[Archives] Congrès national des tribunaux de commerce

Publié le 18 novembre 2005

Discours : Congrès national des tribunaux de commerce sur la sauvegarde des entreprises dans l'Europe consulaire - Lille

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Madame le Président de la Conférence générale des Tribunaux de Commerce,
Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de Lille,
Mesdames et Messieurs les juges consulaires français et européens,
Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux de participer au Congrès National des Tribunaux de Commerce.
Vous me donnez l’occasion, pour la première fois depuis mon arrivée à la chancellerie, d’intervenir sur ce sujet. Je tiens à vous témoigner de mon attachement sincère à l’institution des Tribunaux de Commerce. Ancrée dans la réalité du monde des affaires, elle témoigne de l’originalité du modèle juridique français.

Vous avez choisi de réfléchir tout au long de cette année sur un thème qui m’est cher : «la sauvegarde des entreprises».

A l’occasion de cette réunion, vous avez élargi votre réflexion à l’Europe consulaire. Les pays aujourd’hui représentés pour participer à vos tables rondes connaissent, pour la plupart, l’ouverture de procédures de traitement de l’insolvabilité avant la cessation des paiements.

Il faut le reconnaître, leur expérience nous a aidés et nous a confortés dans nos choix. Je suis heureux de pouvoir aujourd’hui, en les saluant, leur en faire part.

Je sais, Madame le Président, l’accueil favorable que vous réservez à la loi nouvelle, qui sera en application dans toutes les juridictions dans moins de deux mois. Permettez-moi de vous en dire quelques mots.

Ce texte est l’aboutissement d’une très grande concertation. Vous avez préconisé, vous même, plusieurs de ces orientations.

Madame le Président, la loi votée consacre l’effort incessant que vous poursuivez, pour sensibiliser nos concitoyens à l’indispensable prévention des difficultés des entreprises.

Le large consensus que ce texte recueille n’est pas le fruit du hasard :

  • Ce nouveau texte vise à préserver une part significative de l’activité économique détruite par des procédures inadaptées.
  • Il entend sauver une part significative des 150.000 emplois que nous perdons chaque année au cours de ces procédures.

Il s’agit donc là d’une étape importante de l’évolution d’un droit indispensable à la vie et à l’économie de toute société. Ce texte est porteur d’un grand espoir pour les entrepreneurs mais aussi pour les salariés. La loi nouvelle s’inscrit volontairement dans la bataille de l’emploi, menée par tout le Gouvernement.

La concrétisation de cet espoir viendra de l’application du texte qui est désormais entre vos mains. Il convient de ne pas décevoir. Je sais pouvoir compter sur vous.

L’occasion m’est ainsi donnée, d’insister auprès de vous sur le nouvel état d’esprit auquel doit conduire cette réforme.

Le succès de la réforme dépendra du changement de comportement des entrepreneurs en difficulté, mais aussi de leurs créanciers. Ce changement est nécessaire mais ne peut être obtenu que par la confiance.

Il importe d’adresser un message clair aux chefs d’entreprise.

Actuellement, l’ouverture des procédures judiciaires conduit dans une très large mesure à déposséder les entrepreneurs de leurs prérogatives et de leurs initiatives.
Ce n’est pas ma conception du monde économique.

C’est pourquoi la nouvelle loi reconnaît désormais la capacité du chef d’entreprise à décider la meilleure procédure à suivre lorsqu’il connaît des difficultés.

Le juge doit en comprendre le bienfait et accepter en cela de renoncer à prendre certaines initiatives. Ainsi, ne lui revient-il pas d’ouvrir d’office une procédure de sauvegarde ou de nommer d’office un mandataire ad hoc.

Je tiens également à vous alerter sur la différence de nature fondamentale entre le rôle du conseil et le rôle du juge, laquelle nécessite la plus grande prudence de la part de celui-ci lorsqu’il reçoit, après avoir détecté leurs difficultés, les chefs d’entreprises.

Je mesure combien cet exercice est difficile du fait du climat de confiance qui doit présider à ces entretiens et à la liberté de propos qui en résulte. Mais l’impartialité du juge en dépend.

