[Archives] Prison des Baumettes

Publié le 08 janvier 2013

Visite de Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Je suis venue à nouveau dans cet établissement des Baumettes, dans lequel j’étais passée rapidement, juste après le comité interministériel, convoqué par le Premier ministre, sur la situation de Marseille, puisque Marseille a connu une période très difficile, qui ne me semble pas d’ailleurs totalement close, et qui a attiré un regard sur elle, pour délinquance et criminalité, et de la violence, avec des actes qui défiaient à la fois l’Etat de droit et les services qui sont chargés de faire respecter cet Etat de droit. Le gouvernement a décidé de réagir, avec sévérité, avec fermeté, avec efficacité – avec un souci d’efficacité, puisque le Premier ministre a mis en place un comité interministériel, et que ce comité interministériel mobilise plusieurs ministères, plusieurs services de l’Etat, sous l’autorité directe du Premier ministre, avec une mobilisation du ministère de l’Intérieur, du ministère de la Justice, mais aussi du ministère de l’Économie et des Finances, du ministère de l’Éducation nationale, du ministère de la Santé, et de quelques-uns et quelques autres de nos collègues. Mais nous savons que ce travail doit pouvoir se relayer sur le terrain, et nous savons à quel point le travail effectué par les collectivités, qu’il s’agisse de la Région ou des Départements, ainsi que des mairies, est très important, et qu’il doit être articulé. Je vous ai présenté mes vœux personnels, je dois maintenant vous présenter les vœux collectifs, nos vœux à nous pour ce service public de la Justice, auquel nous sommes tous très attachés, et que nous faisons vivre au quotidien. Ce service public de la justice connaît tous les jours des situations particulières, parfois tendues, et puis des incidents. Il y en a, vous le savez, à Villepinte, hier, contre un membre de l’équipe soignante. Des personnels pénitentiaires, qu’il s’agisse des surveillants, la plupart du temps, parfois des officiers, des directeurs, sont quelquefois exposés à des agressions. Il n’est pas normal que, dans ces établissements, qui sont des lieux de vie, sous contrainte en plus, il y ait des incidents ; il n’est pas normal que surviennent des incidents graves, il n’est pas normal non plus que nous connaissions cette fréquence d’incidents. J’y suis extrêmement attentive, et d’une façon générale, je prends contact avec les directeurs d’établissement et avec les personnels qui se retrouvent directement agressés, parce que c’est pour moi l’occasion d’exprimer l’estime que nous avons, que le gouvernement porte au travail difficile qui incombe à ces personnels au quotidien ; d’exprimer personnellement ma reconnaissance de la qualité de ce travail, et dire à quel point nous sommes sensibles au courage avec lequel ils l’exercent.

Je le disais, donc, Marseille, et les Baumettes en particulier, ont été exposées à une attention particulière, une attention médiatique, notamment suite au rapport du contrôleur général des prisons, des lieux privatifs de liberté, mais pas seulement à cette occasion. La Justice aussi a été saisie, et des jugements ont déjà été prononcés. Il est bien que la situation de nos établissements soit connue, soit prise en compte et soit appréciée, au sens où on prend exactement la mesure de ce que sont les choses, que ce soit par le rapport du contrôleur général, que ce soit par les procédures judiciaires, que le grand public en France et dans les Outre-mer, que le grand public ait connaissance de la situation de nos établissements pénitentiaires et de la réalité des conditions de travail de ceux qui interviennent au quotidien dans ces établissements. Nous avons des établissements dans un état de grande vétusté, de grande indignité, et, ce qui est surprenant, c’est qu’il semblait assez difficile de faire entendre la nécessité de réfléchir sérieusement aux conditions de détention dans ce pays, et surtout au sens de la peine. J’ai trouvé un texte dont je veux vous donner partiellement lecture, et je vous dirai après l’avoir lu de quand il date. (Dès que j’aurai remis la main dessus… Merci.) C’est un texte qui a été écrit par Georges ARNAUD. Les personnes qui ont de la culture ici savent que Georges ARNAUD est le pseudonyme d’Henri GERARD, un homme de très, très grande qualité, un écrivain, et qui a écrit de très belles choses, notamment Le Salaire de la peur, qui a été monté en film par Henri-Georges CLOUZOT, grand réalisateur, c’était en 1953. Et Georges ARNAUD écrit donc dans Prisons III :

