[Archives] Réforme de l'Ecole Nationale de la Magistrature

Publié le 22 février 2008

Discours de Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

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10 minutes

Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation,
Monsieur le Procureur Général près la Cour de Cassation,
Monsieur le Procureur général près la Cour d'appel de Paris,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d'administration de l'Ecole nationale de la magistrature,
Monsieur le Directeur de l'Ecole nationale de la magistrature,
Messieurs les Directeurs,
Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames et Messieurs,

Merci à tous de votre présence aujourd'hui.

J'y vois l'intérêt que vous portez à l'Ecole nationale de la magistrature et à son avenir.

Le 1er février, je suis allée à Bordeaux. Je voulais accueillir les nouveaux auditeurs de justice qui prêtaient serment.

Je voulais aussi donner les grandes orientations de la réforme de la formation des magistrats.

Cette question a fait l'objet de nombreux rapports :

- des rapports de magistrats : le rapport Le Quinquis en 2000, le rapport du Conseil supérieur de la magistrature en 2002, le rapport Canivet en 2006 ;

- des rapports parlementaires : en 2006, le rapport du sénateur du Luart et le rapport des députés Houillon et Vallini suite à la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire Outreau, le rapport des sénateurs Fauchon et Gautier en 2007.

 

Tous avaient conclu qu'il était nécessaire de moderniser l'Ecole nationale de la magistrature et la formation des magistrats.

 

En nommant Jean-François Thony directeur de l'ENM, je lui ai demandé de préparer un projet. Il y a travaillé depuis octobre. Il a tenu compte des travaux déjà réalisés sur cette question. Avec son équipe, il a beaucoup consulté : la conférence des premiers présidents, la conférence des procureurs généraux. Il a rencontré des magistrats, des partenaires de la Justice et de la société civile. Il a largement associé les personnels de l'Ecole à sa réflexion.

 

Jean-François Thony m'a remis ses propositions. Ce sont des propositions constructives. C'est sur cette base que je lance aujourd'hui la réforme de l'ENM.

 

Ce n'est pas une remise en cause du passé et de ce qui a été fait. C'est une modernisation nécessaire de l'Ecole et de la formation. C'est un nouvel élan.

 

Cette réforme s'inscrit dans une démarche plus globale : celle de la modernisation de la justice, avec la mise en place d'une véritable gestion des ressources humaines. Il faut mettre de la cohérence entre le recrutement des magistrats, leur formation et leur carrière.

 

Cette réforme correspond aux attentes des Français en matière de justice. Elle répond aussi aux attentes des magistrats.

 

Qu'est ce que les Français attendent de la Justice ?

 

Les Français veulent une Justice plus efficace.

 

C'est leur premier souhait. Ils veulent une justice plus rapide, plus simple et qui réponde mieux à leurs besoins.

 

Les affaires traitées sont complexes. Les contentieux augmentent. Il faut travailler vite et bien.

 

Tout cela s'apprend. C'est la mission principale de l'Ecole nationale de la magistrature.

 

Une Justice plus efficace, ce sont des magistrats plus efficaces, ce sont des magistrats mieux formés.

 

Il faut remettre les choses à l'endroit. En arrivant à l'Ecole, les élèves magistrats doivent commencer par acquérir les compétences fondamentales du métier de magistrat. Aujourd'hui, la formation débute par l'apprentissage des différentes fonctions. Il faut d'abord acquérir les compétences communes à toutes.

 

Les auditeurs doivent apprendre à juger. Ils doivent apprendre à bien juger. Ce n'est pas parce que l'on est un bon étudiant en droit que l'on est apte à le faire. Il est également essentiel que les auditeurs sachent tenir une audience, formaliser une décision claire et compréhensible, travailler en équipe. Ils doivent non seulement connaître les règles éthiques et déontologiques : ils doivent se les approprier.

 

Ce sera l'enjeu de première partie de la scolarité à l'ENM.

