un travail de rigueur, un travail approfondi. Votre présentation à l’instant a ajouté de la vitalité à ce travail en donnant du relief à vos interrogations, au champ que vous avez défini parce qu’une lettre de mission n’est jamais exhaustive, elle laisse toujours des interstices, elle ménage des espaces. Vous avez occupé ces espaces et vous avez donc suffisamment exploré les sujets essentiels qu’il fallait traiter.

Cela augure de notre capacité à faire patienter le Parlement. Vous savez que le Sénat, vous l’avez indiqué vous-même, a adopté un, une proposition de loi. Elle était insuffisante, incomplète, inachevée, forcément. J’avais dit très clairement au Sénat qu’il fallait nous faire confiance et attendre la présentation de vos travaux puisque j’ai annoncé l’installation de ce groupe de travail, j’ai assuré que vous remettriez votre rapport en septembre et que je pouvais déjà présumer qu’il serait d’excellente qualité.

Le Sénat a souhaité néanmoins adopter cette proposition de loi. Il n’y avait pas d’acrimonie. Il y avait d’une façon générale la reconnaissance qu’il y avait encore des points à préciser, à détailler, et d’autres sujets, même, à inclure. Simplement, ils ont tenu à marquer politiquement leur intérêt pour le sujet, et je pense que c’est une preuve aussi de l’utilité du travail que vous avez accompli, et surtout de la nécessité que ce soit bien des personnes qui aient cette capacité de réflexion, ce recul sur le sujet, qui puissent proposer la consistance d’un projet de loi puisque les sénateurs qui se sont exprimés ont admis que ce texte, leur texte, devrait être amélioré, et donc ont reconnu qu’il y avait un sujet à, qu’il y avait un travail à effectuer sur des sujets immédiats ou connexes.

Vous avez effectué ce travail, vous êtes allés assez loin, fait des propositions – oui, téméraires et audacieuses. Mais vous avez eu raison d’aller jusque-là parce que nous allons, avec le texte de loi relatif à ce préjudice écologique, nous allons changer un peu de culture. Nous allons changer de culture. Il faut donc des piliers. Il faut des fondations solides pour changer de culture. Et vous avez eu raison de considérer tous les aspects, aussi bien la question des modes, modalités, des modes et modalités de réparation ; la question des juridictions ou des magistrats spécialisés, en sachant que, bien entendu, que la question de la spécialisation, c’est la question de la technicité, de l’expertise, de l’excellence et aussi du risque de déconnexion avec le reste. Donc il faudra que nous veillions, si nous retenons cette proposition qui me paraît tout à fait fondée et réfléchie, que nous veillions à ce que nous n’ayons pas soit des juridictions, soit des magistrats qui ne sachent plus rien faire d’autre et qui ne se préoccupent guère de ce qui se fait d’autre sur le territoire. Nous avons souvent ces questions, soit de compétences concurrentes, soit de différenciation de jurisprudence. Il nous faudra être très attentifs à cela, c’est-à-dire créer les conditions de l’efficacité, de la performance, sans faire du droit sur l’environnement, de ce préjudice écologique, une espèce de matière du droit déconnectée de tout le reste, un objet seulement partiellement identifié ou secrètement traité.

Cette Haute Autorité que vous envisagez est une témérité aussi. D’ailleurs, en vous écoutant, Professeur, je me suis dit que le Premier ministre serait ravi d’entendre cette préoccupation sur la simplification et la réduction des structures et des instances, et surtout leur rationalisation en fait.

Tout cela prouve à quel point ce travail a été approfondi. Vous n’avez épargné aucun champ, aucun espace, aucun sujet, et je considère, enfin je préjuge déjà de concertations de très grande qualité. La question que nous allons aborder très prochainement, avec vous d’ailleurs, c’est comment nous allons conduire cette concertation. Je suis tout à fait disposée à vous y associer, mais je ne veux pas abuser de votre disponibilité. Nous pouvons imaginer une géométrie souple qui permettrait, selon les personnalités ou structures auditionnées, que vous soyez dans des configurations fragmentées pour participer à cette concertation. Mais pour moi, vous demeurez la matière grise, vivante, sur le sujet. Et personnellement, j’aurai fortement besoin, en plus évidemment de tout ce que j’aurai recueilli en m’imprégnant de votre rapport, j’aurai fortement besoin de cette valeur ajoutée que vous allez apporter du fait du travail, du fait de ce que vous avez vécu en échanges, en discussions, en interrogations, en arbitrages aussi probablement. J’en aurai besoin, et lorsque je dis « j’en », ce n’est pas personnellement évidemment, c’est au niveau de l’action publique, au niveau de l’action de l’État que nous avons encore besoin – si vous y consentez – que vous participiez à cette concertation.

Merci donc de l’avoir fait, d’avoir tenu les délais, d’être allés aussi loin de votre réflexion, de nous avoir proposé une réflexion aussi approfondie, aussi élaborée. Ça prouve que vous faites confiance aussi à l’État, à sa capacité à recueillir, à recevoir, à ingérer, à digérer, et à faire, à faire un bon usage du travail que vous avez accompli.

Cette maison vous demeure ouverte. Je le répète. Elle… Vous y venez quand vous voulez, en plénière si vous estimez qu’après la remise du rapport, après ce que je vous aurai fait remonter, entre des concertations, entre des séquences de concertation, si vous ressentez le besoin de vous réunir encore en configuration plénière, cette maison vous demeure, vous demeure ouverte, individuellement si vous souhaitez, soit avec le cabinet, soit avec l’administration, soit avec moi-même à l’occasion d’entretenir la relation. Nous en serons tous ravis.

Et merci encore. Il n’y a pas de moyen de rétribuer la qualité du travail que vous avez fourni, l’intelligence que vous y avez mise, les efforts que vous avez consentis, ce que vous avez construit aussi en tant que groupe, je présume, en peut-être découvrant certains d’entre vous, en découvrant quelques autres ; en travaillant ensemble ; en établissant une relation qui va peut-être se poursuivre sur ces sujets-là ou sur d’autres ; en découvrant des centres d’intérêt communs. J’aurai été d’une certaine façon une entremetteuse et ce sera pour moi comme le sentiment d’avoir donné un petit peu après en avoir tant reçu. Merci encore.