« En vigueur aujourd’hui, la loi de 1891 constitue un premier pas vers l’abandon de la courte peine. On estime aujourd’hui que ces dispositions sont dépassées, et un congrès est à l’étude, qui introduirait en France le système anglo-saxon de la probation. L’application de la peine dans ce domaine n’est plus subordonnée à l’observation par le condamné d’une simple période de sagesse. Un délai est accordé au juge avant qu’il décide en définitive du sort du délinquant. Pendant ce temps, l’homme est pris en main par un fonctionnaire spécialisé, choisi hors des cadres de la police, et dont le rôle est non seulement d’observer le sujet, mais de l’épauler amicalement, de le diriger, de le faire rentrer dans la bonne voie. »

C’est-à-dire que sur la base de ce texte de 1891, la question de la courte peine est déjà posée. La question de la probation est déjà posée, nous avons fait des progrès, puisque nous avons promu la probation, même si ce n’est pas exactement le même dispositif. Celle de ce qu’on appelle ici la césure du procès pénal, c’est-à-dire un procès en deux temps, un procès qui reconnaît la culpabilité, et un deuxième temps qui décide de la sanction, avec entre les deux justement l’intervention de ces conseillers d’insertion et de probation que nous avons créés ici en 1998. Tous ces sujets sont posés, dans cette loi de 1891, parce la société française s’interrogeait sur la relative efficacité, sinon l’inefficacité de la courte peine. Il serait quand même extraordinaire qu’aujourd’hui, nous soyons incapables d’accepter de mobiliser la société sur une réflexion concernant la courte peine et ses effets, notamment ses effets désocialisant. Ce texte, et cette très belle analyse de Georges ARNAUD, nous permet de comprendre que la conférence de consensus, qui va se tenir les 14 et 15 février, va traiter de sujets qui ont été abordés à la fin du XIXe siècle.

La situation de nos établissements pénitentiaires, situation assez connue, en tout cas pour les personnes qui s’intéressent à ce sujet depuis plusieurs années, a pu aussi être connue épisodiquement par l’ensemble de la population grâce à des reportages, écrits ou télévisuels. Cette situation, j’en ai eu connaissance assez rapidement, dès mon arrivée, au moment où je me mets à élaborer mon budget, qui doit être en plus, vous le savez, un budget triennal. J’ai donc été conduite à m’interroger sur les décisions que je pouvais prendre sur l’immobilier pénitentiaire en particulier, et aussi sur la question des effectifs des personnels dans le milieu pénitentiaire. Les questions qui se posaient à moi, très vite, puisqu’il fallait présenter ce projet de budget et le défendre pendant l’été, les questions qui se posaient à moi concernant l’immobilier pénitentiaire était de savoir comment j’allais montrer, à partir de projets, indiquer, ou signaler, et regarder la réalité de ces projets, par rapport à la politique pénitentiaire que j’entendais mettre en place, et que je vais exposer en quelques lignes.