 

Dans un deuxième temps, les élèves magistrats bénéficieront d'une formation technique plus poussée. La période de spécialisation sera renforcée. Elle passera de 4 à 6 mois. Il s'agit de mieux préparer les futurs magistrats à leur prise de fonctions.

 

C'est comme cela que nous aurons une Justice plus efficace.

 

Les Français veulent également une Justice plus humaine.

 

Une Justice humaine, c'est une Justice à l'écoute. C'est une Justice qui respecte les victimes. C'est une justice qui veille à la présomption d'innocence.

 

L'affaire d'Outreau a été un traumatisme pour les Français et l'ensemble du monde judiciaire. Cette affaire a révélé la solitude du juge. Elle a montré la difficulté de juger : derrière les dossiers, il y a des gens, il y a des vies, il y a des familles, il y a des entreprises avec des emplois.

 

Nous devons mieux prendre en compte les aspects humains dans le fonctionnement de la justice. Cela doit se traduire dans le recrutement et la formation des magistrats.

 

Le concours d'entrée sera rénové. Il n'a jamais été modifié fondamentalement. Il doit être en phase avec les objectifs de recrutement. Nous ne recrutons pas seulement de bons juristes. Nous devons surtout recruter de futurs magistrats. Ce n'est pas pareil.

 

Nous allons revoir le contenu des épreuves. Comme cela se fait, d'ailleurs, pour les autres concours organisés par les ministères.

 

Bien sûr on recherche, chez les candidats, des connaissances techniques. Il faut aussi repérer les capacités humaines :

 

- l'épreuve de culture générale sera transformée en une épreuve de « connaissance et compréhension du monde contemporain ». Elle permettra d'évaluer la vision que le candidat porte sur la société et d'apprécier sa maturité.

 

- le grand oral deviendra un entretien destiné à appréhender les qualités humaines du candidat, ainsi que ses capacités à raisonner et à décider.

 

- des tests de personnalité seront introduits pour repérer d'éventuelles fragilités chez les candidats.

- la composition du jury sera diversifiée. Il sera fait appel à des personnalités du droit et de la société civile, à un avocat ainsi qu'à un psychologue expert, un sociologue ou un philosophe.

 

Depuis quelques semaines, j'entends des commentaires sur la présence d'un « psychologue ». Est-ce qu'il y aurait une méthode unique de sélection des candidats ? Une sorte de « pensée unique du recrutement » ? Ce n'est pas ma vision des choses.

 

Nous recherchons l'efficacité. Il ne s'agit pas de déterminer des profils psychologiques. Il s'agit de détecter d'éventuelles difficultés ou fragilités psychologiques. C'est très différent.

 

Nous voulons les meilleurs magistrats. Je ne vois pas pourquoi il faudrait se passer de méthodes qui font leurs preuves dans d'autres écoles, dans le secteur privé ou à l'étranger pour le recrutement des magistrats. Ce serait absurde !

 

Les qualités humaines se développent aussi par la formation. J'ai déjà évoqué l'importance de l'éthique. Je crois que le stage avocat de six mois est une chance pour les auditeurs. C'est leur donner une représentation concrète des droits de la défense. C'est les confronter aux exigences du contradictoire. Ce stage a été voulu par le législateur. Nous le mettons en place dès maintenant pour les auditeurs de la promotion 2008.

J'attache beaucoup d'importance aux stages. La réforme réintroduit les stages extérieurs durant la scolarité et elle crée un stage obligatoire à l'étranger. Le magistrat est au cœur de la société. Il travaille avec de nombreux partenaires : les administrations de l'Etat, les collectivités territoriales, les associations, notamment les associations de victimes. Il faut mettre à profit la scolarité initiale pour que l'élève magistrat s'ouvre aux partenaires de la justice. Il découvrira à l'étranger d'autres systèmes judiciaires. Il sera sensibilisé aux enjeux internationaux.