En cela, il est necessaire que le juge de la prévention ne soit pas celui de la procédure collective.

La loi nouvelle rend ce même chef d’entreprise davantage maître du choix du moment opportun de la mise en oeuvre des procédures et de leur terme. Lorsqu’il aura fait le choix de la procédure amiable, il se situera dans un rapport de négociation contractuelle, garanti par la confidentialité, et décidera lui-même s’il entend ou non que cette procédure soit judiciarisée.

S’il le souhaite, il construira avec ses créanciers un accord, librement consenti, dont le président du tribunal lui donnera force exécutoire pour ceux qui l’ont conclu.

J’ai souhaité cette procédure allégée. Elle permet aux entrepreneurs de résoudre leurs difficultés par la négociation amiable avec quelques créanciers, dans une totale confidentialité et selon une procédure dont le caractère judiciaire peut être très limité du fait de l’absence de toute conséquence juridique à l’égard des tiers.

Ne voyez pas de la défiance envers le juge dans ce caractère limité. Il s’agit d’affirmer avant tout l’importance de la négociation entre les partenaires économiques et renforcer l’homologation judiciaire, autre issue possible de la conciliation.

C’est de la rigueur avec laquelle les juridictions examineront les accords soumis à leur homologation, que naîtra l’attrait de cette procédure nouvelle pour les acteurs économiques.

Cette loi est donc un signal fort à l’égard de tous ceux qui créent de l’activité. Ils doivent savoir que la France est un espace accueillant et ouvert aux créateurs et repreneurs d’entreprises.

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J’en viens à la procédure de sauvegarde, apport majeur de la réforme, et, aujourd’hui, centre de vos réflexions.

Elle assouplit considérablement les contraintes issues de la cessation des paiements :

Elle redonne confiance aux chefs d’entreprise, car ils resteront maîtres de leur activité tout en étant assistés par des professionnels compétents, experts des situations de crise.

Ils ne seront pas évincés de la direction de l’entreprise qu’ils ont souvent créée.

La procédure de sauvegarde présente certains des caractères d’un redressement judiciaire anticipé.

Des conditions d’ouverture de la sauvegarde, permettant l’élaboration d’un plan dans un contexte infiniment moins tendu que celui du redressement judiciaire, naît le contexte le plus apte à favoriser le dialogue.

Ce contexte sera également favorisé par l’accroissement significatif des prérogatives des contrôleurs qui seront beaucoup plus qu’hier, les garants de la transparence des procédures.

Le rôle des créanciers est valorisé.

L’institution des comités, seconde innovation essentielle, après l’anticipation, va sensiblement modifier le processus d’élaboration des plans.

J’insiste sur le fait que l’adoption négociée des dispositions du plan et la loi majoritaire permettent d’aller beaucoup plus loin que le simple moratoire judiciairement imposé de la procédure ancienne.

Ici encore, les rôles respectifs des parties et du tribunal changent de nature. La juridiction veille au respect des droits de ceux qui n’ont pas accepté les termes de l’accord manifesté par le plan. Elle n’en contrôle les dispositions qu’en l’absence de comités.

Cette nouvelle conception du mode d’élaboration des plans favorisera les cessions négociées, qui sont préférables aux cessions forcées qui suscitent tant de critiques.

Néanmoins, la sauvegarde ne doit pas être réduite à l’existence des comités. Ceux-ci en sont une modalité particulièrement adaptée aux procédures intéressant les entreprises d’une taille significative. J’ai retenu, pour les rendre obligatoires, les deux seuils alternatifs de 150 salariés et de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Elle doit également être considérée comme un instrument privilégié au service des plus petites entreprises qui, elles aussi, doivent reconnaître l’importance de l’anticipation.

Par ailleurs, le redressement judiciaire, dont le réalisme justifie le maintien, bénéficiera lui aussi de l’existence des comités. Il n’existait aucune raison de l’en priver.

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Je ne veux pas poursuivre mon propos sans évoquer la liquidation judiciaire, qui est profondément réformée.