Les problèmes de l’immobilier pénitentiaire peuvent se classer en plusieurs catégories. Il fallait faire le tri entre l’immobilier pénitentiaire annoncé et financé, budgété ; l’immobilier pénitentiaire annoncé, pas budgété, et qui pouvait déjà avoir fait l’objet d’études préliminaires ; et l’immobilier pénitentiaire annoncé, non budgété, et n’ayant fait l’objet d’aucune étude, mais cependant, ayant fait l’objet de courriers, adressés notamment à des parlementaires, qui reçoivent abondamment, depuis le mois de juillet, des courriers où il leur est affirmé qu’un établissement sera construit dans leur circonscription, de 300 places, de 400 places, de 700 places, sans que, ayant interrogé, mobilisé la PIJE, notre agence immobilière pénitentiaire, le secrétariat général du ministère de la Justice, on n’en trouve aucune trace, aucune, même pas un début de début d’étude sur ces projets. Nous avons eu le droit pendant l’été à des querelles sur des amendements de projets. C’étaient à 95% des projets non budgétés, n’ayant fait l’objet d’aucune étude, et pour la plupart étant contenu dans une loi de programmation qui a été adoptée en avril 2012. J’ai pour ma part décidé, d’abord, de fixer très clairement, ouvertement, publiquement, le nombre de places qu’il me paraît nécessaire d’atteindre sur le quinquennat : un peu plus de 63 000 places. Ensuite, de regarder, sur les projets qui existaient, leur mode de financement, et je ne cache pas avoir de réelles réticences sur les financements en partenariat public/privé, mais de considérer que sur les projets suffisamment engagés, parce que parfois le chantier lui-même était déjà ouvert, ou parce que la procédure était suffisamment avancée pour qu’un dédit de l’Etat ne fût pas intéressant pour les finances publiques, et par nécessité, c’est-à-dire l’urgence de fermer des établissements vétustes, très vétustes, de grande indignité, sur la base de ces critères, j’ai donc retenu d’une part un nombre d’établissements à construire, dans ce qu’on appelle des constructions fermeture-ouverture, c’est-à-dire avec en contrepartie la fermeture d’établissements vétustes, ensuite un programme de rénovation, notamment sur de grands établissements tels que la Santé, qui sera rénovée en partenariat public/privé, les Baumettes, qui sera rénovée en maîtrise d’ouvrage public, et Fleury-Mérogis, rénovée en maîtrise d’ouvrage public. Je parle au futur pour la livraison des travaux, mais tous ces chantiers sont déjà engagés. Et pour la rénovation de nos établissements, qui pendant des années ont été négligés, y compris les Baumettes qui pendant des années ont été négligées parce qu’on a fait croire qu’on allait construire très vite, pour les autres établissements, j’ai défendu et obtenu une augmentation de 20% du budget de rénovation, parce qu’il est important d’entretenir notre parc pénitentiaire.

Trois axes donc, un axe de construction pour la fermeture d’établissements vétustes, un axe de construction pour l’augmentation du nombre de place, en rappelant nos engagements européens sur l’enseignement individuel, un axe de rénovation sur ces trois grands bâtiments, avec un budget total de 800 millions d’euros, et un axe de rénovation sur l’ensemble de nos établissements pénitentiaires, avec, je le disais, augmentation du budget. Parce qu’il est important que la politique pénitentiaire soit claire, en vous précisant dès maintenant que la politique pénitentiaire dépend de la politique pénale. Je vais revenir tout à l’heure sur la politique pénale, illustrée par la circulaire de politique pénale diffusée aux parquets généraux et aux parquets, en décembre 2012. Pour les Baumettes, dès l’été, dès le début de cette nouvelle législature, j’ai pris des mesures, parce que la situation est connue, parce qu’elle est remontée par l’administration pénitentiaire, et c’est dès le mois de juillet que 650 000 euros ont été attribués, affectés à cet établissement, et ce sont ces 650 000 euros qui ont permis de commencer le programme de rénovation de trois cellules par jour. Depuis, un complément a été apporté à ce budget, illustrant l’importance qui est accordée à la nécessité de procéder à des travaux d’urgence, avec le regret que la détérioration que l’on a laissée s’aggraver sur cet établissement coûte aux finances publiques, parce que les travaux à effectuer sont plus importants que ceux qu’aurait suscités une maintenance normale. Il faut répondre dans l’immédiat aux nécessités, aux urgences. On ne fait pas une politique avec de la réaction ; il faut penser une politique pénitentiaire. Et cette politique qui doit être pensée doit être pensée au moment où nous nous trouvons.