 

Dans le même esprit, je veux associer les auditeurs aux manifestations de la présidence française de l'Union européenne au second semestre. Je le leur ai dit à Bordeaux.

 

Enfin, les Français attendent que la Justice soit plus proche de leurs préoccupations.

 

Je suis convaincue que la justice sera mieux entendue et mieux comprise si la magistrature reflète davantage la diversité de notre société.

 

Vous connaissez les chiffres : en 2007, 67 % des auditeurs étaient issus de familles dont les parents sont cadres supérieurs, professions libérales ou enseignants. 5 % étaient fils d'agriculteurs ou d'ouvriers.
Pour la promotion 2008, 12% des auditeurs de justice sont issus d'une famille d'agriculteurs ou d'ouvriers. C'est un progrès.

 

Il faut agir plus fortement et plus directement. C'est l'objectif de la classe préparatoire intégrée de l'ENM. Elle est ouverte à Paris depuis janvier. Ses 15 étudiants sont parmi nous aujourd'hui. Je sais qu'ils travaillent dur. Ils ont tous nos encouragements. Nous allons amplifier le mouvement : deux nouvelles classes seront ouvertes par l'ENM, en janvier 2009, à Bordeaux et à Lyon.

 

Je veux également faciliter le recrutement à l'ENM des personnes qui ont déjà une expérience professionnelle antérieure. C'est une richesse pour l'Ecole. C'est une richesse pour l'ensemble du corps judiciaire.

 

- Chaque année, il y a des postes non pourvus aux deuxième et troisième concours, destinés à des candidats fonctionnaires ou issus du secteur privé. Il faut augmenter le nombre des candidats. Le cycle préparatoire se fera désormais par correspondance.

 

- L'intégration des fonctionnaires de catégorie A du ministère de la Justice sera facilitée. Leur connaissance du monde judiciaire est un atout pour la magistrature.

 

- La rémunération des candidats admis sur titre à l'Ecole sera améliorée. Je veux que le recrutement soit plus attractif. Il ne faut pas qu'un avocat ou un professionnel méritant renonce à intégrer la magistrature parce qu'il subit une perte de salaire.

 

La réforme de l'Ecole nationale de la magistrature, je veux aussi la conduire pour les magistrats.
Les magistrats exercent l'un des plus beaux métiers de la République. C'est un métier exigeant. C'est un métier passionnant, mais difficile.

 

Je connais leur métier. Je connais leurs attentes. Ils m'en font part quand je vais à leur rencontre sur le terrain ou que je reçois leurs syndicats.

 

C'est le premier devoir du ministre de la Justice d'être attentif à leurs conditions de travail et d'exercice de leurs missions.

 

Les magistrats veulent être mieux accompagnés dans leurs fonctions, tout au long de leur carrière.

 

C'est un souhait légitime. Les magistrats ont parfois l'impression d'être livrés à eux-mêmes.

 

C'est pour eux que j'ai mis en place une direction des ressources humaines. J'ai nommé son responsable le 1er février. Une bonne politique des ressources humaines, c'est une démarche qui repère les compétences des magistrats et qui identifie leurs besoins.

 

C'est en fonction de ces besoins que l'on doit définir la formation continue. C'est en lien avec cette direction que l'ENM élaborera son offre de formation.

 

Je souhaite également que l'Ecole nationale de la magistrature apporte un soutien au changement de fonctions.

 

Dans sa carrière, un magistrat peut exercer des fonctions civiles ou pénales. Il peut exercer au siège ou au parquet. Il peut prendre des responsabilités à la tête d'une juridiction ou d'une chambre spécialisée. C'est une chance. C'est aussi une exigence. Il faut être bien préparé à exercer une nouvelle fonction.

 

Pour chaque changement de fonctions, un stage approfondi de deux semaines sera effectué à l'Ecole. Il sera suivi d'un stage juridictionnel de trois semaines. Après la prise de fonctions, un stage complémentaire pourra être organisé s'il en est besoin.

