[Archives] Déplacement en Jordanie : Institut judiciaire de Jordanie - Amman

Publié le 28 avril 2010

Discours de Mme Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

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Monsieur le Ministre,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs,

On ne devient pas magistrat par hasard. Je le dis souvent aux magistrats français, je le dis aujourd’hui aux futurs magistrats jordaniens.

C’est une vocation. Elle suppose des qualités de probité, d’impartialité et d’indépendance.  Elle exige un attachement profond aux valeurs qui fondent l’unité d’un pays.

En réglant les litiges entre les personnes, entre les institutions, les magistrats contribuent à  la paix civile, à la cohésion de la Nation. En affirmant l’autorité de la loi, en garantissant son égale application sur le territoire, ils consolident la volonté de chacun de participer à un destin commun, autour de règles et de principes partagés.

Mesdames et Messieurs,

 

La justice doit pouvoir compter sur des juges conscients de leurs responsabilités, fermes et justes dans leurs décisions, fiers de leur mission et de leurs valeurs.

La justice a aussi besoin de juges ouverts aux évolutions de la société, attentifs aux mutations de la norme juridique, lucides sur les enjeux de l’internationalisation du droit. Mobilité croissante des personnes et des capitaux, développement des échanges commerciaux internationaux, multiplication des conventions internationales bousculent nos habitudes, nos règles, nos traditions, notre environnement juridique, et soulèvent des questions inédites.

Comment répondre aux enjeux de la finance internationale, alors que la crise économique et financière a montré les insuffisances de la common law ? Comment garantir une application cohérente du droit de la famille, alors que se développent les mariages binationaux, que des enfants jordaniens naissent en France et que des enfants français naissent en Jordanie ? Comment protéger nos sociétés à l’heure du terrorisme, de la cybercriminalité et de la criminalité transfrontalière ? Ces questions ne peuvent rester sans réponse.

C’est pourquoi, Monsieur le Ministre, à l’heure où la justice jordanienne s’engage dans une modernisation sans précédent, je tiens à saluer votre détermination et votre hauteur de vue sur l’ensemble de ces questions.

L’internationalisation du droit nous oblige à voir loin. Dans un monde plus complexe, plus opaque, elle nous oblige à maîtriser l’évolution des normes. Face aux risques de l’hégémonisme juridique et de l’uniformisation du droit, elle nous invite à favoriser le dialogue entre les modèles juridiques.

 

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Trop instable, trop complexe, ou au contraire trop rigide ou incomplète, la règle de droit court le risque de manquer à son objectif de régulation de la société. Le droit doit à la fois garantir la sécurité juridique et s’adapter aux réalités du monde contemporain.

Le droit doit garantir la sécurité juridique.

La paix des relations sociales implique des règles claires et connues de tous. Elles fixent ce qui est permis et ce qui est interdit. Elles déterminent les sanctions en cas de manquements, les procédures en cas de conflits. Elles protègent ainsi le citoyen contre le risque d’arbitraire.

L’accessibilité est garantie par un droit écrit, publié, codifié. La norme doit être claire et intelligible pour tous. Le Conseil Constitutionnel français n’hésite pas à censurer une loi dès lors qu’elle manque à l’exigence constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme. Comme Ministre de la Justice, je pense qu’il faut aller encore plus loin. Je veux exiger que même un non-juriste soit à même d’en comprendre le sens.

La sécurité des relations sociales suppose la stabilité des normes. La stabilité des normes favorise aussi la sécurité des transactions économiques.

La sécurité des actes juridiques les plus importants est renforcée par le formalisme.

L’acte authentique contribue à la confiance. Les notaires garantissent ainsi la fiabilité des contrats, testaments, donations. Ils inspirent un nombre croissant d’Etats, bien au-delà des pays de droit continental.

Dans quelques semaines, la France va créer un acte d’une autre nature que l’acte authentique. L’acte contresigné par un avocat renforcera la sécurité juridique des actes quotidiens, dans le respect des spécificités des professions du droit.

La sécurité juridique doit aller pair avec une réelle souplesse de la norme juridique.