Évidemment, ce clin d’œil de 1891 est intéressant. Une réflexion de qualité a déjà été conduite. Nous savons qu’il existe des rapports parlementaires. Ils ont fait état de la situation de nos établissements pénitentiaires. Je parle des rapports parlementaires. J’aurais pu évoquer les rapports européens. Certains ont été impitoyables dans l’analyse et le jugement qu’ils portaient sur la façon dont l’Etat traitait ses prisons. Nous avons eu un rapport parlementaire. En 2000-2001, nous avons eu un projet de loi pénitentiaire. Surtout, nous avons eu la loi pénitentiaire de 2009. Nous sommes à ce moment-là !

Aujourd’hui, comment concevons-nous la prison dans la République ? Comment concevons-nous ces établissements ? Ils doivent recevoir une population contenue et enfermée. Nous devons nous imposer une exigence de dignité et d’efficacité. Les prisons de la République doivent ressembler à la République. Elles doivent respecter les valeurs de la dignité. Tout ce qui relève de la République, tout ce qui relève de l’Etat, doit demeurer digne. La réponse publique, apportée à la situation, doit être digne. Elle doit respecter les personnes détenues et les personnes qui y travaillent. Le souci de l’efficacité est important. La prison ne doit pas générer de l’insécurité. Aujourd’hui, l’incarcération, notamment sur les courtes peines, génère de l’insécurité. Les chiffres le montrent. Les facteurs de récidive sont aggravés. L’efficacité suppose que l’incarcération génère de la sécurité. La notion de respect est essentielle. Le temps d’incarcération doit permettre à la personne détenue de s’acquitter de sa dette vis-à-vis de la société, de réparer les effets de son acte sur les éventuelles victimes, de se réparer elle-même et de se préparer à la sortie. La prison de la République doit respecter ces valeurs. La responsabilité de l’Etat consiste à mettre en place les moyens qui permettront de respecter ces valeurs.

Finalement, en France, ma vision des prisons est résumée dans l’article premier de la loi pénitentiaire, et même dans l’article 2. Nous retrouvons un croisement avec l’article premier de la loi canadienne sur la correctionnelle. Ces deux articles disent très clairement que l’incarcération doit permettre à un détenu de s’acquitter de sa dette vis-à-vis de la société, de s’acquitter de sa dette vis-à-vis d’éventuelles victimes. Le détenu devra se réinsérer. Nous devons veiller aux conditions dans lesquelles il se prépare à la sortie. Cessons d’accepter de croire que les personnes détenues sont des définitivement perdues pour la société ! Cessons de faire semblant de croire que les personnes détenues seront, à vie, derrière des murs ! Nous devons faire en sorte que ces personnes reviennent dans la société dans les meilleures conditions.

La question pénitentiaire est une question troublante. Elle génère des passions contradictoires dans la société. Des questions majeures sont posées. Nous devons nous interroger par rapport à la période dans laquelle nous vivons. Ces dernières années, nous avons bien vu émerger un certain nombre de sujets carcéraux. Les métiers ont évolué. De nouvelles responsabilités assez lourdes sont apparues. Elles ont pesé sur l’évolution de ces métiers, surtout sur le ressenti, le vécu, la façon dont ces personnels vivent ces évolution.

Par exemple, des équipes de sécurité ont été créées en 2003. Elles assurent la sécurité à l’intérieur des établissements. Nous avons moins d’une dizaine d’années d’expérience. Les agents doivent demeurer une dizaine d’années, au plus, dans ces équipes. Nous allons évaluer le travail de ces équipes. Leur travail semble tout à fait satisfaisant. En tout cas, nous avons bien vu que dans toutes les circonstances où elles sont intervenues, les choses se sont passées correctement. De plus en plus, des surveillants interviennent dans les services de probation et d’insertion, notamment pour les placements des bracelets électroniques. Une relation s’est nouée entre les surveillants et le SPIP. Cette relation interroge les deux métiers. En tout cas, ces personnels interrogent l’administration sur le fonctionnement de leur métier.