 

Je suis également favorable à la mise en place d'un système de tutorat. Il permettra d'accompagner les magistrats dans leur première affectation. Ils se sentiront moins seuls et seront mieux encadrés. C'est une forte attente des magistrats débutants. Leur tuteur devra être une personne de confiance : par exemple, un magistrat d'expérience de sa juridiction ou un ancien maître de stage qui l'a déjà suivi.

 

Le droit évolue ; les contentieux sont de plus en plus complexes ; ils ont de plus en plus d'aspects internationaux.

 

- Des formations longues de spécialisation seront mises en place par l'ENM pour répondre à la technicité de certains contentieux.

 

Elles seront conduites en lien avec les universités et d'autres grandes écoles. Je souhaite qu'elles puissent être valorisées par un diplôme spécifique, de niveau master ou doctorat.

 

- Des formations en langue, des formations en droit communautaire ou international seront également proposées. Les magistrats seront mieux armés pour traiter les contentieux. Je pense par exemple au droit de la famille qui devient très international.

 

- des formations spécifiques aux nouvelles technologies leur seront offertes. C'est nécessaire pour réussir notre plan ambitieux de dématérialisation des procédures judiciaires. C'est aussi primordial pour bien comprendre les affaires qui mettent en cause l'utilisation de l'informatique. On l'a vu avec l'affaire de la Société Générale.

 

En répondant aux besoins des auditeurs et des magistrats, l'Ecole remplira au mieux sa mission.

 

Je veux aussi que les magistrats soient fiers de leur Ecole.

 

L'Ecole nationale de la magistrature est l'Ecole des magistrats. Elle doit être une grande école du droit.

 

Elle doit incarner l'excellence de la formation. Des chaires de professeurs seront instaurées pour les grands enseignements. Ils pourront être magistrats, universitaires de renom ou hauts fonctionnaires. Ils seront choisis pour la référence qu'ils constituent dans leur domaine.

 

Ils auront vocation à fédérer les équipes pédagogiques en place. Les chargés de formation ont un rôle essentiel, puisqu'ils assurent à temps plein la continuité de la pédagogie de l'Ecole. Leurs fonctions seront revalorisées. Ils deviendront « professeurs à l'ENM ». Comme aujourd'hui, des professeurs associés, exerçant des fonctions de terrain, complèteront le corps enseignant.

 

Parallèlement, l'Ecole doit devenir un pôle de recherche reconnu au plan international. Une direction de la recherche et de la documentation sera créée. La recherche portera sur la pratique judiciaire et sur le droit comparé. Des partenariats seront conclus avec l'Université et les grandes écoles.

 

Enfin l'Ecole doit rayonner au-delà de nos frontières. La présence de l'ENM dans le monde sera renforcée. Je l'ai dit la semaine dernière devant les 68 ministres francophones de la Justice réunis à Paris. Il faut assurer une meilleure diffusion de l'expertise française.

 

Il existe des besoins. Nous avons les moyens d'y répondre. Je veux le faire. L'ENM offrira un cycle de formation pour les formateurs des institutions judiciaires étrangères.

 

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Réforme de l'Ecole Nationale de la Magistrature - Crédits Photos C MONTAGNE

Mesdames et Messieurs,

 

Je lance aujourd'hui une réforme ambitieuse.
Une réforme pour les magistrats.
Une réforme pour la Justice.

 

Elle sera présentée le 25 mars prochain au conseil d'administration de l'Ecole, sous la présidence de Vincent Lamanda.

 

Elle s'appliquera à partir de janvier 2009 pour la formation continue et de février 2009 pour la formation initiale. Les nouveaux concours seront mis en place pour la session de juin 2009.

 

Je tiens à remercier Jean-François Thony pour la qualité et la cohérence de ses propositions. Je veux lui exprimer, ainsi qu'à son équipe, toute ma confiance pour mener à bien cette réforme essentielle.

 

Je vous remercie.