Un sujet m’apparaît spécialement préoccupant : le nombre des procédures en cours demeure considérable. Il se situe toujours aux alentours de 185.000. Il convient de le réduire.

Au-delà des procédures nouvelles de liquidation simplifiée, que je vous encourage très vivement à mettre en place sans réserve et à clôturer dans le délai d’une année, j’insiste sur la nécessité qui s’impose de voir rappeler progressivement devant vos juridictions l’ensemble des procédures qui n’y ont pas été évoquées depuis plusieurs années.

Nos concitoyens vous seront reconnaissants de leur permettre d’obtenir le bilan d’une situation qu’ils ne comprennent pas et, certainement dans de nombreux cas, d’obtenir la clôture da la procédure.

Enfin, permettez-moi en tant que responsable de la conduite de l’action publique au sein des juridictions d’insister sur l’importance de la présence du ministère public dans les procédures commerciales.

J’ai rappelé aux procureurs généraux que cette présence renforcée est conçue comme la défense de l’intérêt général dans les procédures commerciales et non comme un instrument destiné essentiellement à la recherche d’infractions pénales. La perception qu’ont les chefs d’entreprise du parquet dans cette matière se traduit encore beaucoup trop par la crainte et la méfiance. Ici encore, il convient de redonner confiance et de faire évoluer les pratiques. Vous pouvez compter sur ma détermination.

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La participation des juges consulaires a été précieuse dans l’élaboration de cette loi. Mais au-delà, je souhaite aborder des sujets qui concernent directement les juges consulaires dans l’exercice de leurs fonctions.

Il y a deux ans, l’engagement était pris de mettre en place un Conseil national des tribunaux de commerce afin de poursuivre la réforme déjà engagée de notre justice commerciale. C’est aujourd’hui chose faite, depuis le décret du 25 septembre 2005.

La création de ce Conseil est pour moi une très grande satisfaction. Je sais que ce Conseil était vivement souhaité par les juges consulaires. Sa conception s’est faite avec vous. Soyez en tous vivement remerciés. Je tiens par ailleurs à saluer, Madame le Président, la participation particulièrement active et constructive, sous votre égide, de la Conférence générale des tribunaux de commerce à la réflexion de ce groupe de travail.

Je voudrais m’attarder quelques instants sur la composition et sur les attributions de ce Conseil.

La composition du Conseil, que je présiderai, et qui comprendra au total 20 membres, sera paritaire.

10 juges consulaires y siègeront. Je puis vous assurer que je veillerai, compte tenu des candidatures recueillies, à une représentation équilibrée du territoire.

Le Vice-président du Conseil sera par ailleurs élu par l’ensemble des membres parmi les 10 juges consulaires.

J’aurai l’honneur d’installer le premier conseil au début de l’année prochaine.

La composition du Conseil reflète la pleine appartenance des tribunaux de commerce à notre système judiciaire. Il ne s’agissait pas d’organiser une représentation corporatiste des juges consulaires, mais bien de créer un organe rassemblant tous les représentants de la Justice économique.

Organe consultatif, le Conseil sera compétent pour me donner des avis dans trois domaines :

  • la formation et la déontologie des juges des tribunaux de commerce ;
  • l’organisation, le fonctionnement et l’activité des tribunaux de commerce ;
  • la compétence et l’implantation des tribunaux de commerce.

La contribution du Conseil se révèlera précieuse à l’heure où le droit européen des affaires se développe. Cette modification du droit, mais aussi de la vie économique exige des adaptations des tribunaux de commerce et en particulier une plus grande spécialisation.

Cette spécialisation, que vous évoquez vous même sans a priori, n’est pas tout à fait nouvelle puisqu’un décret en Conseil d’Etat prévoit depuis longtemps une liste des tribunaux de commerce compétents pour connaître des procédures du livre V du code de commerce. Cette liste doit, avant la fin de l’année, être adaptée à la loi de sauvegarde des entreprises. Elle ne sera pas sensiblement très différente.