Les SPIP ont été créés en 1998. Ces services sont encore jeunes. Ils ont des expériences assez diversifiées. J’ai eu des échanges avec leurs responsables. Ils sont d’accord pour mutualiser les expériences. Nous allons mettre en place un dispositif pour favoriser les rencontres, le croisement des expériences et des évaluations communes. Ces métiers d’accompagnement s’apparentent à des métiers sociaux. Les personnels sont de plus en plus engagés dans des métiers nécessitant le contrôle et une participation à la décision. L’évolution de ces métiers autorise ceux qui les pratiquent à s’interroger. Il appartient aux pouvoirs publics d’apporter des réponses. Je mets en place des groupes de travail pour contribuer à la définition de ces métiers.

Puis, un sujet est récent. Il est extrêmement lourd. Ce sujet est un héritage de la précédente législature. Il est un apport inachevé entre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice. Il concerne les extractions judiciaires. L’administration pénitentiaire effectue déjà des extractions judiciaires. Elle les effectuait avant cet accord. Depuis cet accord, il est question du transfert des extractions judiciaires du ministère de l’Intérieur au ministère de la Justice. Ce transfert a déjà commencé. D’ailleurs, son évaluation a commencé. Le rapport de l’IGAS et de l’IGSJ a été remis. En dehors des questions assez lourdes des effectifs, des questions sont liées à l’organisation du travail, à la spécialisation des personnels. Ces questions majeures relèvent de la responsabilité de l’Etat. Quelles transformations souhaitons-nous mettre en place pour une partie des personnels pénitentiaires ?

À partir du moment où les personnels pénitentiaires devront systématiquement assurer des extractions judiciaires, ils seront confrontés à toutes les situations possibles, y compris à des situations de danger sur la voie publique. La question est de savoir dans quelles conditions, comment, selon quelles modalités, ces personnels, en situation de danger sur la voie publique, pourront réagir. En clair, ces personnels pourront-ils, selon leur appréciation du danger, utiliser leurs armes ? Cette question est majeure dans une démocratie. Ce n’est pas une question banale. Ce n’est pas juste une question d’effectifs. Le débat a commencé sur un transfert mal apprécié, sous-estimé par le ministère de l’Intérieur. Ce dernier avait considéré qu’il fallait tant d’ETP. Le débat a commencé ainsi, mais le débat de fond est le suivant. Aujourd’hui, hormis les deux forces de l’ordre public dont nous disposons, la police et la gendarmerie, devons-nous partiellement créer une troisième force d’ordre public ? Je souhaite entendre les personnels sur cette question. Je n’entends pas, moi, en tant que ministre, participante de l’exécutif, responsable politique, éluder une question aussi majeure pour une démocratie. La question des extractions judiciaires est une question de fond. J’espère que les personnels pénitentiaires contribueront à éclairer les profils et les périmètres des missions que nous pourrons concevoir.

Je le disais, ces métiers ont évolué. Il existe incontestablement un malaise parmi les personnels pénitentiaires. Le malaise touche les directeurs, les officiers et les surveillants. Bien entendu, ce malaise est lié d’une façon générale à un manque de considération et aux paroles publiques qui ont été portées. Certaines discréditent et disqualifient le travail effectué par ces personnels. Ces malaises sont aussi liés à la situation dégradée de nos établissements. Cette situation pèse sur les épaules du personnel qui a la responsabilité, par défaut de l’Etat, d’assurer le fonctionnement normal de ces établissements pénitentiaires. Ces personnels sont amenés à gérer ces établissements, à créer du lien, à faire face au manque d’activité. Des règles de droit élaborées par les législateurs ne sont pas appliquées. L’administration n’a pas les moyens de les appliquer. Les personnels se retrouvent en porte-à-faux. Des règles ont été élaborées mais elles ne sont pas applicables. De son côté, un détenu est en droit de considérer que ses droits doivent être respectés.

L’Etat doit prendre ses responsabilités. J’ai demandé à l’administration pénitentiaire de mettre en place un groupe de travail. Nous devons travailler avec les représentants des personnels. Nous devons aborder ces questions délicates et difficiles. Par exemple, je pense à l’application de l’article 57 relatif aux fouilles. Tous les établissements ne disposent pas de dispositifs de contrôle électronique. Je sais que la question des miradors est aussi une question régulièrement soulevée par certaines catégories de personnels. Nous devons traiter ces questions. Nous devons avoir le courage politique d’apporter des réponses claires. Monsieur le Directeur, je crois que vous me remettrez un rapport sur ces sujets, à la fin de ce mois de janvier.