Certes, la Déclaration des Droits de l’Homme date de 1789. Elle est toujours en vigueur. Le Code Civil n’a guère évolué, dans ses principes, depuis 1804. Il en va de même pour le code pénal. Leur pérennité protège nos sociétés des chocs souvent déroutants, parfois brutaux, de la modernité.

Pour autant, la sécurité attachée à la norme ne signifie pas son incapacité à s’adapter en fonction de l’évolution de la société et des technologies.

Le droit pénal s’adapte aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité, terrorisme, cybercriminalité, crime organisé, dans le respect d’un juste équilibre entre sécurité et liberté.

Le droit français, comme tout le droit continental, s’est ouvert à la mondialisation. Les traités internationaux et le droit issu de l’Union Européenne sont aujourd’hui deux sources fondamentales du droit.

Parallèlement, une place importante est faite aux nouvelles technologies dans la mise en œuvre du droit des contrats, dans la publication des actes officiels, dans le droit de la propriété intellectuelle.

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Mesdames et Messieurs,

Droit romano-civiliste, droit islamique, droit anglo-saxon, le droit jordanien est au carrefour de traditions juridiques diverses. C’est un atout inestimable.

A l’heure où la Justice jordanienne évolue, se transforme, se modernise, je crois indispensable de favoriser le dialogue entre nos modèles juridiques. C’est pourquoi je souhaite que puissent être consolidés les cadres de la coopération entre la France et la Jordanie : coopération bilatérale, coopération multilatérale.

Coopération bilatérale.

Rien ne saurait remplacer une connaissance du droit acquise sur le terrain, auprès des professionnels du droit. C’est pourquoi je souhaite renforcer les formations communes et les échanges entre magistrats de nos deux Etats.

Dans le cadre de leur formation et du déroulement de leurs carrières, j’ai souhaité que les magistrats français aient l’obligation de passer une partie du temps à l’étranger. J’aimerais que certains puissent travailler ici, avec des magistrats jordaniens.

De même, je souhaiterais que des magistrats jordaniens puissent venir en France, aussi bien à l’Ecole nationale de la Magistrature que sur le terrain. Il existe d’ores et déjà une coopération entre l’Institut Judiciaire de Jordanie et l’Ecole Nationale de la Magistrature. Elle a été renouvelée en mars 2008, à l’occasion de votre visite en France, Monsieur le Ministre. Je souhaite qu’elle puisse servir de base à un renforcement des échanges entre les magistrats.

Coopération multilatérale.

L’Union pour la Méditerranée est un nouveau cadre d’échanges et de dialogue pour la France, la Jordanie et l’ensemble des pays membres. Il nous revient de donner au droit toute la place qui lui revient au sein de nos sociétés, notamment au service de la croissance et du dynamisme de nos économies.

Cela passe par davantage de formations et d’échanges. Une fondation méditerranéenne pour la Justice et pour le droit peut permettre de déterminer un vaste programme d’échanges entre les professionnels du droit, sur les thèmes intéressant l’ensemble des Etats participant à l’Union.

 

Cela passe par un accroissement de la sécurité et de la protection juridiques des contrats et sociétés : promotion de formes sociales souples et efficaces, meilleure protection de la propriété intellectuelle.

Cela passe enfin par une régulation adaptée aux exigences du droit, de l’éthique et des réalités du monde économique. Les règles du droit pénal des affaires devront être adaptées et modernisées.

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Mesdames et Messieurs,

Ma conviction est que le droit romano-civiliste est, plus que tout autre, le droit d’un monde multipolaire. Il ne s’est jamais effacé devant les techniques financières qui ont propagé la crise au sein du capitalisme international. Il n’a jamais plié devant le dogme de l’auto-régulation et les sirènes de l’uniformisation juridique.

Il comporte aujourd’hui des méthodes et des instruments indispensables aux nouvelles régulations dont le monde a besoin, en matière financière, de développement durable, de protection sociale.

Avec vous, futurs magistrats, et avec l’ensemble des professionnels du droit du royaume de Jordanie, je veux faire vivre le dialogue des systèmes juridiques, par-delà les frontières et les continents.

La diversité est la condition de la liberté. Elle est la clé d’un monde du plus juste.

Je vous remercie.