Au printemps dernier, 7 tribunaux de commerce parmi les plus petits, ont été supprimés. Notre territoire en compte donc aujourd’hui 184.

Ce nombre devra évoluer dans le cadre des recommandations du conseil.

Ma conviction ne s’accompagne d’aucune volonté de minimiser l’importance des tribunaux de commerce. Au contraire. Leur rôle est trop important pour nos entreprises pour que l’on ne se soucie pas de leur compétence. La spécificité et la technicité des matières que traitent les tribunaux de commerce nécessitent une pratique importante.

Sur la question plus particulière de la déontologie des juges consulaires, le Conseil sera de la plus grande utilité, alors qu’un vrai consensus existe sur la nécessité de faire progresser les mentalités dans ce domaine.

Les juges des tribunaux de commerce accomplissent une mission fondamentale pour notre économie. Ils le font avec dévouement et à titre gracieux. Mais nous savons également qu’ils ne disposent pas suffisamment d’outils de référence pour les aider à se repérer dans certaines situations difficiles. Leur proximité naturelle avec la sphère économique, peut parfois créer des conflits d’intérêts.
Les difficultés existent et j’attends beaucoup des propositions du Conseil pour améliorer la situation en matière de déontologie.

La possibilité de faire du Conseil un organe de contrôle et de discipline avait été étudiée. Pour des raisons tenant à l’organisation de la justice, cette solution n’a pas été retenue. Le Conseil ne pouvait en aucun cas se substituer aux organes de contrôle institutionnels que sont les chefs de cour, l’Inspection générale des services judiciaires et la commission nationale de discipline.

Les membres du Conseil auront cependant la possibilité de procéder à des visites d’information des tribunaux de commerce. Ces visites seront notamment l’occasion de faire la promotion de bonnes pratiques en matière d’organisation et de fonctionnement.

Enfin, et ce point a fait l’unanimité lors des travaux préparatoires, le Conseil pourra naturellement réfléchir à la formation des juges consulaires sur laquelle je souhaite dire quelques mots.

Il s’agit à l’évidence d’une priorité pour la qualité de la justice.

Depuis le décret du 22 septembre 2004, l’Ecole nationale de la magistrature peut assurer des sessions de formation pour les juges consulaires. C’est ainsi qu’elle a déjà formé plusieurs centaines de juges.

La prise en charge des frais induits par ces formations doit être assurée par les organismes collecteurs agréés ou habilités visés au livre 9 du code du travail.

Je sais combien la mise en œuvre de cette réglementation est délicate, mais il convient de rester ferme sur la responsabilité des organismes professionnels en la matière.

Concernant les retraités qui étaient exclus de ce système, j’ai demandé à l’ENM d’assurer la prise en charge de leurs frais de déplacement et d’hébergement.

Cette période d’incertitude a malheureusement entraîné un arrêt momentané des sessions qui n’ont repris que très récemment. C’est ainsi que la formation indispensable des juges consulaires va pouvoir être assurée.

Conclusion

Au cours de cette journée, vous avez tenu à comparer les différents dispositifs européens de sauvegarde des entreprises. Je suis heureux d’observer que l’échevinage est assez souvent présent en Europe. L’existence de nos tribunaux de commerce composés de juges non professionnels issus du monde économique est une chance pour la France. Cette spécificité appelle néanmoins, comme dans tous les domaines, des adaptations permanentes.

Je sais pouvoir compter sur vous, sur votre détermination, et vous prie de croire que la Chancellerie vous apportera le concours nécessaire pour envisager l’avenir avec confiance.

Je vous souhaite Madame le Président, Mesdames et Messieurs, juges français mais aussi belges, autrichiens, suisses et allemands, un excellent Congrès 2005 et des échanges fructueux. J’espère que cette coopération consulaire européenne sera un outil du rapprochement des pratiques d’affaires. Car je reste persuadé que l’idéal de la construction européenne ne se construit pas exclusivement dans les institutions communautaires, mais qu’il s’élabore également dans les relations professionnelles.

Je vous remercie de votre attention.