Ce malaise vécu par ces personnels a ses sources. Il a ses raisons d’être. Des progrès ont été réalisés dans les conditions de détention. Je sais que vous l’entendez. Il arrive que vous finissiez ma phrase lorsque je la commence. Ces progrès ont aussi amélioré vos conditions de travail. Au-delà, plus nous ferons de nos prisons des prisons républicaines, plus nous accentuerons votre autorité, plus nous consoliderons votre légitimité. Les progrès, qui ont été réalisés ces dernières années, ont été encouragés par la loi, par la mobilisation de la société civile, par la création d’une institution indépendante, celle du contrôleur général des lieux de privation des libertés, par la mobilisation d’associations diverses, dont la plus connue est l’OIP, par la saisine de nos juridictions, y compris directement par les détenus. Ces mesures ont amélioré les conditions de détention et, par voie de conséquence, les conditions de travail des personnels.

Tout cela s’est fait à travers quelques étapes. Je rappelle la loi de 2000 dite ‘‘loi Guigou’’ sur la présomption d’innocence et la protection des victimes. Je rappelle la création des SPIP en 1998, dont j’ai parlé précédemment. L’intervention juridictionnelle est de plus en plus forte. D’ailleurs, les personnels pénitentiaires m’ont fait savoir qu’ils se sentaient parfois dépossédés de leur contribution. Ils appréciaient la situation des détenus et leur profil. Au niveau des réponses apportées en matière d’aménagement des peines, d’accès à la semi-liberté ou à la liberté conditionnelle, ils avaient un rôle. Nous devons y réfléchir. La connaissance que ces personnels ont des détenus ne peut pas être tenue à l’écart. Que nos juridictions puissent intervenir de plus en plus pour fixer le sort des détenus est incontestablement un progrès. Cette institution indépendante du contrôle général des lieux de privation des libertés a été créée en 2008.

Concernant les surveillants, une question majeure consiste à faire la part entre les milieux fermés et les milieux ouverts. Les conseillers d’insertion et de probation ont un rôle à jouer. Ils se posent eux-mêmes un certain nombre de questions. Ils sont parfois dans le doute. Ils ont des interrogations concernant la place des associations dans l’intervention de la société civile auprès de certains publics. Toutes ces questions sont sur la table. Nous allons commencer à les aborder. Avant la fin du premier semestre 2013, nous apporterons des réponses.

En ce qui me concerne, je veux vous dire très clairement quelle est ma conception de la prison de la République. La prison républicaine est une prison fondée sur le droit et sur les droits. Il faut une prison irriguée par une réflexion de qualité sur les questions immobilières, sur les questions relatives aux personnels et sur les questions relatives aux usagers. Le respect du droit interne est important. Le respect des droits a progressé de façon significative sous l’impulsion européenne, et notamment des règles pénitentiaires européennes. Depuis 2008, l’administration pénitentiaire s’est engagée dans un processus de labellisation de nos établissements. Nous devons labelliser quelques établissements. Certains ont fait preuve d’une grande innovation et créativité. Ils ont organisé l’accueil du détenu. Les règles pénitentiaires européennes sont un vrai progrès. Je me réjouis que la présidente du jury indépendant pour l’organisation de la conférence de consensus, qui a été mise en place par le comité d’organisation indépendant de cette conférence, vienne de la Cour européenne. Je m’en réjouis car les règles pénitentiaires européennes nous ont tirés vers le haut, ces dernières années. Ces règles concernent des domaines différents. Elles concernent les droits fondamentaux, le régime de la détention, la santé, les questions d’ordre et de sécurité, les contrôles, les inspections. Les règles européennes nous obligent à progresser à un rythme supérieur à celui que nous aurions accompli. Dans notre pays, nous entretenons des relations un peu ambivalentes avec les régimes de détention.  

Concernant l’immobilier, je vous parlais des projets que j’ai trouvés dans les cartons. Depuis plusieurs années, force est de constater qu’aucune réflexion n’est menée ni sur l’architecture carcérale ni sur la fonctionnalité carcérale. D’une façon générale, l’architecture des établissements pénitentiaires est conçue, pensée, sans l’association des personnels. Pourtant, ils vivent et travaillent dans ces établissements. Les architectes et les bureaux d’études devraient profiter de la connaissance interne des personnels. Ces derniers connaissent le fonctionnement des établissements. Ils savent quelle est l’organisation de la journée des détenus. Ils connaissent les diverses activités des détenus et les conditions dans lesquelles ce lieu fermé peut être moins anxiogène. La vie doit se dérouler dans les prisons. La vie sociale prépare la sortie des détenus. Je me suis engagée à mener une réflexion de fond sur l’architecture carcérale et sur la fonctionnalité des établissements.

Nous avons des établissements récents. Ils tranchent considérablement. Ils sont très éloignés de nos établissements extrêmement vétustes. Il y existe une espèce de froideur, d’impersonnalité et d’ambiance. J’en ai visité plusieurs. Je ressens cela. Il m’est arrivé de comprendre – mais j’essaie de m’en défendre moi-même, j’ai très peur de ce qui peut exister derrière cette compréhension –, il m’est arrivé de comprendre les propos de certains détenus. Nous nous battons pour développer les cellules individuelles. Or, certains détenus préfèrent rester dans un établissement vétuste plutôt que d’aller dans un établissement neuf et moderne. C’est fugace. Je chasse… Je ne veux pas ce qu’il y a derrière. Il m’est arrivé d’entendre et de comprendre. Dans certains vieux établissements, on éprouve moins cette froideur et cette distance. Nous devons faire des progrès sérieux en matière d’immobilier.

Je parlais de l’importance de la relation avec les usagers. Il est important que nos établissements demeurent relativement accessibles. Nous devons cesser de construire des établissements hors de portée des familles, en dehors de tout, sans transports en commun. À réduire, voire totalement supprimer les visites, nous compliquons la vie à l’intérieur de l’établissement. Les détenus peuvent déprimer. Nos personnels sont formés. Ils savent détecter les risques de suicide. Ils sont souvent capables d’alerter à temps. Ils nous préservent des suicides. Nous avons un nombre très important de tentatives de suicide. Le nombre de suicides effectués a tendance à diminuer.

Ces questions d’immobilier et ces questions de droits fondamentaux sont prises en charge par le ministère. Elles font déjà l’objet de groupe de travail sous l’autorité de l’administration pénitentiaire. Les parties, qui ont une dimension juridictionnelle, sont sous l’autorité de la direction des services judiciaires. J’entends mettre en place un Conseil national de l’exécution des peines. Il sera ouvert sur la société civile. J’envisage deux réunions par an. Je réserve la possibilité d’une réunion ponctuelle, si nécessaire. Je réserve la possibilité d’un découplage et d’un travail en commission. Ce Conseil national de l’exécution des peines réfléchira aux conditions pénitentiaires mais aussi à l’exécution des peines. Ce Conseil sera mis en place sous peu. J’ai déjà sollicité la société civile organisée. Comme nous l’avons fait dans le cadre du comité d’organisation de la conférence de consensus, nous devons additionner et mutualiser les profils différents, les parcours différents, les sensibilités différentes et les cultures professionnelles différentes. Ainsi, nous aurons un échantillon représentatif de la société. Nous pourrons produire une réflexion de qualité sur l’immobilier pénitentiaire et sur l’exécution des peines. La composition de ce Conseil national vous sera communiquée d’ici une quinzaine de jours. Actuellement, il est en constitution. Ce Conseil travaillera en transparence. Les progrès, que nous effectuerons, devront être connus de la société. Prochainement, je présenterai un projet de loi. Dans des conditions qui seront précisées, la presse pourra accompagner les parlementaires à l’occasion de visites dans les établissements pénitentiaires. Nous allons prendre cette disposition. La société doit très clairement savoir comment sont nos prisons, comment vivent nos prisons, comment nous travaillons dans nos prisons, comment l’État assume ses responsabilités et met ses actes en conformité avec ses options.

Prochainement, je vais faire un certain nombre d’annonces sur des décisions que j’ai prises très récemment ou que je prendrai dans les prochains jours. Certaines consultations vont concerner des établissements. Ce que j’ai tracé concerne l’ensemble du territoire de la République (la France métropolitaine et l’Outre-mer). J’annoncerai des décisions sur les établissements de l’Est de la France et de l’Outre-mer. Par exemple, je pense à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie. J’apporterai des précisions.

Pour conclure, je vous remercie pour la qualité de votre écoute. Je vous remercie pour l’attention que vous m’avez accordée. Je tenais symboliquement à m’exprimer ici, aux Baumettes. Je dis très clairement aux personnels de cet établissement pénitentiaire que nous respectons leur travail. Nous reconnaissons la valeur de leur métier. Nous avons conscience de la difficulté d’exercer ces métiers. Même s’il est arrivé que certains membres des personnels adoptent des attitudes contraires à la loi, nous savons que la très grande majorité des personnels sont respectueux de la loi. Ils font leur travail. Ils portent sur leurs épaules le service public. Ils compensent ses défaillances. Ils prennent sur eux pour établir du lien et faire en sorte que ces conditions insupportables finissent par être supportées par ceux qui les affrontent tous les jours.

Des débats ont eu lieu. Ils se sont traduits par cette loi de 1891. Ils ont montré à quel point les gens de ce temps-là réfléchissaient au moins aussi bien que nous. Ils ont eu du courage politique pour poser très clairement la question de la courte peine. Ils ont très clairement posé la question du sens de la probation. Nous ferons une probation encore plus moderne. Les travaux du Comité d’organisation de la conférence de consensus ont été très riches. Je suis très optimiste quant aux résultats de cette conférence. Je sais que nous ferons un beau régime, efficace, générant de la sécurité dans le pays. Ces gens ont eu le courage de poser ce que nous essayons de poser, pour l’instant, au niveau des mineurs. Nous pouvons nous adosser à l’ordonnance de 1945, assez maltraitée, je dois en convenir. Nous allons réorganiser sa cohérence. Nous pouvons nous y adosser pour considérer la spécialité des mineurs. Pour les mineurs, nous osons, avec une audace extraordinaire, envisager la césure du procès pénal. En 1891, ils l’avaient envisagée. Ils l’ont écrite dans la loi. Il existe un temps relatif à la décision de la culpabilité et un temps pour décider de la sanction.

Pour terminer, j’ai décidé de retenir un extrait de l’intervention de 2000 de Robert BADINTER, éminent Garde des Sceaux, très grande et belle figure humaniste. Il disait ceci : « Peut-être les sensibilités ont-elles évolué comme elles ont évolué dans bien des domaines, comme, par exemple, la vision que l’opinion a des homosexuels. Peut-être parviendrons-nous à une évolution similaire s’agissant des détenus. Indépendamment de cette fenêtre dans l’opinion, un consensus politique est nécessaire à la réforme. Dès lors que la prison est objet de passion politique, comme je l’ai vécu, le progrès devient plus difficile encore. Ce thème est alors plus facile à exploiter d’une manière démagogique, en allant dans le sens de ce que pense une partie de l’opinion publique. Regardez le ministre des Détenus ! Le ministre des Assassins ! L’accusation de laxisme est une arme politique. Il faut s’en défier absolument. À cet égard, nous traversons une période plus pacifique et où la prise de conscience est faite. Je pense que ce phénomène est lié aux alternances successives. Elles ont montré que le problème était récurrent, de Garde des Sceaux en Garde des Sceaux, de gouvernement en gouvernement. Le problème est un problème structurel de la société française et doit être traité comme tel. » Je trouve que nous avons matière à une très belle et très grande méditation.

Je vous remercie à nouveau pour votre écoute. Je vous souhaite une très belle année 2013.